L'annonce à Charlie

Stéphane Monnet

Courte nouvelle.

L'annonce apparut le 14 janvier 2015, le lendemain de l'assaut à Dammartin-en-Goële. D'après les investigations qui furent menées par la suite, elle avait été postée le jour même à 10h04. Visible depuis cet horaire-là, il semblerait qu'elle ne fut pas remarquée avant 11h22. Ou, en tout cas, les internautes qui seraient tombés dessus ne l'auraient pas relevée.
Le premier signalement vint d'un certain @fautpaslenerve. Son tweet de 11h22 comprenait une capture d'écran de l'annonce et cette légende : "Esprit #Charlie ou charognard immonde ?" Deux commentaires furent postés dans les secondes qui suivirent estimant qu'il s'agissait d'un "fake". Quand la barre des 100 retweets fut franchie, la question n'était pas tranchée et les commentaires horrifiés l'emportaient sur les adeptes de l'humour noir. Deux signalements pour "tweet dérangeant" avait été envoyés à la plateforme américaine qui n'eut aucune réaction.
À 12h04, une capture d'écran similaire à celle diffusée sur twitter arrivait sur facebook et connaissait une diffusion fulgurante. Les utilisateurs se séparaient rapidement en trois groupes bien distincts : ceux qui applaudissaient joyeusement en pensant qu'il s'agissait d'une blague (que beaucoup jugeraient de mauvais goût ou du goût de Charlie Hebdo), ceux qui applaudissaient joyeusement en espérant que l'annonce fut vraie sans trop savoir ce qui les réjouissait et ceux qui en dénonçaient le contenu avec effarement.
Une mention rapide fut faite sur une radio commerciale lors de l'édition des journaux de 13 heures. Le journaliste ne prenait pas parti (fake ou non) et se contentait de relayer des réactions pêchées sur le web. Son intervention alimentait le buzz et déclenchait l'entrée en scène des chaînes de télévision d'informations continues.
Ces dernières devaient toutefois se contenter des captures d'écran en circulation sur la toile. Contactés à plusieurs reprises en quelques minutes, les responsables du site d'annonces avaient préféré jouer la prudence et retiré le contenu problématique. Ils durent toutefois s'expliquer auprès de la section antiterroriste de la brigade criminelle et fournir toutes les informations à leur disposition. Les enquêteurs ne négligeaient aucune piste et ils remontèrent celle-ci jusqu'à un bar offrant le wifi à ses clients. Il était situé en face d'une gare de banlieue. La serveuse fut incapable de se souvenir à qui elle avait fourni les codes wifi ce jour-là et la majorité des consommateurs avaient réglé en liquide.
L'affaire s'arrêta là. Le doute demeurerait toujours et ferait longtemps le bonheur des adeptes du complot : quelqu'un avait-il réellement tenté de vendre un Charlie Hebdo N°1177, taché du sang des victimes ?




 



Signaler ce texte