L’âme, aigrie, se ment (la mégalo m’annihile)

absolu



On a du mal à dire écrivaine, pourtant elle a pas mal de cris qui lui restent dans les veines. Elle souffre autant que son homologue masculin, sa vie est autant maculée d’encre et vingt ans ne suffiront pas à sa main pour coucher tous ces mots sur le papier. Encore faudrait-il qu’ils trouvent le sommeil, pour les coucher, encore faudrait-il avoir quelques histoires à leur raconter, pour les endormir, les hypnotiser, leur faire avouer leurs plus profonds secrets. Laissons le poing se délier et la pointe gratter le papier, laissons les virgules et les points faire la police, laissons la typographie mener l’interrogation ; attention au procès-verbal pour excès de paraphrase. Marquer un arrêt au point d’exclamation, donner explication pour éviter un retrait de deux points. Ne pas prendre de sans-interligne, au risque de piétiner.

La mise en pieds reste l’apanage de l’élite, je nage parmi les vers, entre les litres, j’explore mon existence à cœur ouvert, opération délicate et sans anesthésie, je ne crains pas les paparazzi ni leur paperasse moisie avant d’être consommée, qui n’hésitent pas dans leurs torchons à trier le linge sale de nos célébrités. Il m’aurait fallu hériter d’une notoriété parentale, pour intéresser la presse à scandale ; je ne suis que fille d’ouvrier et de mère au foyer, deux individus qui ont fait de leurs enfants les propres artisans de leur vie, sans les manœuvrer à mauvais escient, sans leur imposer aucun remord ni regret de ce qu’ils ont sacrifié. Pas de quoi faire la couverture glacée d’un magazine, quand on est passé par l’usine pour payer son loyer.

À force, il finit par se chiffonner, ce papier, et moi aussi, de toutes ces choses dont on ne parle pas, de peur de me froisser. D’une droiture exemplaire, mais pas exempté de plaire, cet ami donné sans déguisement, aux sens aiguisés, modèle unique porté une fois ou deux, se montre d’une rigidité qui a fait ses preuves, soi-disant pour vous endurcir, face aux épreuves que vous traversez.

Sans verser dans le tragique, sans se référer aux versets sataniques, le quotidien accable suffisamment sans avoir besoin d’en rajouter. Je demande une accalmie, même provisoire, laisser de côté l’abominable, souffrir de crampes abdominales, effet secondaire d’un fou-rire incontrôlé, décrisper nos mâchoires avant de les ranger dans un tiroir. Pleurer de rire et nettoyer la cornée avant qu’elle ne se cataracte, décontracter l’estomac avant de l’ulcérer, lâcher du lest avant de s’ankyloser sous le poids des années, laisser la gêne de côté avant d’oublier l’âge qu’on a. Se raconter quelques anecdotes avant de radoter, récolter les fruits d’une amitié avant qu’ils ne se gâtent. Pas besoin de cerise sur le gâteau pour lui donner plus de saveur, suffit de le manger, en temps et en heure.

Je cherche pas à vous faire avaler des couleuvres, mais y a un ver dans la pomme. On nous en raconte des vertes et des pas mûres : la valeur n’attend point le nombre des années, le malheur atteint les ombres décharnées, vous le savez.

Moi j’attends encore celui qui pourra pêcher entre mes lignes, qui mordra à l’hameçon sans tout de suite enlever son caleçon. Je pensais l’avoir aperçu, mais c’était un leurre, une lueur d’espoir. J’ai nagé dans une eau troublée, sans bouée de secours. Abusée ? Non, il fallait juste laisser à la buée le temps de se dissiper. Et puis elle fait ce qu’elle veut la buée, ça fait un moment que je regarde ailleurs…

Ce que je vois d’ailleurs, c’est surtout mon découvert. Pour vous dire : ma paie est tombée y a quelques jours, j’ai pas encore entendu le bruit de sa chute… c’est pour ça j’ai besoin de donner ce que j’ai, avant d’être trop endettée. Quitte à être interdit bancaire, autant que ça m’profite avant que j’y laisse ma chair. Et puis la banque rafle trop souvent la mise, érafle trop souvent les mêmes clients. Rafales de courriers de rappel, à vos frais bien sûr. Vous devez payer ce que vous n’avez pas. Certains noieront leurs factures au comptoir, moi je m’acharne, efface, rature, et recommence, jusqu’à être enfin lue, être reconnue, avoir une récompense. Rembourser les emprunts, assurer mon quotidien, le minimum fiscal quoi. Je cours pas non plus après l’ISF, je suis pas forcément vénale, mais faut voir le côté pratique d’être rétribuée pour quelques écrits. Qui sait, ils pourraient être exportés vers d’autres continents, les états d’âme régalent les Etats-ennuis d’Amérique, qui se bouchent les oreilles jusqu’en Californie…

À quand « Inséminator et la révolte des machistes » ? Et y aura une fuite, euh, pardon, une suite ? Ça sortira quand sur grand écran ? Oh, ne me répondez pas, de toute façon, quelle que soit la date, j’aurai déjà quelque chose de prévu, ce jour-là…une conférence de presse, une séance de dédicaces… j’trouverais bien…

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