L'ange de la nuit

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Plusieurs soirs de suite, Anne voit un homme devant chez elle. Pourquoi est-il là ? Est-ce un ange qui veille sur elle, ou un tueur fou qui attend son heure pour agir ?

On dit souvent que les anges gardiens prennent de multiples formes, mais sont, quoiqu'il arrive, toujours à vos côtés pour vous protéger.

Je crois que je ne peux qu'approuver cette pensée.

Certaines personnes disent que ces fameux anges gardiens sont invisibles ; qu'ils sont auprès de nous, sans que nous puissions les voir. D'autres prétendent que ce sont certaines personnes qui, par leurs bonnes actions ou le don d'elles-mêmes, nous servent de protecteurs.

Moi, je pense que les anges gardiens peuvent prendre des formes plus ou moins singulières et se manifestent à tout moment…

Mais plutôt que de philosopher à tire-larigot, il vaudrait peut-être mieux que je vous raconte mon histoire…

Oh ! Rassurez-vous ! Je ne vais pas vous raconter toute ma vie de A à Z ! Je voudrais juste revenir quelques jours en arrière…

C'était, il y a maintenant un peu plus de quatre semaines.

Cela faisait plusieurs jours que je planchais sur les derniers chapitres de mon manuscrit. Je travaillais d'arrache-pied, surtout le soir, car pour moi, c'est le moment propice où l'inspiration et le désir s'allient pour me permettre de me mettre au travail.

Je finalisais donc l'un de mes derniers chapitres. J'étais à la fois excitée par l'inspiration et épuisée par l'heure tardive.

Lorsque j'eus terminé mon travail, et après une brève relecture, je décidai qu'il était temps d'aller me mettre au lit.

J'éteignis la lampe de mon bureau et me dirigeai vers la cuisine pour me servir un verre d'eau.

Une fois désaltérée, je retournai dans ma chambre. Je jetai un rapide coup d'œil sur mon radioréveil. Ce dernier indiquait 3h15.

Je me déshabillai, j'enfilai mon pyjama et j'ouvris la fenêtre pour fermer mes volets.

Je fus arrêtée dans mon mouvement.

En bas, sur le trottoir, juste devant chez moi, était assis quelqu'un.

Je restai quelques secondes à l'observer. Apparemment, c'était un homme. Il était assis sur la borne téléphonique près de mon portillon. Il ne bougeait pas, immobile, telle une statue.

« Peut-être attend-il quelqu'un, me dis-je. Ou alors, il est tellement alcoolisé… Super ! Si c'est le cas, il risque de gerber partout devant chez moi ! Ou alors… »

J'eus soudain un furieux doute.

Je fermai mes volets, le plus discrètement possible, et je décidai d'aller vérifier si ma porte d'entrée était bien verrouillée. Heureusement pour moi, c'était le cas !

Je remontai dans ma chambre et m'allongeai sur mon lit. Le sommeil ne tarda pas à m'emporter très loin.

Lorsque je me suis réveillée, mon premier réflexe a été d'ouvrir mes volets pour voir.

Pour voir quoi, me direz-vous ? Je ne sais pas. Peut-être juste vérifier si le type était toujours là…

À mon grand soulagement, il n'était plus sur la borne et le trottoir me semblait propre.

Je descendis me préparer un copieux petit déjeuner.

En attendant que le café passe, j'ouvris les volets du bas.

Je ne pouvais m'empêcher de regarder dans la rue à la recherche de l'individu mystère.

Même en allant chercher mon courrier, je ne pus me retenir d'examiner la borne téléphonique et ses alentours.

Il n'y avait strictement rien.

Je dois avouer que j'étais quelque peu déçue…

Je vous épargnerai les détails de ma journée ; cela n'a pas grand intérêt et je vous ai promis de ne pas vous raconter toute ma vie.

Tout ce que je peux vous dire, c'est que tout au long de cette journée, j'eus un mal de chien à me concentrer. Sans cesse, je repensais à ce type. Sans cesse, cette silhouette sombre hantait mon esprit. Et lorsque le soir fut venu, au moment où, normalement, j'apprécie le plus d'écrire, impossible de me mettre au travail ! Je ne cessais de jeter des coups d'œil par la fenêtre, et, lorsque je parvenais enfin à les poser sur ma feuille, l'inspiration pointait aux abonnés absents, laissant ma feuille aussi blanche qu'un amas de neige fraîche. Cela me faisait pester.

Je décidai donc de faire une pause dans mon écriture et je m'octroyai une soirée devant la télé.

Avant de m'installer dans mon canapé, je fermai les volets et vérifiai le bon verrouillage de ma porte d'entrée.

Lorsque je fus rassurée, je m'installai confortablement et me laissai happer par un programme de téléréalité.

À la fin de l'émission, je décidai d'aller me coucher.

Avant de monter, je fis un tour par la cuisine pour jeter l'emballage de biscuits vide[1] et boire mon verre d'eau rituel.

Je montai dans ma chambre, mais n'allumai pas la lumière en entrant.

Avant de descendre, j'avais eu l'idée de ne pas fermer complètement mes volets, mais de les placer en « tuiles » ; ainsi, je pouvais voir une partie de la rue et ne pas être vue.

J'ouvris la fenêtre le plus doucement possible et je glissai un œil par l'interstice des volets.

Je dus mettre la main devant la bouche pour réprimer un cri de stupeur.

Le type était là ! Il était, comme la veille, assis sur la borne du téléphone !

Alors que j'essayais de l'identifier, mon horreur fut à son comble. Il se retourna et regarda dans ma direction !

D'où je me trouvais, je ne pouvais voir les traits de son visage. Je pouvais tout juste distinguer un petit reflet au niveau de ses yeux…

Nous sommes restés quelques secondes ainsi. Je n'osai pas bouger, de peur qu'il m'entende, ou me voit. Puis, au bout d'un moment qui me parut interminable, il se remit dans sa position initiale et garda, de nouveau, toute son immobilité.

Je refermai la fenêtre le plus discrètement possible. Mon cœur battait à tout rompre et mon sang tapait dans mes tempes. Je m'assis quelques instants sur ma chaise de bureau. Juste le temps que mon corps se calme, puis j'allai me coucher.

À peine mes pieds eurent-ils atteint le fond de mon lit que je remontai ma couette au-dessus de ma tête.

Je sais ce que vous pensez… Maigre protection qu'une couette, mais au fond de moi, je reste persuadée que c'est la meilleure cachette face à un tueur psychopathe.

Enfin, bref ! Revenons-en à nos moutons !

Le sommeil a dû m'emporter au bout d'un moment, mais j'avoue que je n'en ai aucun souvenir. Toujours est-il, que je me suis réveillée au petit matin et que mon premier réflexe fut de me jeter sur la fenêtre.

Évidemment, le type n'était plus là.

Je suis descendue me faire un petit déjeuner léger. Je ne savais pas si c'était toute cette histoire qui me turlupiner plus que nécessaire, mais je me sentais quelque peu nauséeuse. En plus, je n'avais pas dû si bien dormir que ça, car j'héritai de quelques bonnes courbatures…

« J'espère que je ne me suis pas chopé la grippe, me disais-je. Enfin, j'vois pas comment j'aurai pu l'attraper, je n'ai pas mis le nez dehors depuis plusieurs jours… Et puis je serai bien la seule à me choper cette saloperie en plein mois de juin ! »

J'éviterai, cette fois encore, de vous narrer ma journée ; car elle fut encore moins palpitante que celle de la veille. Pour résumer, je me suis traînée de mon canapé à ma table, de ma table au fauteuil de mon ordinateur et de mon ordinateur à mon canapé. Passionnant, n'est-ce pas ?!

Si ma journée n'avait pas été des plus excitantes, j'espérais bien que ma soirée le serait plus.

En effet, j'avais décidé d'attendre, postée derrière les volets de ma chambre, le type à la borne.

Je m'y étais prise en début de soirée.

J'avais tout préparé ; plusieurs paquets de biscuits, deux bouteilles d'eau et des jumelles.

J'étais prête ! Il pouvait venir !

J'avais juste omis une petite chose dans la préparation quasi policière de ma planque… Les biscuits donnent soif ! Et au bout d'un moment, le litre d'eau qui avait servi à étancher cette satanée soif, m'a contrainte à faire une petite pause "toilettes".

C'est en revenant que je me suis rendu compte que la nuit était déjà bien tombée  et que l'obscurité était arrivée à grands pas.

Je me remis donc à mon poste et repris mes jumelles pour regarder à travers les volets.

Le type était arrivé !

Quelle idiote ! Mais quelle idiote je suis ! J'avais loupé l'instant le plus important de la soirée ; l'instant où il s'était installé ! Mais quelle idiote !

Après avoir maudit pendant cinq bonnes minutes les biscuits et les bouteilles d'eau, je me mis à tenter d'observer au mieux ce mystérieux personnage.

La nuit étant à présent bien installée, je dois avouer que je ne voyai pas grand-chose.

Les lampadaires de ma rue éclairaient presque partout, sauf là où se tenait le type. C'était à croire qu'il l'avait fait exprès !

Pendant de longues minutes, je restai à l'observer. Je tentai désespérément de capter le moindre détail.

Tout ce que je pus constater, c'est que cet homme possédait une carrure relativement imposante. Il était large d'épaules et son t-shirt laissé entr'apercevoir des bras puissants.

C'était un sacré bestiau !

Je passai une bonne partie de la nuit à l'épier de mon observatoire.

De temps en temps, j'apercevais sa silhouette se levant pour faire quelques pas et se rasseoir.

Durant toutes ces heures, je l'ai vu se retourner trois fois. Il semblait regarder dans ma direction, et à chaque fois qu'il se tournait, je tentais de voir les traits de son visage, mais à aucun moment je ne pus y parvenir.

Cette nuit-là, j'ai passé de longues heures à tenter de trouver une explication logique et rationnelle à ce comportement.

Pourquoi ce type venait-il tous les soirs s'installer devant chez moi ? Que cherchait-il exactement en se comportant de cette manière ?

J'émis l'hypothèse d'un tueur qui vient observer sa proie avant de passer à l'acte. Cependant, et ça, je ne saurais l'expliquer, sa présence ne me faisait pas l'effet d'une menace.

À bien y réfléchir, j'en suis même venue à me dire que c'était plutôt rassurant…

Je devais en être à peu près là dans mes pensées, lorsque le sommeil me faucha en traître.

Au petit matin, le réveil fut des plus difficiles.

J'étais toujours plus ou moins nauséeuse et les heures passées sur ma chaise avaient fini de m'achever. J'étais percluse de douleurs et de courbatures.

Je descendis tant bien que mal jusqu'à la cuisine et ne put avaler qu'un thé léger.

Décidant que ma journée n'allait pas être des plus actives, je me préparai un programme digne de ce nom. Télé et canapé, le tout sous mon plaid préféré. Un truc de folie, quoi !

Alors que j'appliquais mon programme depuis déjà quelques heures, je dus m'extraire de mon nid pour aller chercher une autre couverture. J'étais parcouru de frissons et je grelottais.

Il fallait que je me rende à l'évidence ; j'avais de la fièvre. Apparemment, la grippe avait bel et bien fait une escale en moi, malgré ce beau mois de juin.

En revenant de ma chambre, je fis un crochet par la salle de bain et attrapai le thermomètre. Je l'allumai et le fourrai dans ma bouche, puis, je redescendis m'affaler sur le canapé.

En voyant l'un des acteurs du feuilleton que je regardais, je ne pus m'empêcher de comparer sa carrure à celle de mon mystérieux type. Du coup, mon esprit divagua vers ce dernier et toutes les questions sans réponses firent leur grand retour.

De petits bips insistants me firent revenir à la réalité. Je retirai le thermomètre et regardai le chiffre indiqué : 38°1.

Mais quel gamin ce corps ! Il me faisait tout un simulacre de grande grippe pour seulement 38°1 !

Je posai le thermomètre sur la table basse et me blottis confortablement sous mes différentes couches de chaleur.

Mes pensées revinrent rapidement au type de la borne. Je dus admettre que j'étais assez partagée dans mes sentiments. D'un côté, son comportement me paraissait étrange et m'inquiétait quelque peu ; d'un autre côté, je trouvais cela rassurant d'avoir un grand type baraque qui montait la garde chaque soir. C'était presque excitant.

Mon après-midi s'était donc déroulé tranquillement, entre pensées pour mon type mystérieux, visionnage de quelques feuilletons de seconde zone et micros-siestes récupératrices.

Une vraie vie palpitante, quoi !

Enfin, tout ceci avait dû me requinquer quelque peu, car je me sentais moins fiévreuse et je commençais même à avoir faim.

Je m'extrayais donc de mon cocon douillet et me dirigeai, d'un pas un peu chancelant, vers la cuisine. Si la fièvre avait baissé, les courbatures, par contre, étaient toujours bien présentes.

Je pris donc un cachet de paracétamol, accompagné d'un grand verre d'eau, puis je jetai un œil au contenu de mon réfrigérateur. J'attrapai le reste de pâtes de la veille et les mis à réchauffer dans une poêle.

Lorsque mon assiette fut pleine, je retournai m'asseoir sur le canapé.

La télé diffusait une téléréalité.

« Y'a pas à dire, ma grande, pensais-je en regardant tous ces jeunes s'ébrouer dans une piscine, c'est bien en regardant ce genre de truc que tu vas t'enrichir intellectuellement ! »

Mais cette réflexion ne m'empêcha pas de continuer de regarder le programme.

L'un des candidats me fit de nouveau penser à mon type de la borne téléphonique.

Décidément, il ne quittait plus mes pensées !

Je me mis à réfléchir…

« Et si j'allais le voir, finis-je par me dire. Qu'est-ce que je risque au fond ? Si ça se trouve, il attend désespérément une fille qui ne vient pas. Il est peut-être au bord du gouffre et pense à se suicider… »

J'avoue que j'ai eu plusieurs idées géniales et du même acabit, où le mystérieux type devenait un pauvre petit être fragile et non un horrible tueur psychopathe et sanguinaire, attendant son heure pour me trucider.

Après plusieurs minutes d'une intense discussion avec moi-même, je prenais l'une des plus grandes décisions de ma vie[2]. Ce soir, s'il était de retour devant chez moi, j'irais parler à cet homme.

La curiosité avait, une fois de plus, gagné sur la raison. Mais cette dernière était tout de même parvenue à me faire penser à prendre quelque chose pour me défendre au besoin.

Après avoir pris cette décision, je me sentais comme plus légère, plus dynamique. Finie la grippe ! Finie la fièvre ! Ouais, enfin, bon… Le paracétamol commençait peut-être, aussi, à faire son effet…

Malgré mon dynamisme, j'avais dû quelque peu m'assoupir.

Lorsque je me réveillai, la nuit était tombée.

Je me levai d'un bond de mon canapé, fit une grimace de douleur, car mes courbatures se rappelèrent à mon bon souvenir et me précipitai vers la fenêtre.

« Mince ! me dis-je. Il est déjà là ! »

Je m'apprêtai à me saisir d'un de mes couteaux, afin de l'utiliser comme arme au cas de besoin, mais je me ravisai, me rappelant soudainement que j'étais encore en pyjama et qu'un petit détour par la salle de bain ne serait peut-être pas un luxe.

« Me faire tuer : oui, annonçais-je à voix haute, mais en étant présentable ça sera bien mieux ! »

Je filai donc à l'étage, pris une rapide douche, un coup de brosse dans mes cheveux et j'enfilai un jean et un t-shirt.

Avant de redescendre, je jetai un coup d'œil par la fenêtre de ma chambre.

Le mystérieux type était toujours là, mais il n'était plus seul.

Peut-être la personne qu'il attendait depuis des jours, était-elle enfin arrivée.

Je pris quelques instants pour observer la scène se déroulant devant mon portillon. Il me semblait que quelque chose clochait.

La lune éclairait un peu plus que d'habitude ce soir-là et je pus donc distinguer, sans trop de difficulté, ce qui se tramer.

Mon type était debout. Il me tournait toujours le dos.

Sous les rayons de la lune, il me paraissait encore plus grand et plus massif que les soirs précédents.

Son attitude me parut étrange. Il se tenait sur ses gardes. Tout dans sa posture laissait présager qu'il était prêt à se battre.

La silhouette, face à lui, fit un pas et je pus mieux la distinguer.

C'était un homme et lui aussi était de grande taille ; par contre, sa carrure était beaucoup moins impressionnante que celle de mon type. Il était plus longiligne.

Sa posture semblait plus décontractée.

Apparemment, tous les deux discutaient, mais quelque chose me disait que ce n'était pas une conversation amicale.

Après plusieurs secondes, les deux hommes se rapprochèrent quelque peu. Le ton semblait monter. Le nouveau venu n'avait plus sa pose nonchalante. Lui aussi était passé à une posture de combat.

Je sentis mes poils se hérisser sur mes avant-bras et des fourmillements apparurent sur ma nuque. Ils allaient finir par se battre, j'en étais certaine.

J'aurai peut-être dû faire quelque chose, intervenir, prévenir la police, mais cette scène était des plus subjuguant. Horrible, mais subjuguant ! Je ne parvenais pas à détacher mon regarde de cet étrange drame qui se jouer juste devant moi. J'observais cette rencontre, comme hypnotisée. Je ne savais pas pourquoi, mais un drôle de sentiment commençait à m'envahir. Je m'inquiétais pour le type qui avait passé ses soirées sur ma borne de téléphone.

Peut-être était-ce que de le voir tous les soirs, me donnait cette impression de le connaître un peu. Et peut-être était-ce aussi dû au fait, que le nouvel arrivant opérait sur moi une sorte de crainte, presque du dégoût ; à la limite de la répulsion la plus totale.

Je continuais d'observer de ma fenêtre cette tension, presque palpable, qui émanait de ces deux hommes.

Mon regard se portait de l'un à l'autre, attendant fébrilement le premier geste de l'un ou de l'autre.

L'attente fut de courte durée. Sur un infime mouvement du bras du nouvel arrivant, le type de la borne poussa un terrible cri. Ce n'était pas un cri humain, mais une sorte de puissant hurlement, à la limite du bestial.

Ce cri me fit sursauter, mais je ne m'écartai pas pour autant de mon poste d'observation. Je fis bien l'inverse même ! Je m'y collais presque le visage et aplatissais mes paumes sur les carreaux.

Mon type hurlait toujours.

Il se plia violemment en deux, comme s'il avait reçu un puissant coup de poing au ventre ; pourtant, j'étais certaine que l'autre n'avait pas bougé.

Puis, il se redressa tout aussi violemment ; à tel point, que son dos forma un arc de cercle.

Il continuait de hurler.

L'autre l'observait se tordre de douleur, mais ne chercha pas à l'aider ni à fuir, d'ailleurs. Au contraire, sa réaction me parut des plus singulières ; il avait adopté une posture de combat bien plus marquée qu'au début. Ses poings étaient serrés et prêts à asséner les premiers coups.

De la buée avait commencé à se former devant moi. D'un coup de manche, je l'essuyais et continuais d'observer.

C'était étrange…

Malgré les hurlements, personne n'était encore sorti voir ce qui se passait dans la rue. Et personne n'avait encore appelé la police. C'était à croire que mes voisins se moquaient royalement que deux types se massacrent dans la rue.

J'en étais à me poser ces questions, lorsque je sentis mon souffle se faire plus rapide, plus saccadé.

Cette situation me mettait dans un état bizarre.

La tête commençait à me tourner. Je me forçai à respirer le plus calmement possible, mais cela n'y changea rien.

En bas, les deux hommes étaient toujours là.

Mon type hurlait toujours en se tordant dans d'atroces convulsions. Puis, soudain, je le vis bondir en direction de son adversaire.

C'est alors que je vis la chose la plus incroyable…

Durant son saut, l'homme changea. Sa silhouette devint d'abord qu'une épaisse masse noire et informe, puis, lorsqu'elle atteignit le nouvel arrivant, je n'avais plus aucun doute sur ce qui venait de le frapper en pleine poitrine.

Un énorme loup noir s'écharnait désormais sur le second type.

La frayeur m'envahit un instant.

Je vis le loup s'attaquer à pleine bouche au bras de son adversaire. Mais ce dernier, loin d'être anéanti par ces assauts, rendait coup pour coup à l'animal.

La lutte était terrible.

De ma fenêtre, je pouvais entendre les cris de l'un se mêlant aux grognements de l'autre.

Je ne sais pas combien de temps a duré cet affrontement. Le temps me sembla suspendu.

Devant cet horrible spectacle, je me sentis de plus en plus nauséeuse. Des vertiges me prirent et mon souffle se fit de plus en plus haletant.

Lorsque le loup attrapa à pleine gueule la gorge de son adversaire, je ne pus me retenir et mon corps entier s'écroula.

Je glissai dans l'inconscience.

Je me suis réveillée le lendemain à 9h37. Je me trouvais dans mon lit et en pyjama.

Je me suis redressée et j'ai jeté un œil vers ma fenêtre. Les volets étaient mis en « tuile ».

Je me sentais quelque peu vaseuse, mais les courbatures qui m'accompagnaient ces derniers jours avaient disparu. Il me semblait que c'était également le cas en ce qui concerne la fièvre. Pour tout dire, j'avais même faim. Et une sacrée faim qui plus est !

Je me levai donc, ouvris la fenêtre et les volets. Je jetai un regard à la rue. Cette dernière était vide et nickel.

– Ce n'était qu'un foutu cauchemar, marmonnais-je. Un cauchemar hyper réaliste, mais seulement un cauchemar…

Je me frottai le visage énergiquement.

Avant de descendre prendre un copieux petit déjeuner, je décidai d'aller prendre une douche. Cela me permettrait de me réveiller et en plus je me sentais un peu poisseuse. J'avais dû pas mal transpirer pendant la nuit !

L'eau tiède coulant sur ma nuque et dans mon dos me fit un bien fou.

Après ma toilette, je cherchai mon jean et mon t-shirt. Impossible de remettre la main dessus.

– Mais qu'est-ce que j'ai bien pu en faire ?! m'exclamais-je, les poings sur les hanches, en faisant d'un regard le tour de ma chambre.

Ne trouvant pas mes vêtements, j'en pris d'autres dans l'armoire, je les enfilai et dévalai les escaliers, direction la cuisine.

Je me fis un petit déjeuner de roi… Non ! Pour être vraiment honnête, je me suis fait un petit déjeuner qui n'avait de petit que le nom. C'était gargantuesque ! Je crois bien que je n'avais jamais autant mangé de ma vie.

Tout en avalant goulûment mes croissants, je repensais à mon cauchemar.

C'était vraiment affreux ! Comment le cerveau humain peut-il créer des choses aussi horribles ? De plus, ce rêve me laissait une drôle de sensation. Il me semblait tellement réel. La peur que j'avais ressentie, je la ressentais encore. Et cette étrange impression que j'avais frémi pour le type à la borne avait du mal à me quitter.

Au bout d'un moment, je dus me rendre à l'évidence : j'avais quand même un petit doute qui persistait…

Je décidai d'aller jeter un rapide coup d'œil dans la rue.

J'attrapai les clefs de la boîte aux lettres et sortis.

Je regardai aux alentours. J'allai au centre de la rue, afin d'examiner d'éventuelles traces ; je furetai autour de la borne téléphonique, mais rien !

Il n'y avait aucune trace, aucune tache de sang… Rien !

J'ouvris ma boîte aux lettres et pris les deux enveloppes qui s'y trouvaient.

Au moment où je m'apprêtais à rentrer, j'aperçus ma voisine qui revenait de ses courses. Je profitai de l'occasion pour lui poser, subtilement, quelques questions sur la nuit dernière.

Ses réponses me déçurent. Elle n'avait vu personne ni entendu de hurlements de chien.

Oui, j'ai préféré lui mentir en parlant de « hurlements de chiens ». Je ne me voyais pas lui demander si elle n'avait pas entendu ou vu un énorme loup attaquer un gars juste devant chez moi, au beau milieu de la nuit…

Enfin, toujours est-il qu'elle n'avait rien vu ni entendu.

Je rentrais donc chez moi avec un état d'esprit mitigé. J'étais à la fois soulagée, cette horrible scène n'était qu'un mauvais rêve ; mais j'étais également un tout petit peu déçue et je n'arrivais pas à m'expliquer pourquoi.

Y'a pas à dire, j'suis bien une fille ! La complexité à l'état pur !

Ma journée passa sans que j'eusse de réelles occupations.

Mes pensées étaient monopolisées sur mon cauchemar. Les scènes et les atrocités tournaient en boucle dans mon esprit.

En fin d'après-midi, n'y tenant plus, je me suis décidée à coucher mon rêve sur papier.

J'étais persuadée que je pouvais en tirer quelque chose d'intéressant.

Je montai donc dans ma chambre, m'installai à mon bureau et pris quelques instants pour réfléchir à cette histoire. Avais-je assez de matière pour en faire un roman ? J'en doutais quelque peu… J'optai donc pour le format de la nouvelle.

Je pris mon carnet dédié à l'écriture de ce genre, mon stylo-fétiche et je me suis mise au travail.

Les mots coulaient à flots sur les pages. Les idées s'enchaînaient toutes seules.

J'écrivis durant plusieurs heures sans relever le nez de mon carnet.

Je dus tout de même faire une pause, lorsque mon bras, et surtout mon poignet, commença à me faire horriblement mal.

Je décidai de m'arrêter le temps d'aller me restaurer et de détendre mes membres endoloris.

Cette fois encore, je mangeai comme un ogre.

Ma grippe semblait bel et bien terminée et mon organisme rattrapait son retard et mettait de la bonne volonté à se requinquer.

Lorsque j'ai eu terminé, je décidai de jeter un rapide coup d'œil aux actualités. J'allumai la télévision et zappai directement sur la chaîne infos.

Je regardais attentivement chaque reportage, lisais tous les bandeaux d'informations qui défilaient, mais aucun ne parlait de faits étranges survenus la nuit dernière, ou de la disparition d'un homme.

Au bout de trente minutes, le présentateur revint sur la première information qu'il avait traitée.

J'éteignis le poste, sachant pertinemment que j'allais revoir les mêmes reportages. C'est l'inconvénient des chaînes infos ; elles tournent rapidement en rond.

Je me levai du canapé et m'étirai dans tous les sens possibles.

– Bon ! J'y retourne ! fis-je en frappant un grand coup dans mes mains pour me motiver.

Je remontai donc dans ma chambre.

J'allai me rasseoir à mon bureau, lorsque j'aperçus une silhouette familière dans la rue.

Je m'approchai de ma fenêtre.

Il était de retour !

Le type qui venait tous les soirs était de nouveau devant chez moi ; mais cette fois, il ne faisait pas encore complètement nuit et il n'était pas assis sur ma borne de téléphone !

Il était debout, face à ma fenêtre, et il regardait dans ma direction !

Lorsqu'il me vit, il me fit un grand signe.

J'eus d'abord un doute… S'adressait-il à moi ?

La certitude vint, lorsqu'il réitéra son geste.

Apparemment, il souhaitait que je le rejoigne.

Je ne pourrais pas vous expliquer pourquoi, mais je suis redescendue immédiatement, pour le retrouver. Je n'ai même pas pris mon couteau, ou quoi que ce soit, pour éventuellement me défendre.

J'ai juste dégringolé les marches, ouvert ma porte et je suis sortie.

Je m'approchai de lui doucement, essayant de percevoir les traits de son visage.

Lorsque je fus à sa hauteur, nous nous saluâmes rapidement, puis un silence gêné s'installa.

Il finit par le rompre.

– Ça va ? demanda-t-il simplement.

Je fis un bref hochement de la tête.

Il bougea légèrement et la pâle lueur du réverbère se posa sur son visage.

Je pus enfin le voir.

Pendant quelques secondes, je scrutai chaque trait, chaque ombre qui s'offraient à moi. Contrairement à ce que pouvait laisser supposer sa carrure, il avait un visage plutôt fin, presque enfantin.

Ses yeux sombres étaient chaleureux et intenses. Son nez était quelque peu busqué et ses lèvres pulpeuses.

Je le trouvais plutôt beau, même assez séduisant.

Il me fit un splendide sourire et reprit :

– Le temps est couvert ce soir…

Je fis de nouveau un bref hochement de tête.

Mais pourquoi n'arrivais-je pas à prononcer le moindre mot ? Je me sentais cruche à rester ainsi, muette comme une carpe.

– Il va sûrement pleuvoir, continua-t-il.

Je persistai dans mon silence.

– Au fait, fit-il, comment te sens-tu depuis hier soir ? Pas trop fatiguée ? Et la nourriture, ça va ? Tu n'es pas trop affamée ?

Je fus plus que surprise par ses questions.

Apparemment, il était au courant pour hier au soir. Il savait que je me trouvais aux premières loges lors de son altercation…

« Mais alors, pensais-je, ce n'était pas un cauchemar ! Ce que j'ai vu hier s'est réellement passé ! »

Je déglutis difficilement. Des tonnes de questions vinrent se bousculer dans mon esprit. Qu'allait-il faire maintenant ? Qu'était-il arrivé à l'autre homme ? Et comment savait-il que je mangeais comme quatre depuis ce matin ?

Je me décidai à ouvrir la bouche et à lui poser la dernière question.

Son sourire s'élargit encore plus.

– C'est toujours comme ça les lendemains de pleine lune, me répondit-il de façon énigmatique.

– Comment ça ? Je n'ai jamais mangé en fonction de la lune…

– Maintenant, ça va changer !

– Qu'est-ce que tu veux dire par là ? Pourquoi ça changerait maintenant ? Et puis, tu es qui ?

Sans se départir de son sourire, il me regarda quelques instants.

– C'est vrai que je ne me suis pas présenté et c'est vrai aussi, que tu as peut-être besoin de quelques explications.

Je m'appelle Sébastien. Sébastien Dumirant.

Il me tendit une main.

Je regardai quelques secondes cet énorme battoir tendu vers moi, puis j'y glissai la mienne et serrai énergiquement.

– Moi, c'est Anne. Anne Gounod.

– Enchanté, Anne Gounod ! Dis-moi, maintenant que les présentations sont faites, pourrions-nous entrer pour pouvoir discuter plus tranquillement ?

À ce que je vois, il faut que je t'informe de quelques petits trucs et il faut peut-être que je te donne des explications au sujet d'hier soir…

Je crois bien que mon cerveau n'avait jamais aussi vite réfléchi. Deux solutions s'offraient à moi. Je refusais qu'il entre et je pouvais faire une croix sur les explications ; ou j'acceptais et j'avais mes explications tant attendues, mais j'avais peut-être également un horrible psychopathe dans mon salon, qui, du coup, serait bien plus à son aise pour me trucider.

Ce n'était pourtant pas dans mes habitudes, mais j'ai choisi la deuxième option.

Nous sommes donc retournés à l'intérieur.

Je l'invitai à s'asseoir et lui demandai s'il désirait boire quelque chose.

– La même chose que toi, me répondit-il avec un large sourire.

– J'allais me faire une tisane !

– Va pour une tisane, alors !

Je mis de l'eau à bouillir, sortis deux grandes tasses dans lesquelles je glissai des sachets.

Lorsque les tisanes furent prêtes, j'allai le rejoindre dans le salon.

Il était assis sur le canapé ; je m'installai donc sur le pouf se trouvant en vis-à-vis. J'ai horreur de m'asseoir sur ce pouf, mais je préférai être face à lui.

Nous bûmes quelques gorgées dans un silence quasi religieux. Les tisanes étaient bien chaudes, cela me détendit quelque peu.

Après cet instant de répit, je posai ma tasse et le fixai d'un air d'attendre.

Il comprit mon regard, posa sa propre tasse et se cala au fond du canapé.

Il s'expliqua pendant près d'une heure, me donnant tous les détails sans que je formule la moindre question.

Je l'écoutais.

Au début, je dois avouer, j'étais plus que surprise. Puis, je passai dans une phase de scepticisme profond. Mais, lorsque l'idée finit par faire son chemin dans mon esprit, je fus quelque peu sonnée.

– Alors c'était donc ça, finis-je par marmonner. Pendant toutes ces nuits, tu venais me protéger. Pendant toutes ces nuits, tu es venu faire le pied de grue devant chez moi, pour être sûr que ma transformation se passerait bien…

– C'est exactement ça.

– Mais… attend ! L'autre type, tu m'as dit qu'il faisait partie de l'autre clan ? C'est quoi ce clan exactement ?

– Le clan des Korius. C'est une vieille famille de vampires. Il cherchait à te tuer, afin d'éviter qu'un nouveau membre rejoigne notre clan. C'est toujours ce qu'ils cherchent à faire. Ils veulent nous voir disparaître et c'est le seul moyen qu'ils aient trouvé. Pour eux, il faut nous exterminer au seul moment où nous sommes les plus vulnérables, au moment de notre toute première transformation.

Je restai, quelques instants, silencieuse.

L'autre type de la veille était donc un vampire. OK ! Normal !

Je me frottai vigoureusement le front et repris :

– Et donc, hier soir, tu dis que je ne me suis pas évanouie, mais… transformée ?

– C'est encore exact ! Tu avais dû commencer à en ressentir les prémices : fièvre, courbatures… Hier, c'était la pleine lune, donc…

– Donc, je suis devenue un loup-garou. C'est ce que tu es en train de me dire.

– Je préfère le terme de lycanthrope. C'est plus classe !

Je le regardais d'un œil morne. Il faisait de l'humour, alors qu'il venait de m'annoncer l'une des pires choses de ma vie.

Qu'allais-je devenir ? Qu'allais-je faire de ma vie à présent ?

– Mais pourquoi ? m'écriais-je soudain, les yeux bordés de larmes.

– Heu, parce que c'est ta destinée, fit-il, surpris par ma réaction brutale. Tu as ça dans les gènes. Tu es née lycanthrope. Mais, rassure-toi, ça ne changera strictement rien à ta vie. Tu vivras presque normalement, sauf, qu'à chaque pleine lune, tu te modifieras quelque peu… Et tu auras aussi un peu plus d'appétit que la moyenne des gens, mais ça, ce n'est pas vraiment un inconvénient… Enfin, de mon point de vue.

Je n'y tins plus et j'éclatai en sanglots.

J'ai pleuré pendant de longues heures. J'ai aussi crié et frappé Sébastien. Puis, j'ai pleuré de nouveau.

Lui restait serein. Il me regardait, me disait des mots rassurants et tentait de m'expliquer au mieux ce que serait ma vie à présent[3].

Après plusieurs heures, la fatigue eut raison de moi. Je décidai d'aller me coucher.

J'allais monter l'escalier, lorsqu'une dernière question se présenta à mon esprit.

Je me retournai vers Sébastien :

– Qui m'a mise au lit cette nuit ? C'est toi ?

– Oui.

– Qu'est-ce que tu as fait de mes vêtements ?

– Je les ai mis à la poubelle. Lors des premières transformations, on a une fâcheuse tendance à mettre nos fringues en lambeaux…

Je posai un dernier regard sur le jeune homme et montai me mettre au lit.

Une fois dans ma chambre, j'entendis la porte d'entrée se refermer. Je regardai par la fenêtre et vis Sébastien s'éloigner, après m'avoir fait un dernier signe de la main.

Je fermai les volets, j'enfilais mon pyjama et je me glissai dans mes draps.

Je m'endormis comme une masse ; les heures passées à pleurer m'avaient lessivée… 

Voilà ! Désormais, vous connaissez toute l'histoire !

Sébastien n'est donc pas un tueur psychopathe qui en voulait à ma petite personne, mais un lycanthrope qui a passé plusieurs nuits à veiller sur moi, afin que ma transformation se passe au mieux.

Depuis, il revient presque tous les jours pour m'apprendre les choses essentielles de ma nouvelle vie. C'est un peu mon ange gardien à moi…

À présent, je vous laisse ; ce soir, j'effectue ma première transformation en étant pleinement consciente de le faire. J'ai très hâte du coup !

À bientôt.

* * * * *




[1] Oui, la téléréalité aide à vous vider l'esprit, mais aide aussi à remplir votre ventre et les poignées d'amour par la même occasion !

[2] Oui, je pense toujours que les décisions que je prends sont les plus grandes décisions de ma vie… Allez savoir pourquoi !

[3] Il supportait même les coups que je lui donnais, sans dire trop de « ouille » ou de « aïe ».


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