L'amour au XXI siècle. I

Jim Curtis

Un homme, s'il se connaissait seulement un peu, ne verrait en lui-même qu'effroi et stupidité.

Il plongea sa main dans sa poche et en retira un morceau de papier et un stylo. Accoudé au bar, le regard suspendu dans le vide, il commença à écrire son premier roman. 17 ans et des poussières serait le titre idéal - pensa-t-il.

- Vous désirez, jeune homme ? lui demanda la bar'girl.
- Oh, un peu d'amour ça ira.
- Je connais un très bon guest'house à quelques minutes d'ici..
- L'amour ne s'achète pas m'demoiselle. Donnez-moi quelque chose, qui me fera oublier. Voulez-vous ?
- Et hop ! Voici votre commande habituelle - s'écria-t-elle. Deux shots de vodka, une bouteille de Jack Daniel's, votre paquet de Marlboro et... ah oui, bien sûr, mon numéro en cas de besoin. Tout y est, jeune homme !
- Vous êtes sérieuse ? Je vous ai à peine regardé depuis que je suis ici et vous me filer votre numéro. Si cela se trouve, je suis un type dont vous devriez vous méfier.
- Je vous connais mieux que vous pourriez l'imaginer. D'ailleurs, tout le monde vous connaît ici. Et, mon boss m'a demandé d'être aux p'tits soins avec vous, bien obligé.
- Qui suis-je ?

- On vous appelle le Casanavo du XXI. Mais en vérité, vous n'êtes qu'une épave. Un mégalomane qui ment comme il respire, un bourgeois qui se croit tout permis. V'nêtes qu'un de ces p'tains de fils à papa, qui traînent ici et là et dépensent leur blé, sans penser au lendemain. De plus, vous cracher sur le monde et le pire, sur votre, semble-t-il, talent. Moi, je ne vous ai jamais lu. Mais, ces demoiselles là-bas m'ont tout raconté. Qui vous a mis dans cet état ?

Il la regarda avec sa nonchalance habituelle, même si ces mots le faisaient prendre conscience qu'il était devenu réellement une épave, un déglingué, une misère ambulante. Il s'enfuit le sourire aux lèvres vers ce p'tit recoin de la pièce, où il aimait tant se réfugier pour écrire.

17 ans et des poussières, murmura-t-il. Personne ne lira cette merde ! Titre pas suffisamment accrocheur, puis trop de drames, qui veut être triste sérieusement ? Qu'importe, j'écrirai pour moi. 

3 heures et 45 minutes. Ce soir, comme tant d'autres, je me perds, j'erre dans les boîtes de nuits, les bars, à la recherche de quelque chose dont j'ignore même l'existence. Je suis un guerrier dans l'âme, qui traque sa propre vérité. Et dans la solitude de mon être, se lève tant de questions auxquelles je voudrais que l'on apporte de véritables réponses.

Les réponses sont à venir, je le sais. Il ne faut pas moins les chercher que les attendre. Elles viendront, peut-être, certainement, au détour de quelque circonstance, lorsque je marcherai un soir comme celui-ci, seul dans la nuit, toujours en quête d'un idéal, voire d'une vérité absolue.

Toujours est-il que la beauté de la vie ne se révèle à nous, que dans nos moments de doutes et d'incertitudes. Ce n'est que lorsque nous approchons le réel  avec un coeur humble, que nous parvenons à saisir l'insaisissable et à comprendre toutes ces choses qui nous échappent.

Je ne me voile plus la face cependant, car je sais que ma jeunesse est perdue déjà. Ma mémoire, elle-même, peine de plus en plus à se souvenir du soir précédent. Les jours, quant à eux, n'existent plus. Depuis longtemps, j'ai oublié la forme du soleil et la chaleur qu'il dégage. Je suis, il est vrai, un homme-machine dont l'être ne peut plus s'éveiller. Une épave aussi, sans doute, qui s'est échouée sur une île déserte.

La vie est courte et j'ai tenu à en profiter comme je sais mieux le faire. L'art, lui, est long et même s'il ne peut être, selon moi, qu'une pâle copie de soi, j'aurais écris des bribes de moi, ici et là, éparpillés un peu partout. Dans la vie, je suis un très bon acteur en général. Mais lorsque j'écris, mon cerveau fonctionne au ralenti. Je suis conscient qu'il ne faut pas se regarder et encore moins penser pour écrire.

Comme de la vie, l'art pour être réellement vécu doit l'être avec détachement. Je me compare souvent à Narcisse qui se noya dans sa beauté, du moins le réfléchissement, l'illusion, de ce qu'il percevait de lui et n'était cependant pas au plus profond. Pour ne pas me perdre, je n'ai que l'alcool qui m'aide à m'évader du labyrinthe que je me suis créé. Je suis mon pire ennemi et je le sais.

Quelques fois mon corps défaille, mes mains eux-mêmes tremblent et mon coeur palpite, mais pire que tout mon âme est las de ces errements, de cette quête qui tourne en rond et n'atterrit jamais nul part. Dans le nul part toutefois, là où réside le néant, je perçois comme dans le désert, un oasis. Ce dernier est l'unique, le seul, qui me permet d'avancer toujours plus loin dans cette quête du rien.

A la différence de Narcisse, je me déteste, je me dégoûte, car il me plaît, peut-être par pure sadomasochisme mais qu'importe, d'explorer les abysses de mon âme, d'entamer des descentes vers les bas-fonds de mon être. Je suis alors profondément déçu de qui je suis et ne trouve guère en moi le peu de dignité, qu'il me faudrait pour devenir et être Homme. Jeune Homme. Toujours, me suis-je penché sur la question ; comment Devenir Homme ? Comment Être simplement pour Devenir ?

C'est exactement une mort que j'expérimente chaque soir, je me mets volontairement dans les pire états qui soient, je suis mon propre cobaye et j'expérimente sans cesse, la bêtise, la stupidité de mon être. Il m'arrive de me sentir véritablement grandi de ces expériences, mais la croissance ne peut véritablement être lorsque le coeur n'est pas disposé.

Mon coeur est encore endormi à l'instar de mon esprit.
Plus je bois, plus je m'endors. Je le fais, à vrai dire, pour rêver, car l'homme n'est libre que dans la poursuite ses rêves.


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