Lambeaux

Thyl Sadow

Pierre avait décidé de prendre sa vie en main depuis qu'Élise l'avait quitté. C'est ce qu'elle lui avait ordonné de faire, avant de jeter l'éponge et de lui dire qu'il ressemblait à un clafoutis. C'est exactement ce qu'elle avait dit. « Tu ne ressembles plus en rien à l'homme dont je suis tombée amoureuse, avait-elle commencée, et seulement trois ans se sont écoulés. Ce n'est pas dans mes plans de rester pour voir comment tu vas évoluer, ça ne m'intéresse plus. Tu ne ressembles à rien... tout ton corps, on dirait un... un putain de clafoutis ». Il n'avait pas su comment réagir, il ne savait pas si c'était une insulte ou une ultime tentative de prendre des gants avec lui. Peut être que c'était affectueux, elle n'avait pas dit « tête de choux », « vieux navet » ou quelque chose du genre. Peu importe, elle était partie, et toute tentative de communication était abolie puisqu'il n'avait pas payé sa facture de téléphone. Prendre sa vie en main pour Pierre, ne voulait pas dire devenir adulte, assumer ses responsabilités ou faire des plans de carrière, ça voulait dire, prendre le temps de regarder à l'intérieur et de suivre ses rêves enfouis. Il avait toujours rêvé d'une vie au grand air, d'être un loup de mer debout aux aurores sur le pont, bravant les tempêtes en direction de cieux plus cléments ou bien un hobo, traversant les plaines américaines en sautant d'un train à l'autre, se réveillant chaque matin dans un monde éternellement neuf. Prendre sa vie en main, pour Pierre, incluait aussi la possibilité de tordre ses rêves pour qu'ils épousent la réalité. Depuis près de deux semaines, il passait ses journées sur un banc dans le parc longeant son appartement.

« C'est quoi la dernière chose que tu as achetée ? Tu ne t'en rappelles même pas » avait-elle dit. Il avait répondu qu'il avait acheté la chaise sur laquelle il était assis. « Je n'ai pas besoin d'acheter, j'ai tout ce dont j'ai besoin, j'ai un toit, de quoi manger, il y a la télévision et les coquetiers, parce que tu en avais marre d'utiliser des verres à vodka. ». Elle lui avait laissé la chaise avant de partir.

Ces derniers temps, il n'y avait pas trop de monde au parc à causes des températures fraîches mais cet après midi là était très ensoleillé et un vieil homme vint se posé à côté de lui. C'était un homme courbé, très propre sur lui et si maigre qu'il donnait l'impression de pouvoir disparaître sans prévenir. Pierre voulu allumer une cigarette mais il remarqua une bouteille d'oxygène et un masque à la gauche du vieux. « Oh, allez y, je vous en prie, en plein air, ça ne pose pas de problèmes. Et je ne vais pas vous emmerder en vous disant que vous foutez votre santé en l'air » dit il. « Merci. De toute façon, vivre, c'est mourir un petit peu chaque jour, non ? » répondit Pierre en souriant. Mais le vieux ne lui rendit pas son sourire et regarda dans le vide. « je m'excuse, je ne voulais pas... ». « Vous savez, jeune homme, c'est vrai ce que vous dîtes, on meurt un petit peu chaque jour, à petit feu... Mais à un certain moment, ça s'accélère... et... oh, je ne vais pas vous emmerder en vous disant que c'est facile de foutre sa vie en l'air. ». « Merci » dit Pierre.

« Tu fous ta vie en l'air, tu restes là à attendre que quelque chose tombe du ciel, tu restes là à lire et regarder des films sur des gens qui font des choses et toi, tu ne fais rien », c'est ce qu'elle avait dit.

« Je fumerai bien une cigarette mais ça me fait peur, continua le vieil homme tout en se passant la main sur le crâne, je ne peux plus vivre sans cette satanée bombonne. Je connais ce gars, il a voulu fumer tout en inhalant son oxygène. Il s'est endormi, le con, eh ben, il a entièrement brûlé, comme un toast. ». « Oh mon dieu, je suis désolé » dit Pierre. « Pas la peine, c'est un vrai connard et il est toujours vivant. Mais son crâne avait fondu alors ils ont été obligé de prendre la peau de ses fesses pour lui reconstituer » continua le vieux avant d'éclater d'un rire mêlé de toux. « J'essaierai de penser à ça quand je déciderai d'arrêter de fumer » lui dit Pierre. « Oui, c'est ce qu'il faut dire aux jeunes, tu veux avoir une tête de cul ? Continue à fumer ». Le vieux reprit sa bombonne et se leva. « Où est ce que vous allez ? » lui demanda Pierre. « Bah, on est mardi, j'ai des trucs à faire, pas vous ? ». Pierre réfléchit une seconde. « Euh...non ».

« D'accord, eh bien, continue à fumer alors, gamin » dit le vieux avant de disparaître au coin d'un sentier.

« Je suis désolé, je ne peux juste plus imaginer d'avoir des enfants avec toi, et ça n'est même pas parce qu'ils te ressembleraient, c'est juste que j'ai le sentiment que tout ce que j'essaierai de leur inculquer serait ...perverti par ta façon de voir le monde. Ce serait comme d'envoyer des enfants à un catéchisme situé à côté d'un strip-club » avait-elle dit. « Je ne comprends rien à ce que tu racontes, tu n'es même pas catholique ou quoi que ce soit » avait répondu Pierre en écoutant à moitié. « Je t'ai aimé, tu sais ? » avait-elle susurré. « Bien sur que je le sais, je t'aime, je n'ai pas envie que tu partes. Je ne comprends pas pourquoi tout doit être si sérieux tout le temps. Viens, juste t'asseoir à côté de moi et faisons quelque chose à deux, quelque chose de marrant. On peut faire une partie de Donkey Kong, tu te souviens de ce jeu où tu dois sauter sur des barils pour attraper les bananes ? Tu adorais ce jeu ! »

Le mercredi après midi, le parc était envahi par les enfants. Les parents restaient à la lisière de la pelouse laissant les mioches s'encrasser et se défouler, jetant un œil de temps en temps en prononçant le nom de l'enfant d'un air plaintif pour qu'il puisse se reprocher quelque chose, au choix. Pierre fumait une cigarette sur le banc en observant toute cette agitation passagère. Il y avait un gros groupe d'enfants qui jouaient à balle chasseur. C'était la troisième partie et les enfants commençaient à se fatiguer. Un peu à l'écart du groupe se tenait un petit gros qui avait été le premier à se faire éliminer aux deux manches précédentes. Il se baladait, ramassait des cailloux, inspectait le sol à la recherche de quelque chose. Ses recherchent l'amenèrent en face de Pierre et il resta là à le fixer. « Qu'est ce que vous faîtes ? » demanda-t-il à Pierre. « Rien » répondit Pierre. « Comment ça se fait que vous ne faîtes rien ? Vous êtes malade ? » demanda l'enfant obèse. « Non je ne suis pas malade. Je ne fais rien, c'est tout. ». « Tu es fainéant alors ? » continua l'enfant.  «  Et toi, tu fais quoi ? » répondit Pierre. « Rien, je suis juste un enfant » dit il en reniflant. « Et donc quoi ? C'est ce que tu fais à plein temps, être un enfant ? » s'énerva Pierre. « Quoi ? » dit l'enfant en semblant réaliser qu'il ne devait pas parler aux inconnus. Une voix plaintive sortie de nulle part cria :  « Anthony ! Anthony ! ». Anthony s'apprêtait à partir mais Pierre lui demanda : « Qu'est ce que tu cherchais dans la pelouse ? ». « Des trèfles à quatre feuilles, mon papa m'a dit que ça portait bonheur et chance ». « Et tu en as trouvé ? ». « Non, il n'y avait que des crottes de chien » répondit l'enfant, dépité. « Oh, je sais comment tu te sens, tu es déçu, tu as vu une grande étendue d'herbe et tu t'es dis « Oh, c'est magnifique, je vais sûrement pouvoir en trouver des centaines », et au plus tu avançais, tu t'es rendu compte que ça n'était pas vrai, que tout ce qu'il y avait, c'était de la merde. Crois moi, je connais ce sentiment » lui expliqua Pierre. Anthony restait là, la bouche ouverte à cause de son nez encombré. « Mais c'est pas grave, et tu sais pourquoi, parce que ce n'est pas vrai, un trèfle ne porte pas chance, c'est juste une plante, tu peux la mettre dans un herbier si tu veux, ou la donner à quelqu'un que tu aimes, peu importe, ce que j'essaye de dire c'est qu'on ne peut pas compter sur la chance dans la vie. Un trèfle ne va pas soudainement t'apporter le bonheur, il ne va pas faire en sorte que tu sois meilleur à balle-chasseur, il n'y a que toi qui peut changer ça, tu comprends ? De toute façon, on ne trouve presque jamais de trèfle à quatre feuilles, c'est extrêmement rare. ». « J'en ai trouvé cinq, mercredi dernier » dit l'enfant, non sans fierté, « mais vous ne les trouverez pas ».« Et pourquoi ça ? » demanda Pierre après un certain temps. « Parce que vous ne cherchez pas » soupira l'enfant avant de courir rejoindre sa mère.

La salle d'attente était presque vide mais Pierre ne venait pas assez souvent pour savoir si c'était exceptionnel ou non. Ils avaient trouvé un emploi qui pourrait lui convenir, et même si cela ne lui convenait pas, il devait l'accepter sans quoi il perdrait tout soutien financier. Il prit un des magazines qui se trouvait sur la table basse. En couverture se trouvait une photo d'un acteur connu et un sous titre situé sous la photographie promettait de nous révéler tous les dessous de son divorce. Pierre n'ouvrit pas le magazine, il resta simplement à fixer la couverture. Il connaissait l'acteur, son ex-femme était une amie d'Élise et ils avaient été invités au mariage. La soirée avait été plaisante, Pierre s'était amusé de croiser tant de gens connus, des acteurs, des gens qu'il n'avait jamais vu que par écrans interposés. Il s'était posé dans un coin et était resté là à les observer, comme si ils continuaient à jouer un rôle. Élise était aux anges. Elle riait, elle buvait, elle dansait, elle rêvait. Pierre regardait. Vers la fin de soirée, quand il y avait moins de monde, Pierre et Élise s'étaient invités à la table du couple fraîchement marié. Un chanteur connu les avaient rejoints et Élise avait demandé à Pierre de prendre une photo d'elle et du couple. Le couple s'embrassait spécialement pour la photo et Élise souriait en fixant l'appareil. « Allez, Pierre qu'est ce que tu attends, prends la photo » avait-elle dit. Pierre les regardait sans dire un mot mais il n'appuyait pas sur le déclencheur. Le couple commençait à rigoler de devoir s'embrasser aussi longtemps. Sous le regard noir d'Élise, Pierre avait fini par prendre la photo. « C'était quoi le problème, l'appareil ne marchait pas ? » avait demandé l'acteur. « Non, répondit Pierre, l'appareil marche parfaitement bien, c'est juste que... J'ai pris la photo, okay ? Mais j'aimerais juste que vous réfléchissiez à quelque chose, juste une minute. Je ne dis pas que je le ferais, mais... je pourrais vendre ce cliché à un magazine et je pourrais vivre six mois avec ce que ça me rapporterait. Six mois complets, je pourrais payer mon appartement, ma nourriture, je pourrais partir en vacances avec Élise, tout ça juste grâce à une bête photo de vous. Je veux dire, c'est fou, non, le genre de monde dans lequel on vit. Je ne le ferai pas, je ne suis pas ce genre de personne, je veux que vous le sachiez mais je voulais juste que vous soyez conscient de ce que vous m'avez demandé de faire. ». Élise avait cessé de rire, « Qu'est ce qui tourne pas rond chez toi, putain, c'est quoi ton problème ? » avait elle dit avant de se rasseoir et de regarder le sol. L'acteur s'était rapproché de Pierre et lui avait mis une main sur l'épaule. « Tu penses trop, mon ami, c'est juste un souvenir, ça fait plaisir à Élise, c'est tout, d'accord ? ». « D'accord » avait dit Pierre. Puis plus bas, sans que personne ne puisse l'entendre, l'acteur avait dit : « Si je vois cette photo dans un magazine, je te fous un procès au cul, d'accord ? ». Après la soirée, au milieu de la nuit, Pierre s'était relevé pour ouvrir le tiroir, prendre l'appareil d'Élise, et effacer le cliché.

« Vous serez « sous-directeur de manutention » pour Mangetout Entreprise, à raison de 38 heures semaines pour un salaire à déterminer avec votre employeur, des questions ? » annonça le conseiller. « Euh... oui, qu'est ce que vous entendez par « sous-directeur de manutention » ? » demanda Pierre. « En gros, vous allez charger et décharger de la marchandise pour Mangetout Entreprise, en fait, c'est la seule chose que vous avez à faire. Je sais que vous ne pouvez pas refuser cet emploi et on pourra peut être vous trouver quelque chose d'autre un jour mais vous devez apprendre à vous mettre en valeur, Monsieur Staens. Vous avez des qualités, non ? Vous en êtes conscient ? Allez, citez moi une de vos qualités » demanda le conseiller tout en se rapprochant de lui avec des yeux porteurs d'espoir. « Euh... je,...je,...je suis modeste » répondit Pierre. Le conseiller se remit au fond de sa chaise en hochant la tête calmement. « Okay, vous l'êtes, assurément. Vous commencez à 8h, demain ».

8 heures tapantes. Pierre était installé sur son banc. Le parc était désert à cause du brouillard, une vraie purée de pois. Profitant du calme environnant, Pierre décida de se balader. Il passa par le terrain de foot et le terrain de pétanque pour rejoindre la grande étendue d'herbe. Puis il prit le chemin qui montait la colline jusqu'au bâtiment des eaux usagées, d'où il emprunta le sentier qui s'enfonçait dans une minuscule réplique de forêt. Au travers des arbres, il aperçut deux grandes silhouettes en train de s'affairer. Guidé par les bruits de pelles qui s'enfonçaient dans la terre, il se retrouva nez à nez avec deux géants. L'un d'eux possédait une grosse barbe rousse qui cachait pratiquement son visage, déjà peu visible à cause du grand bonnet qu'il avait sur la tête. Son pantalon déchiré d'un brun délavé ne semblait plus que tenir à un fil et ses grosses bottines de cuir semblaient aussi fripées que son visage. L'autre était plus petit, son crâne dégarni lui laissait une couronne de cheveux plutôt disgracieuse et son accoutrement semblait provenir du même endroit que celui du roux. A ses pieds, se trouvait un grand sac en plastique d'un grand magasin aillant fait faillite il y a des années, dans lequel il semblait y avoir toutes sortes d'objets très divers. Les deux hommes étaient en train de creuser un trou avec des pelles rouillées aux manches élimés. « Bonjour » dit Pierre aux hommes qui ne répondirent pas. Il remarqua aux alentours des dizaines de petits tas de terre, vestiges d'anciens trous ayant été fraichement rebouchés.

« Est ce que vous enterrez ou est ce que vous déterrez ? » demanda Pierre. Le grand roux lança à un regard à son ami avant de faire signe à Pierre qu'il ne comprenait pas. « Oh, vous ne parlez pas français... » dit Pierre en inspectant le grand roux de haut en bas, « Vous êtes Albanais ou quelque chose comme ça ? Je m'appelle Pierre, Pi-erre » fit-il en tapant sa main contre son torse avant de l'ouvrir en direction du grand roux. « Skerl » dit celui ci avant de pointer son doigt vers le chauve et de dire : « Peor ». « Enchanté, s'il vous plait, continuez ce que vous étiez en train de faire, faîtes comme si je n'étais pas là » dit Pierre tout en s'asseyant sur une souche. Skerl et Peor restèrent les bras ballants à regarder Pierre sans comprendre. « Je veux juste regarder, j'espère que ça ne vous dérange pas ». Peor haussa les épaules et les deux géants se remirent à creuser. Le trou devait faire dans les 1 mètres vingt et les innombrables racines rendaient la tâche difficile. « Il n'y a pas de truffes par ici, si c'est ça que vous cherchez, il n'y a que des bolets mais je ne crois pas qu'ils poussent sous la terre ». Quand le trou devint assez profond pour que l'un des géants puisse disparaître à l'intérieur, les deux géants s'activèrent à le reboucher avant de rassembler leurs affaires et de commencer à creuser environ 5 mètres plus loin. Peor et Skerl s'échangeaient des propos dans une langue inconnue de Pierre, une langue qu'il ne pouvait même pas rattacher à un groupe connu. Quand le trou fut terminé, Pierre aida à le reboucher, poussant la terre à main nue dans la béance du sol. « Pierre, tu dois sortir de la maison, voir des gens, n'attends pas que tes amis appellent. Si tu restes tout le temps avec moi, tu vas finir par me détester. Tu dois avoir des amis, c'est la base d'une relation saine » avait-elle dit. Pierre passa la journée avec Skerl et Peor, et au soleil couchant plus de 30 trous avait été creusés et rebouchés, ce qui semblait être pour Pierre une moyenne tout à fait acceptable. Il se dit qu'avec son aide, s'il revenait avec une pelle, ils pourraient monter jusqu'à 50 trous par jour et en élaborant un plan rigoureux, en quadrillant le parc correctement, ils pourraient avoir couvert son ensemble en trois semaines, peut être quatre. Il ne savait pas depuis combien de temps Peor et Skerl étaient occupés mais comme il ne les avait jamais vu auparavant, il en déduit qu'ils venaient à peine de commencer. Ils s'essayèrent tous les trois sur des souches pour regarder le soleil se coucher et Skerl sorti du sac une photographie d'un enfant qu'il regarda un moment avec émotion, avant de la passer à Peor. Peor était sur le point de ranger la photographie dans le sac mais Pierre tendit la main vers lui. Peor hésita un moment puis haussa les épaules et donna la photographie à Pierre. Un petit garçon aux yeux noirs et aux cheveux crollés souriait devant un fond peint représentant un port de plaisance. Skerl reprit la photographie et saluèrent Pierre avant se mettre en route et de disparaître dans la nuit. Pierre resta un moment, pensif et anxieux à l'idée de ne plus jamais les revoir. « Je ne crois pas qu'on pourra rester amis Pierre, ce n'est pas que je ne veux pas, c'est juste que ça n'est pas possible... » avait-elle dit.

Le lendemain matin, Pierre, muni d'une pelle, passa une heure à tourner en rond dans le parc à la recherche des deux géants. Il fini par tomber sur eux alors qu'ils étaient déjà à la tâche et après un bref salut, il se mit au travail lui aussi. Une semaine passa, Pierre dirigeait le travail en indiquant où creuser et s'en remettait à Skerl et Peor pour savoir quand le trou méritait d'être rebouché. Il avait amené un sac en plastique dans lequel il déposait les objets trouvés. En une semaine, il avait récolté l'équivalent de 5 euros en pièces de monnaie, une gourmette en argent gravée du prénom « Emily », un nombre incalculable de cannettes et autres récipients, ainsi qu'un disque de view-master représentant une scène du film : « Les aristochats » et un trousseau de clefs rouillées. Il n'y avait aucun problème en ce qui concerne le partage du butin puisque depuis le début des travaux, Peor et Skerl n'avait ramassé aucun objet et ne semblaient pas manifester le moindre intérêt pour ceux ci. Ils se contentaient de creuser, d'inspecter et de reboucher.

Un matin, Peor et Skerl refusèrent de creuser. Ils restaient là à profiter du ciel clément et à regarder la vie s'agiter dans le parc. Pierre se mit au travail en pensant que les deux géants suivraient le mouvement mais ils se contentèrent de le regarder faire. « Allez, les gars, on a pas le temps de bronzer si on veut avoir fini ça pour la semaine prochaine. Et il est hors de question qu'on arrête maintenant, on a commencé quelque chose, il faut le faire jusqu'au bout. ». Peor haussa les épaules. « S'il vous plait » dit Pierre. Devant le manque de réaction total, il se dirigea vers le sac de Peor et en sorti la photographie de l'enfant qu'il brandit à leur hauteur. « Si vous ne le faîtes pas pour moi, faîtes le pour lui ». Skerl dit quelque chose que Pierre ne comprit pas mais il ne bougea pas. Pierre regarda la photo et la retourna. Elle avait été découpée dans un catalogue pour vêtements. « D'accord, peut être qu'on a besoin de passer à la vitesse supérieure, vous savez quoi, vous n'avez qu'à prendre la journée et on se voit demain » dit Pierre en se dirigeant vers la ville.

« Vous avez le modèle X-7800, il possède une autonomie de 78 heures, une prise en main légère et agréable, vous pouvez régler le spectre en dessous de 10 hertz, ce qui élimine tous les déchets, il est bien sur à induction pulsée, le tableau de bord est équipé de lampes LED et vous avez une option qui est une petite révolution en soit dans le monde des détecteurs, vous pouvez désormais repérer en plus du fer, de l'or et de l'aluminium, des objets en céramique et en bronze, c'est la Rolls du détecteur de métaux, si vous voulez mon avis » expliqua le vendeur à Pierre. Pierre tapota des doigts sur le comptoir en réfléchissant. « Quelles genres de recherches est ce que vous désirez effectuer ? Est ce que c'est juste un hobby ou est ce que c'est pour le travail ? » demanda le vendeur. « C'est pour le travail » répondit Pierre. « Quelles genres de fouilles est ce que vous effectuez ? Celui ci est intéressant si vous travaillez dans des régions où la céramique est très présente, évidemment si vous travaillez en Afrique noire, vous n'en avez peut être pas besoin. Dans quel région est ce que vous travaillez ? » demanda le vendeur. « Principalement sur Ixelles mais j'espère m'étendre sur toutes les communes de Bruxelles » répondit Pierre. Le vendeur hocha la tête lentement et sorti une boîte d'un tiroir. « Ceci est le SR-260, il est tout à fait abordable et il est parfait pour les débutants » dit il avec un sourire.

« Maintenant qu'on va emménager ensemble, je crois qu'il faut que l'on pense les choses différemment. On est en train de construire quelque chose et j'ai envie qu'on s'investissent dans quelque chose qui dure. Et quand je parle d'investissement, je veux dire, même dans les choses qu'on achète, il vaut mieux qu'on mette le prix pour des choses qui durent, je n'ai plus envie d'acheter des choses qui se cassent au bout de deux ans. Je veux pouvoir acheter quelque chose en me disant qu'on l'aura encore dans dix ans, tu comprends, mon amour ? » avait-elle dit.

« Je prend le X-7800 » dit Pierre, « à combien est ce qu'il est ? ». « Il est à 2300 euros » répondit le vendeur. « Est ce que je peux payer en plusieurs fois ? » demanda Pierre. Le vendeur répondit qu'il fallait payer tout de suite. « Je vais payer par carte de crédit».

Pierre attendit des heures Peor et Skerl mais ils ne vinrent pas, alors il se mit au travail, quadrillant avec son détecteur les parties du parc encore non explorées. Il creusait les trous, inspectait les objets puis les remettait à leurs places, à leur place exacte avant de les reboucher. Il rouvrit les trous des parties déjà explorées pour y remettre les objets récoltés à la place exacte où il les avaient trouvés. Le détecteur marchait parfaitement, il était impatient de pouvoir l'utiliser dans d'autres parcs, des terrains vagues, sur des plages. Alors qu'il inspectait la dernière partie encore vierge de son passage, un homme vint à sa rencontre. « Whaouw, c'est un sacré engin ce truc là, hein ? Ça fait plusieurs jours que je vous vois avec votre machine et ça m'intriguait » dit il. « Oui, c'est la Rolls du détecteur de métaux » dit Pierre. « Je sais que tout ça ne semble avoir aucun sens pour toi parfois, et c'est vrai, la vie n'en a pas. Mais c'est à nous d'en donner un , et même si tout te semble compliqué et absurde, tu trouveras ta voie, je le sais. Et on a de la chance parce qu'on a l'un l'autre et qu'on s'aime. C'est irremplaçable, ça, ça a un sens. Je t'aime Pierre » avait-elle dit. « Je n'ai pas grand chose à faire » ,dit l'homme à Pierre, «  est ce que ça te dérange si j'observe ? ». Pierre haussa les épaules et se remit au travail.

Signaler ce texte