L'amour, ou le subtil art de la chute

charlie

Deux raisons me poussent aujourd’hui à écrire sur ce sujet tout feu, tout flamme qu’est l’amour. La première est que ce nouveau chapitre devait s’inscrire dans la continuité du précédent. Et si l’on est loin de la notion de mensonge, l’amour m’avait semblé être un sujet transversal lors de mes interrogations sur le boniment. La deuxième raison est personnelle et trouve sa source dans une des nombreuses discussions que j’entretiens avec un très bon ami. Un de ces amis à qui l’on parle ouvertement et à qui l’on finit par se soulager des silences et des secrets les plus lourds.
Nous avons lui et moi, à la base, une conception très différente de l’amour. Mais cette opposition de points de vue, au lieu de nous emporter dans des courroux sans nom, permet au contraire un échange intéressant, parfois même passionnant, d’opinions. Et je dois avouer qu’il s’agit là d’un partage que j’affectionne tout particulièrement. 

Néanmoins, je crois que je serai malhonnête si je m’abstenais de préciser que ces dialogues sur le sens de l’amour sont devenus attrayants surtout depuis que mon ami semble enfin touché par la grâce de cupidon. Je veux dire par là qu’il est amoureux et j’ai toujours pensé qu’il avait une vision différente de la mienne quant aux choses de l’amour surtout parce qu’il n’avait jamais été amoureux. Maintenant qu’il goûte au doux parfum d’une femme sans n’y sentir que les effluves de son entrecuisse, nos avis se rapprochent… Et donc, c’est surtout pour cela que nos débats sur l’amour ressemblent de plus en plus à quelque chose. 

Encore une fois, ce que je fais passer pour une preuve de mon ouverture d’esprit finit par être la conséquence logique d’un certain nombre d’événements. Lui, le grand passionné des heures torrides, est incapable de s’installer dans une relation pour autre chose que la gloire que cela représente pour son égo. Moi, je ne conçois l’amour que comme un ensemble, un partage de chaque instant où l’abandon de soi donne vie à un nous. Lui et Moi, nous n’avions rien en commun. Et dorénavant, sur la question de l’amour, on s’entend parce qu’on est de plus en plus semblables quant à notre façon de le vivre. Je me félicitais de mes capacités à entendre d’autres discours. Quand on s’aperçoit que ces discours, je ne les admets que parce qu’ils se rapprochent du mien, je deviens risible. Dans le domaine de l’exploit, certains efforts vous donnent surtout une impression de ridicule… 

Je crois qu’au fil de l’écriture, je m’égare sur la deuxième raison qui m’amène à parler de l’amour avec un grand « E » - je me trompe volontairement de lettre parce qu’au fond, une histoire d’amour, une vraie de vraie, pure et dure et profonde comme un océan au large de l’Australie, on ne sait vraiment jamais comment ça commence… Si l’amour commence par un « A » (comme le prétendrait la plupart des bons professeurs de français), je n’y vois qu’une certitude orthographique qui ne s’intéresse qu’à la forme. Et moi, la forme, je m’en fiche comme de ma dernière peluche. C’est le fond que j’explore. Et si je pouvais me permettre une allusion un poil graveleuse, je rappellerai que l’amour, c’est aussi cela : l’exploration du fond des choses… 

Encore une fois, je m’égare.

La deuxième raison donc. Un soir que je me trouvais avec cet ami et que la nuit commençait à ne laisser entrevoir que les lampions multicolores de la ville, Mathieu (c’est comme ça qu’il s’appelle même si ce n’est pas comme ça que je l’appelle) entamait un nouveau sujet de conversation qui allait accoucher d’un de mes points de vue dont je suis le plus fier ces derniers temps. Entre les quelques bêtises que nous avions prises pour habitude de débiter dans le seul plaisir de ne pas se prendre au sérieux, Mathieu (même si ça me fait bizarre de l’appeler comme ça) lâchait le morceau : le sujet, qui aurait divisé en deux groupes de cinq personnes une pièce en contenant dix.

« Charly, pour toi, c’est quoi l’amour ? » qu’il me balance cette triple buse. Sur le moment, j’ai trouvé cela idiot de sa part qu’il m’interroge, de cette façon, sur le sens de l’amour. Pris au dépourvu, entre deux parties de rigolade, on a toutes les chances de se retrouver une savonnette aux pieds et de se rappeler aux joies de la gravité. Et bizarrement, allez savoir si c’est pas une connerie de plus ou si c’est pas le résultat d’un lamentable gadin sur un savon de Marseille, je lui répondais que l’amour, c’était l’art de la chute.

A force de réfléchir à ma réplique du moment, il me parait de plus en plus clair que ces six mots mis bout à bout ont plus de sens qu’il pourrait n’y paraitre au premier abord. Et voila donc ce qui me conduit à noircir ces quelques pages. Pardon pour elles. Si j’étais du papier, j’aurais surement du mal à accepter que des imbéciles s’amusent à souiller la clarté démiurgique du blanc de la feuille vierge pour y apposer des carabistouilles aussi enthousiasmantes qu’une retransmission télévisée de la dernière partie de belote coinchée animée par les quatre piliers de zinc les plus tenaces du café du commerce. Néanmoins, et j’en finis avec ma digression, je souhaiterais approfondir avec vous la question de l’amour et de la chute qu’il l’accompagne.

Mathieu est un garçon gentil, plutôt beau gosse (et c’est comme ça que je l’appelle) et sa sérieuse tendance à arriver en retard en cours, si elle le fait passer pour un je m’en foutiste de première, ne lui ôte pas une culture aiguisée et amatrice de bons mots. Surpris de la réponse que je lui avais donnée, une discussion plus poussée s’engageait. Vraisemblablement, la curiosité de mon acolyte venait d’être éveillée.

L’explication que je m’apprêtais à lui fournir apporte les quelques clés nécessaires à la compréhension du titre de ce texte. Il m’apparait clair que l’amour n’est pas fait pour durer toute une vie complète ou alors seulement quand cette vie vous est enlevée par un de ces incidents qui vous conduisent droit au cimetière (ou aux flammes, c’est selon les testaments). Je ne fournirai pas d’autres preuves de ce que j’affirme que celles tirées de mon vécu et de la façon dont j’ai pu voir comment évoluaient les couples lorsque ceux-ci venaient à se trouver si près de moi que je pouvais entrer dans certaines confidences (extrêmement personnelles parfois).

Aucun couple ne dure. C’est comme ça. Et si l’augmentation croissante du nombre de divorce, de ruptures larmoyantes (celles que vous avez vécues ou celles dont vous avez été les témoins) ne suffisent pas à vous convaincre que ce que je dis est vrai, je poursuivrai mon argumentation en utilisant ce qui devrait être le contre exemple de ce que j’affirme : les petits couples de vieux qui meurent ensemble (ou presque). Pourquoi utiliserais-je cet exemple ? Parce que selon moi, il ne faut pas confondre rupture sentimentale et rupture matérielle. Combien de petites reliques, et il s’agit là d’un terme imagé pour parler des gens du troisième âge, ne se séparent pas alors qu’ils ne s’aiment plus et que les nombreux coups de canifs aux promesses de l’amour auxquels l’un et l’autre se sont livrés auraient suffit à percer un cœur de pierre ? Je ne cherche pas ici à comprendre les nombreuses bonnes ou mauvaises raisons que deux personnes ont de rester collés l’un à l’autre jusqu’à ce que mort s’en suive alors que les sentiments se sont déjà fait la malle depuis belle lurette. Mais le constat reste le même : des couples restent matériellement unis alors qu’ils s’apprécient plus par habitude que par le jeu de la folle valse des passions. Le fait qu’il n’y ait pas eu de rupture matérielle n’empêche pas, même dans ce cas, l’existence d’une rupture sentimentale…

Et puis au fond, un dicton bien connu mettra un point final à ma démonstration. « Il y a une fin à tout ». Si c’est pas de la preuve ça, je veux bien me les tondre, en faire un tartare bien accommodé et donner tout ça aux crocodiles… C’est fou comme je suis crédible.

Si l’amour n’est fait que pour prendre fin un jour, à quoi reconnait-on une belle histoire ? Quels sont les ingrédients qui permettent aux scénaristes du monde entier de nous pondre leurs belles romances cinématographiques ? Pour moi, c’est à la qualité de la rupture, du point final que deux protagonistes ont décidé d’apposer aux quelques chapitres qu’ils ont écrit ensemble, que l’on reconnait les belles histoires. Malgré cette affirmation, je ne serais pas catégorique au point d’affirmer que les relations qui se terminent en queue de poisson n’ont jamais contenu ne serait-ce que trois grammes d’amour et deux centilitres de passion. Mais j’émets de sérieux doutes sur la question…

Je crois que l’on aime toujours un peu et qu’une part de notre cœur reste indéfiniment la propriété de l’autre. La rupture, selon moi, ne change pas cet état de fait et c’est ce qu’il reste d’amour qui pousse à ne pas donner au point final des allures de cul de sac sans retour en arrière possible. Finalement, quand on a aimé réellement, les bribes de sentiments, ces petits bouts rescapés de l’amour refusent la fin qui, à défaut de rapprocher l’autre de notre cœur, l’éloignera totalement de nos yeux.

A titre personnel, les seules femmes qui ont compté et que je ne revois plus sont bien celles que je n’ai aimé que trop peu pour qu’elles méritent que je m’attarde sur leur cas plus longtemps dans ce texte. Quant à celles qui ont eu plus d’incidences, mon cœur saigne toujours un peu pour elles. 

L’amour implique ainsi une chute. Le véritable amour, de mon point de vue, implique une chute, toujours brutale mais contenue. En gros, et si je me permets de schématiser pour les handicapés du neurone, il y a deux catégories de couples lors d’une rupture. Il y a ceux qui se cassent lamentablement les dents, les rêves, les os (et tout ce qui peut se briser) et il y a ceux qui reviennent sur terre, le cœur saignant, mais en un seul morceau. Dans les deux cas, aucune rupture n’est facile. La deuxième a juste le mérite de se faire dans le respect et de laisser encore aux comédiens de l’affaire la possibilité de se parler, se voir et d’échanger. Ce qui représente l’ultime marque d’amour que l’on peut donner : l’assurance que si les choses changent (et pas toujours comme on le souhaiterait), elles n’empêchent néanmoins pas la suite de pouvoir s’écrire.

Tout cela, je m’en rends bien compte, n’engage que moi et chacun pourrait défendre légitimement son point de vue et réussir à attirer à lui un certain nombre de partisans. Au fond l’amour, on ne sait jamais comment ça commence, ni comment ça se termine. Certainement parce qu’il y a autant de façon d’aimer qu’il y a de cœurs éperdus.

Avant de poursuivre cette tentative désespérée qui consiste à vous convaincre que ma vision de l’amour est celle qui devrait être communément admise par une masse bien pensante représentant, bien évidemment, la majorité de l’humanité, il me paraitrait opportun, encore une fois, de commencer par le commencement. Qu’est-ce que l’amour à part un mot de cinq lettres et la juxtaposition de deux syllabes somme toutes assez banales ? Honnêtement, anticonstitutionnellement fait tout de même moins d’effet que ce mot riquiqui, composé de trois voyelles et de deux consonnes. Encore une fois, je m’égare. Il va de soi qu’on n’est pas venu pour palabrer sur le pouvoir des mots – même s’il pourrait être intéressant d’écrire à ce propos.

L’amour a déjà des particularités qui ne trompent pas. Des particularités qui prouvent qu’on n’est pas tombé sur un de ces mots dont la langue française a le secret et dont on n’est pas certain de se servir un jour. Ce n’est pourtant pas un mot d’exception. Une dissertation n’en sera pas plus belle au motif qu’il est glissé entre quelques phrases à la rhétorique bien maîtrisée. Répété, il pourrait même finir par suggérer un certain ennui. Mais si ce mot n’a rien de particulier, je n’irai pas jusqu’à affirmer qu’il est banal.
Petite particularité du mot « amour », il est masculin au singulier et féminin au pluriel. Combien de mots dans le dictionnaire s’accompagnent de ce genre de détails qui semblent les définir dans le fond ? « Amour » a une dimension d’hétérogénéité et quand on sait que l’amour est censé être la réunion d’un homme et d’une femme, on s’aperçoit que les règles orthographiques qui accompagnent ces cinq lettres paraissent vouloir en donner une première définition.

Je me laisse ici aller à une nouvelle digression pour bien faire comprendre aux lecteurs les plus pointilleux qu’il ne convient pas de voir dans ma précédente démonstration un certain obscurantisme de ma part. Je m’aperçois que les principes à respecter quant à l’utilisation de ce mot indiquent une première définition mais je suis conscient qu’elle s’avère être très vite insuffisante. En effet, l’amour n’a pas seulement qu’une dimension hétérogène. Les garçons qui se bécotent sur les trottoirs, les jeunes filles qui se torchent la pomme à grand coup d’acrobaties linguales (quel gâchis) prouvent bien que l’amour entre personnes du même sexe existe… Même si les célibataires endurcis regrettent cela et estiment que c’est franchement triste de voir deux possibilités d’aimer un homme ou une femme s’envoler de la sorte…

Bon. Tout cela ne nous permet pas de donner une définition de l’amour. J’ai donc, dans un souci de complétude, décidé de trouver, grâce à ma maîtrise totale de l’alphabet, la définition qu’en donnait le dictionnaire. Première surprise et surement qu’une grosse partie de ceux qui liront ce texte ne le savent pas mais l’amour est un fleuve. Je suppose qu’il doit être long et pas tranquille du tout. L'Amour (en russe « Амур » qui signifie boueux) est donc un fleuve d'Asie qui s'étend sur 4 354 kilomètres depuis la source de l'Argoun, ce qui en fait le premier fleuve de Sibérie et le quatrième d'Asie pour la longueur de son cours.

Si un jour vous passez à question pour un champion ou dans une autre connerie télévisée de ce style vous aurez peut être l’air moins con. D’ici là, remerciez moi de vous permettre de vous endormir ce soir un peu moins bête…

L’amour, c’est aussi la personne aimée. Vous savez, ça nous arrive à tous. Soit parce qu’on est pris dans l’emballement des sentiments ou parce qu’on n’a pas encore trouvé un surnom suffisamment chouette et original à son ou sa chérie, on l’appelle « mon amour » ou « amour » tout court. Finalement, c’est comme une expression bouche-trou, un palliatif au manque d’imagination, une formule générique passe partout qui en plus d’être pratique permet de pas appeler sa femme par le prénom de sa maîtresse…

Mais l’amour bordel de Dieu ! Mon Dieu, qui êtes aux cieux, si vous m’avez entendu, vous n’avez définitivement pas besoin d’un rendez-vous chez l’ORL… Mais l’amour, bordel à cul (je tiens à éviter les blasphèmes), quelle en est la définition ? Le dictionnaire le définit comme une « attirance affective et/ou physique, qu’en raison d’une certaine affinité, un être éprouve pour un autre être, auquel il est unit ou qu’il cherche à s’unir par un lien généralement étroit ». Je ne sais pas pour vous mais ça fout presque les chocottes de décrypter aussi froidement un truc tellement immatériel et psychique… Donc, pour les plus ramollos du cerveau, je vais tenter un décodage express de la définition ci-dessus énoncée… il s’agirait de traduire « attirance physique » par « désir » et « lien généralement étroit » par « sexe » et la définition devient immanquablement plus limpide.

Nous avons donc vu ce qu’est l’amour et nous avons la preuve, ou en tout cas on part du principe que j’ai réussi à le prouver, que l’amour ne dure jamais éternellement. Cette affirmation un peu brusque sera une des raisons qui justifieront qu’on ne fasse pas lire ce texte à toutes les pucelles décérébrées qui croient encore que le père noël est né dans un chou un soir où la petite souris ramassait sa première quenotte et où cendrillon perdait sa pantoufle cristalline, passeport immédiat vers une vie rêvée où le bonheur se dispute l’allégresse à grand coup de « je t’aime pour toute ma vie mon amour ».

L’amour, c’est l’art de la chute. Rien dans la vie ne dure et au même titre que les saisons, au printemps des cœurs attendris, succède toujours l’été des passions fougueuses puis vient l’automne de l’ennui et ensuite l’hiver des sentiments enchylosés. L’amour a une fin. Il ne faut pas y voir une tragédie, tout au plus, cela doit encourager à retarder l’échéance le plus possible. La loi des saisons est immuable mais l’été des passions peut durer plus de trois mois si tant est que l’on se montre capable de retarder l’heure de l’ennui…

Maintenant que tout le monde a conscience qu’un amour finit toujours par se casser la gueule, vous seriez bien aimable de me demander pourquoi je relie la notion de chute avec un art. Et bien, j’anticipe sur votre interrogation et je vais vous répondre. J’emploie volontairement une phrase à la syntaxe sarkozienne parce que nous sommes en train de parler de chute et d’amour et que s’agissant de notre cher président, je serai ravi de le voir détrôné et divorcé de cette italienne sur échasses qui après avoir trainé ses bas-résilles dans le show-business a décidé d’en faire usage dans l’hémicycle - et oui, dorénavant, le président à le droit de fouler de ses talonnettes l’assemblée nationale…

Toujours est-il que la chute est un art. Et cela pour la bonne et unique raison que je ne connais aucune chute qui ne soit parfaitement contrôlée. On dit « se vautrer », « se viander », « se faire marave » et hormis quelques sportifs qui en ont fait leur spécialité (les plongeurs chinois faméliques à souhaits et les footballeurs italiens), aucune chute n’est gracieuse et aucune ne laisse indemne.

Imaginez un petit couple en pleine panique des sentiments. Les qualités de l’un ne rendent plus l’autre heureux et les meilleures intentions de chacun passent pour de la fainéantise du quotidien. Ils sont au bord du gouffre. Leurs pieds touchent encore le sol, ils ne sont pas encore dans le vide. S’ils restent encore ensemble à cet instant, c’est parce qu’ils sont conscients de la sécurité de leur situation. Lâcher tout, c’est sauter dans l’inconnu. Rester malgré tout, c’est rester dans l’incongru mais souvent, ça fait moins peur. Néanmoins, à plus ou moins long terme, tout cela va partir en éclat. L’un va décider de lâcher la main de l’autre et chacun devra trouver un nouveau partenaire pour profiter à deux des samedis soirs à Ikea. 

Qu’est-ce qui fait que cette union d’un temps, qui se trouve à deux doigts de péricliter sous nos yeux, vaut plus que celles qui précédaient et pas moins que celles qui suivront ? L’amour justement. S’il y en a eu réellement et qu’il en reste encore un peu, une de ces quantités infinitésimales qui justifient encore un peu de respect, qu’est-ce qui empêchent nos deux protagonistes de plonger dans cet inconnu main dans la main ? Les plus cyniques d’entre vous me diront que la fierté peut empêcher cela. C’est vrai. Mais si l’un des membres de ce couple est à ce point fier, c’est qu’il s’aime plus qu’il n’aime l’autre. Ça n’aurait rien d’illogique mais dans le vrai amour, je garde encore la naïveté de croire que l’amour du « toi » est au moins aussi grand que l’amour du « moi ».

Je pars du principe qu’à l’aube d’une nouvelle vie, le véritable amour se meurt avec tendresse. Il s’accompagne aussitôt d’une nostalgie pesante aux cœurs et ne laisse aucune place au déchainement des égos, aux crises de nerfs et aux rancœurs post-traumatiques. Ma vision de l’amour, c’est celle-ci. On est loin de l’esprit pimprenelle à la fleur bleue mais cela garde un côté conte de fée qui ne s’assume qu’à moitié. L’autre moitié baignant, quant à elle, dans la marre sombre d’un cynisme qui lui, s’assume complètement.

Il y a une part d’irréalité dans ce que j’affirme et l’aspect contradictoire, terriblement triste et terriblement beau de tout cela réunit les ingrédients indispensables à toute romance digne de ce nom. Mais une telle relation, je le sais, est tellement impossible que je ne ferai probablement que courir après toute ma vie. Toujours avec la même fougue, toujours avec une femme différente. Je m’apprête à courir après ma chimère. Je la poursuis déjà et j’en prends seulement conscience. Pour le lecteur sceptique, je précise que je ne suis pas malheureux.

Ma vision de l’amour, c’est un conte de fées moderne. Et s'il fallait trouver un point commun entre cette vision et le conte de fées, ça serait celui-ci : le point final n’intervient qu’au commencement. Blanche-neige rencontre son prince charmant. Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil et Chantal Goya parade à la gay-pride avec les bisounours. Mais que se passe-t-il ensuite ? Ils font des bébés. Tiens parlons-en. Entre les couches, les cris au milieu de la nuit, les trois huit de Blanche-neige (oui, le prince charmant a de la thune mais Blanche-neige est tellement parfaite qu’elle refuse de se faire entretenir et comme il n’est dit nulle part dans les écrits qu’elle a un diplôme d’études supérieures, elle fait les trois huit) ; entre tout cela et les caprices de mouflets jamais satisfaits, qui aurait l’audace de me faire croire qu’après un misérable plat de nouilles au beurre, une journée pluvieuse et des menstruations qui lui font souffrir le martyr, Blanche-neige ne lèvera jamais la voix sur son beau cheval blanc, pardon, son beau prince charmant ? Le conte de fées, c’est toujours le printemps d’une histoire. On se garde bien de nous narrer la suite. Cela serait tellement navrant qu’un suicide pourrait avoir des allures de providence…

Ma théorie de l’amour, art de la chute, est une chimère qui ressemble à un conte de fées. Que se passe-t-il ensuite ? Est-on ravi d’avoir connu cet amour quand même une fois terminé, il garde une pareille place dans les cœurs ? Comment imaginer pouvoir vivre avec de tels fantômes ?

Seulement voila, le conte de fées, on le veut malgré tout. Même si l’on sait pertinemment que rien n’est jamais aussi parfait ; que l’envers de la médaille ressemble aux plus puissants clairs-obscurs. Ce qu’il y a de rutilant d’un côté cache souvent une indicible vérité. Une de celles qu’on ne masque que par l’éblouissement du rêve, des bons mots et des histoires à l’eau de rose. Et pourtant, c’est cette perfection que je recherche.

Et je l’ai trouvée. Il y avait bien un côté pile. Un côté face. J’ai vu qu’on pouvait s’aimer même après une rupture et j’ai compris combien cela n’avait rien de romantique. Putain je l’ai aimée. Surement au point d’en être ridicule, certainement au point d’en oublier que j’existais par moi-même. Et puisque tout se termine, cela s’est terminé et puisque je l’aimais, j’ai continué à le faire. Je ne suis pas homme à renier les choses, certaines auraient bien voulu que je le fasse… J’ai pu constater que cette blessure là saignait toujours : je dois probablement être attiré par le goût du sang… Mais cette espèce d’incontinence de mon palpitant, si elle gardait une dimension romantique puissante, ne laissait malheureusement aucune chance à un nouveau poignard de me transpercer à nouveau.

J’ai touché à cet amour absolu et je l’ai porté comme un fardeau. Jusqu’au jour où, lassé de regarder derrière moi, je comprenais que certaines choses devaient être perdues en route. Il n’y a rien de négatif là dedans. Les poches de la vie ne sont pas extensibles à l’infini, il faudra toujours en abandonner un peu pour pouvoir les remplir de nouveau. Et c’est finalement de ça dont on se nourrit : de ce parfum de changement qui lâche quelques effluves d’inédit.

Je l’ai donc laissé partir. Peut-être est-ce moi qui l’aie abandonnée. Je m’y sentais prêt et rien ne fut triste. Pas d’adieux déchirants, pas de sanglots à vous couper le moral en quatre, rien d’autre que des perspectives d’avenir et c’est bien là que je compte passer les prochains jours : dans le futur. Et maintenant je peux le dire, elle a été ma plus belle histoire surement parce qu’elle a été ma plus belle rupture. Je partage avec elle quelques uns de mes plus beaux souvenirs. Je ne la hais pas et dorénavant qu’elle est loin, ma vie s’est éclaircie et je me sens à nouveau capable d’aimer, d’aimer au point de non-retour, d’aimer à s’en faire mal parfois, d’aimer à y croire malgré tout, d’aimer comme je m’aime moi-même, d’aimer à en chuter un jour, à deux ou tout seul, peu m’importe finalement… je préférerais que cela soit à deux. Cette beauté masochiste d’une rupture pleine d’amour, je l’envie plus que je ne la redoute, surtout si l’autre alternative est un abandon mutuel irrespectueux, haut en verbes et en cris.

Je sais que tout se finit. Je ne souhaite que de jolis claps de fin avec des pendants à la « carpe diem », des instants de délires idiots, des plaisirs inavoués qu’on confesse finalement, des courses à la montre contre l’échéance, des passions saignantes et des souvenirs à en remplir les cales du plus gros paquebot. Je vivrai de belles histoires si j’ai de belles ruptures. Je dis probablement n’importe quoi. J’ai d’ailleurs probablement dit tout et son contraire mais à y réfléchir une dernière fois, maintenant qu’à mes côtés flirte un nouvel espoir, l’amour, ce n’est surement pas si compliqué. Il me vient d’un seul coup ce truc comme une évidence, après avoir noircit tellement de pages, avoir gâché tellement d’énergie à me contredire, à passer pour le plus rêveur, le plus fou et le plus bête des amants, l’amour ce n’est que cela :

EC.

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