L'apprentissage - 2
ladyquiet14
Je me réveille, le sang bat à mes tempes. Je sens que la migraine ne va pas tarder à pointer le bout de son nez. J'ai mal à l'arrière de la tête, comme si j'avais pris un coup, je veux tendre la main pour vérifier l'état des dégâts et la bosse qui est sans doute présente. Mais je n'y parviens pas… Je suis bloquée, je n'arrive pas à soulever ma main, quelque chose la retient. Alors j'ouvre précipitamment les yeux. Une violente lumière blanche m'aveugle. Je cligne plusieurs fois des paupières, laissant mes yeux s'adapter à la luminosité. Mon cœur bat déjà la chamade… Je sais très bien où je suis et pourquoi j'y suis à nouveau. Mais cette fois je ne pourrais pas leur échapper, je sais d'avance que ça ne sera pas aussi facile. Je sens ma respiration s'accélérer. Du calme, je me sermonne à nouveau. Faisons un bilan de la situation. J'en fais toujours, mais généralement, ils ne sont jamais très positifs ni mirobolants… Je joue dangereusement un jeu que je ne contrôle plus, que je n'ai même jamais contrôlé… Bon, étape par étape, concentrons-nous… Je suis allongée sur le dos. J'arrive doucement à relever ma tête, je découvre alors ce qui m'empêche de lever les bras et le torse : des sangles de cuir… A mes poignées, à mes chevilles, mes genoux, mon bassin, mon torse, et même une au niveau des épaules. Ne pas crier, ne pas crier… La petite voix dans ma tête me dicte ce que je dois faire. Il me faut toute ma volonté pour lui obéir. J'essaie tout de même de me dégager, je me secoue dans tous les sens, mais je sens que je m'épuise rapidement. De la sueur froide perle déjà sur mon front et dans mon dos. Celle de la peur… Je retourne à mon inspection de la pièce, ne pouvant rien faire d'autre. Je regarde la lampe au-dessus de moi, on dirait une lampe comme dans un bloc opératoire, une lampe spécialement utilisée pour toutes les opérations chirurgicales… Un frisson me parcours l'échine. Je tourne la tête sur les côtés pour voir dans quelle salle je suis enfermée. Je regarde les murs blancs salis, plein de poussières, de crasse, de toile d'araignées, de tâches rouges… Brr, nouveau frisson… Le carrelage blanc est devenu gris sous la poussière, on repère tout de même des traces récentes de pas… Surement quand on m'a conduite ici, et probablement pour me surveiller… Je cherche une caméra quelque part mais n'arrive pas à en repérer. Je regarde sur les murs, je ne repère rien d'autre que ces horribles armoires en métal, ouvertes, avec des bocaux remplis de liquide, chacun avec une forme indistincte qui y flotte… J'ai un mauvais souvenir qui remonte, je ressens à nouveau la panique. Je me rends compte que même si elle est due au souvenir, elle était toujours là, comme si elle attendait, tapie sous ma peau, prête à ressurgir au moment opportun, le pire pour moi… Je me rappelle aussi, les tables à roulettes en inox. Je regarde près de moi, en effet, il semblerait que ce soit cette salle, celle de ma mémoire, l'une de mon cauchemar… La réalité, l'horreur que j'ai dû vivre… A ma droite, près du lit, se trouve une de ces tables. Contrairement au reste de la pièce, elle semble avoir été nettoyée, pas à fond, mais elle n'est plus poussiéreuse. Ce qui m'inquiète plus, ce sont les objets rouillés posés dessus… Comme en prévision d'une opération, en prévision d'une torture. Je repère un genre de cisaille, un bistouri, différentes pinces, des aiguilles… D'autres souvenirs remontent, et c'est alors que je tremble, de tous mes membres. Je divague, ma tête va exploser ! La lumière devient soudain trop forte, je n'arrive pas à retenir quelques gémissement. La douleur interne est trop forte. Il en faut, c'est nécessaire, MAINTENANT ! La voix crie dans ma tête, mais je ne peux pas, je ne peux pas bouger et faire ce qu'elle veut. Les tremblements augmentent, j'ai froid et chaud à la fois, je tremble et transpire. C'est aussi à ce moment que je remarque que je porte une de ces blouses d'hôpitaux en papier, mais je ne m'attarde pas sur cette constatation, la porte vient de s'ouvrir et de se refermer dans un grand fracas. Je tourne la tête et lutte pour garder les yeux grands ouverts.
« Relâchez-moi ! » Je crie, mais seuls des sons étranglés sortent. Je regarde l'homme approcher, il est grand et a le visage masqué par un capuchon. Le capuchon est celui d'un long manteau blanc, immaculé. Ce blanc fait mal aux yeux dans cette pièce si salle. Je tremble de peur cette fois. Que va-t-il me faire ? Il se rapproche et je peux maintenant voir son visage, enfin, le distinguer un peu car celui-ci est recouvert de noir, surement de la peinture, ou de la crasse ? Ou pire… Du sang séché me dicte la petite voix. Je gémis à nouveau quand cette information me traverse l'esprit. Quand il est assez près de moi, je le fixe. Il lève les mains vers le haut. Ses manches glissent sur ses bras couverts de cicatrice, de saletés et de sang. Puis d'une voix d'outre-tombe, il dit :
« Tu as recommencé, l'apprentissage ne s'est pas fait correctement. Tu n'as rien intégré. Tu vas payer le prix de tes erreurs. »
Il laisse retomber ses bras le long de son corps, puis il part derrière moi tant est si bien que je ne peux plus le voir, ma frayeur est plus grande encore. Que fait-il ? Que vais-je subir ? J'entends de l'eau couler. Puis le bruit d'un robinet que l'on ferme. Puis plus rien, le silence. J'essaie de bouger, de me sortir de là, il faut que je vois, il faut que je sache ce qu'il va me faire, il le faut, que je m'y prépare. Et d'un coup d'un seul, je la sens. La brûlure. Elle irradie dans tout mon corps, sur toute ma peau, dans tous mes pores. Je hurle, la douleur est insupportable, insoutenable. L'eau bouillante à incorporé le fin tissu de ma chemise d'hôpital, ça ne refroidit pas, ça continue de me brûler. Je crie et mes larmes coulent d'elles-mêmes. Je tremble de douleur cette fois, cela ne s'arrêtera-t-il jamais ? J'ai l'impression de la chaleur rentre dans mon corps, partout, et que maintenant je la produit, comme une braise qui ravive le feu, je me consume. Je ne peux empêcher ça. Je me sens prise de vertige et sous l'effet de la douleur et de la peur, je perds conscience.
***
Je me réveille, à nouveau seule. La douleur est maintenant sourde, la chaleur s'est estompée. Mais le souvenir de la brûlure est encore cuisant. Je laisse une larme rouler sur ma joue avant de me sermonner et de me reprendre. Non, je dois lutter et leur montrer que je ne les crains pas. Ce n'est que quelques heures de solitudes plus tard que je me rends compte que je ne peux pas ne pas les craindre, mon cerveau imagine ce qu'ils pourraient encore me faire, de bien pire… Pire qu'une brûlure qui n'a pas marqué mon corps. Mon corps… Ses besoins commencent à se faire sentir, d'abord la soif qui me tiraille, ma gorge qui s'assèche… Puis la faim, mon ventre se tord, se noue. Mais personne ne vient y mettre un terme. Mais le pire, ce n'est pas ni la faim ni la soif… Ce qui fait trembler mon corps, tous mes membres en commençant par les extrémités. Le bout des doigts d'abord, en de légers tremblements à peine visible, puis ils gagnent la main, le bras, et bientôt tout le corps. C'est un manque, non pas d'eau ni de nourriture, mais un manque… Il suffirait de quelques grammes, quelques milligrammes… Et je serais bien. Une petite dose, infime, qui m'est depuis longtemps nécessaire… Ce qu'ils m'infligent… Je l'aurais surement mérité. Mais pourquoi moi ? Pourquoi pas les milliers d'autres personnes comme moi ? La douleur dans les membres, dans la tête. Ma vue se trouble, je me contorsionne, il faut que je me sauve, que je les fuis. Et à l'extérieur, il faudra que je la trouve… Ou peut-être que tout ceci n'est qu'un test, il y en aurait dans les placards, tout ceci n'est fait que pour me narguer ? Non, je divague, une fois de plus… Sans cette poudre blanche, je ne suis plus moi-même, incapable de réfléchir. Ou m'a-t-elle faite changer ? Je ne sais plus rien. Celle que j'étais avant la première fois ? Je ne sais plus. Celle que je suis devenue ? Impossible d'y songer… Je sens la sueur couler dans mon dos, sur mon front, perler à la racine de mes cheveux. Je me perds dans l'image que cette goutte qui se forme, elle glisse doucement, le long de mes tempes avant de s'écraser dans une chute magistrale, sur la table d'opération. Je sens ensuite de l'eau, sur ma cuisse, un petit jet d'abord, puis un vrai torrent. De l'eau propulsée à pleine puissance contre moi, froide, glacée, contrairement à avant. Je crie de douleur sous la puissance de ce jet. Je tourne la tête vers l'agresseur, un nouvel homme en capuchon, ou est-ce le même ? Perdue dans mes pensées, je ne l'ai pas entendu. Mais voyant mon regard sur lui, il oriente le jet vers ma tête. Je n'ai pas le temps de la tourner qu'elle est projetée sur le côté. La douleur maintenant sur ma joue martyrisée et à l'arrière de mon crâne, l'eau froide me gèle de l'intérieur. Mes pensées ralentissent. Puis il s'arrête, là j'entends la porte s'ouvrir et se fermer, je n'ose pas tourner la tête, de peur de reprendre un jet d'eau avec la puissance d'un Karcher. Ils arrivent, j'entends leur pas par-dessus le son de mes dents qui claquent et s'entrechoquent tellement je tremble de froid cette fois. Ils sont quatre, ou cinq peut-être à se pencher au-dessus de moi. Même si la lumière est forte et que leur capuchon est toujours rabattu sur leur tête, j'arrive à voir leurs yeux, mais pas leur visage… Ils sont recouverts par des masques de chirurgien… La peur me prend au ventre, et je tremble encore plus. C'est là que je la sens, une douleur infime et familière, ressentie non plus comme une douleur mais comme un plaisir. Mon corps et mon esprit se figent à cette sensation. Mon supplice est enfin terminé. Mais sans rien d'injecté, je sens l'aiguille se retirer, tandis qu'au même moment deux autres entrent dans ma peau, sur mon bras et ma cuisse gauche. Mais cette fois, la douleur est bien là. Simultanément, je suis piquée par les aiguilles, rapidement, profondément, avec force et rapidité. Sans aucune injection, juste pour subir la piqûre, les piqûres. Je sais qu'elles laisseront des marques, comme celles que je me suis infligée sur les bras, dans le creux de mon coude. Je sens la douleur, mais je suis à la fois, et surtout frustrée, mon corps est dans l'attente, la sensation familière n'est pas suivie du plaisir qu'elle m'engendre habituellement. Puis je décide qu'il faut que cela cesse. Je me débats comme une furie, je veux qu'on arrête cette mascarade effectuée seulement pour me torturer, physiquement, mais surtout mentalement. Je me débats et les lanières de cuir s'enfoncent dans ma chair. Je sens encore continuellement les aiguilles s'enfoncer. Je donne un coup de jambe comme je le peux avec mes mouvements limités, mais il a pour seul effet de casser l'aiguille plantée à l'instant à cet endroit. La douleur est forte et je gémis. L'homme encapuchonné n'y prête pas attention, il continue d'enfoncer l'aiguille cassée dans mon corps à divers endroits. Je sens mon sang qui coule, bientôt suivi par mes larmes. Larmes que je ne peux retenir. Je craque. Et cela cesse, ils s'arrêtent brutalement, me laissant là, toute tremblante. Je n'arrive pas à reprendre mes esprits, je me débats encore, trempée de sueur, ou d'eau ? Ou les deux peut-être. Je tremble encore et me retrouve ensuite calme. Je me demande au bout d'un moment si je n'imagine pas toutes ces choses. Mais ma condition me prouve le contraire, je suis bien dans cette pièce sordide, attachée par des sangles à une table d'opération. Je sens bien la douleur de la présence de cette aiguille dans ma cuisse, et c'est bien du sang qui en coule, comme il perle à chaque petite piqûre qui m'ont été infligées. J'ai pourtant maintenant en y réfléchissant, pas eu l'impression que les hommes sont partis. Ils se sont comme évaporés, ça a été si soudain. Mais en me débattant et sous l'effet de la douleur, de la peur, du manque et de la frustration, je ne les ai pas entendu partir. Je ne sais plus, une fois de plus tous mes sens sont brouillés, je ne sais plus distinguer le vrai du faux. Si tout ce cauchemar est vrai, une fois de plus, je ne veux pas qu'il continue. Je sais que, une fois dehors et sortie de cet enfer, je ne pourrai pas m'en empêcher, je recommencerai. Le besoin est vital, plus fort que moi, et ma volonté n'est pas assez forte, en tout cas pas pour ça. Tu es faible. A ce moment, des images me reviennent, celles de ma fuite dans les couloirs, dans les escaliers de cet horrible endroit, lors de ma première capture… Ma volonté de vivre, de me sauver, de m'enfuir était inébranlable. Seule la peur était toujours omniprésente. Et elle l'est toujours actuellement. Ce qui me manque, c'est la volonté. Mais celle pour survivre devrait être suffisante, je sais les effets néfastes que cela a sur mon corps, que ça peut me tuer. Et justement je fais attention, à ne pas en prendre trop. Non, je n'ai pas de volonté. Et c'est ce qui me condamne ici. Je n'ai pas retenu la leçon, je ne l'ai pas bien apprise… J'aurais dû tenir compte de leur avertissement, être sage et me reprendre en main. Mais j'ai rechuté. J'ai replongé. Je relève un peu la tête, assez pour voir sur mon corps la multitude des piqûres qu'ils m'ont infligées, ainsi que toutes mes cicatrices, que je me suis infligées… La vérité, elle est là, dans ces cicatrices, la réalité, vue d'en face, vue de mes propres yeux. La vérité de ce que je suis, sur ce que je suis devenue… Une droguée. Et pourtant, je ne le voulais pas… Mais c'est à cette soirée, que des « amis » m'ont forcée, m'ont tentée… Impossible de leur résister, et une fois que j'ai commencé, impossible de m'arrêter… J'étais ailleurs, décalée de la vérité, de la vie elle-même… Planant au-dessus du monde, fuyant tout, fuyant ce que j'étais, ce que je suis devenue… Ils ont voulu m'ouvrir les yeux la première fois. Mais seule la peur était là, jamais la volonté. Cette fois-là, enfermée, la peur aux tripes, je n'avais pensé qu'à fuir. Même après, autour de cette table avec les autres, attachée, je n'avais songé qu'à fuir. Je me rappelle encore les mots prononcés par l'homme au masque, l'homme terrifiant, nous donnant un avertissement…
« Vous êtes ici par votre faute. Votre manque de vigilance et votre insouciance. Vous fleuretez avec la mort. »
« Vous êtes responsable de tout ceci. Vous allez maintenant apprendre. Et si vous ne changez pas ! … Nous vous retrouverons »
Et c'est ce qu'ils ont fait… Je suis à nouveau ici, terrorisée. J'ai été incapable de les écouter, de tenir compte de tout ça… Et maintenant viennent les regrets. Je ne peux m'en vouloir qu'à moi-même. Je n'aurais jamais dû accepter à l'époque, et j'aurais dû réagir. Je pleure encore, même si je sais que ça ne changera rien, je l'ai mérité, tout ce qui arrive. Oui, une punition pour ce que je me suis fait.
***
Des heures et des heures après, où fleuretant dans un demi-sommeil, je n'ai rien vu passer, rien entendu. Je ne ressentais plus rien. Comme quand on plane… Mais le bruit de la porte s'ouvrant, le grincement sur ses gonds me sortent de ma torpeur et réveillent en moi la peur et la honte de moi. J'entends les bruits de pas s'approcher de moi. Deux hommes encapuchonnés entrent dans mon champ de vision. L'un d'eux tient quelque chose dans sa main, mais je n'arrive pas à l'apercevoir… D'un coup, l'un des deux hommes s'est placé sans bruit derrière moi, sans que je le remarque tant j'étais focalisée sur ce que l'autre tenait dans sa main. Il met sa main sur mon front et appuie de toutes ses forces, m'empêchant de bouger. Elle est gelée… Le froid s'insinue en moi, comme si toute la chaleur de mon corps s'évaporait, le froid engourdit mes sens et gèle mes réflexions. Que vont-ils me faire cette fois ?! Je suis incapable de lutter. Je vois l'autre homme bouger, approcher de mon visage l'objet. Celui qui me maintient la tête d'une main essaie d'ouvrir ma bouche de l'autre main. J'essaie de résister, je le mords une fois, pas assez pour le faire saigner. Je l'entends pousser un juron puis il revient à la charge, bloquant ma bouche ouverte. L'autre homme approche doucement l'objet et verse quelque chose dans ma bouche. Je refuse d'avaler, ça déborde. Je vais m'étouffer… Je sens ma respiration se bloquer, je suffoque. On me crie d'avaler. Et je sais que je n'ai plus le choix, sinon je mourrai. Et même si j'aimerais mourir pour ne plus rien subir, je sais que je n'ai pas la volonté, une partie de moi veut vivre. J'avale donc avec difficulté le liquide. Je tousse beaucoup après. Les deux hommes réitèrent la manœuvre et je me laisse faire, n'ayant plus la force. Le liquide – de l'eau surement ? – apaise ma soif. Je bois surement l'équivalent de deux verres. Si je n'ai plus soif, la faim vient maintenant me tirailler plus fort encore. Mais ça ne sera pas pour maintenant, ils ne m'apaiseront pas totalement, pourquoi le feraient-ils ? Ils me punissent par le manque de tout. Tout ce qui m'est vital, l'eau, la nourriture, la poudre… Un déclic se fait alors. J'ai réellement cru que tout était vital pour moi. Mais c'est un nouveau sevrage, par le manque, par la peur. L'eau m'a été donnée, pour me maintenir en vie, mais je sais que je peux tenir encore sans nourriture, et eux aussi. Ce qu'ils me forceront à faire, c'est abandonner ce qui me semble vital mais ne l'est pas. Ils s'en vont tandis que je me dis que plein de gens savent vivre avec seulement ce qui est nécessaire à leur survie. Ce que je suis incapable de faire, et qu'il me faudrait apprendre si j'arrive un jour à sortir d'ici vivante… Mais je sais que si je sors maintenant, je replongerais, encore et encore. Faible… La poudre hante mes rêves, ces rêves où je plane, loin du monde et de sa triste vérité. C'est ainsi que je m'endors, au souvenir d'un trip.
Je me réveille au son des sangles qu'on me retire. Il doit encore faire nuit, quoique j'ai du mal à repérer les jours qui passent et ne saurais dire depuis combien de temps je suis là. J'analyse rapidement la situation, il y a deux hommes, les deux retirent mes sangles. Je ne sais pas ce qu'ils comptent faire de moi mais c'est le moment ou jamais de m'échapper. Dès que je sens que mes pieds, mains, hanches, taille, poitrine et tête ne sont plus serrés comme dans des étaux, je me relève d'un bond, sautant, tombant presque de la table où l'on me tenait captive. La réaction des deux hommes encapuchonnés de noir ne se fait pas attendre. L'un m'empoigne, je me secoue de toutes mes forces et voyant qu'il ne lâche pas prise, je lui mords la main de toutes les forces. Il me lâche cette fois en poussant un cri strident. Je vois le second homme, qui a du faire le tour de la table pour nous rejoindre. Je lui décoche un coup de pied bien placé qui le met KO. Mais le second s'est déjà remis de sa morsure, il grogne en me sautant dessus, je l'esquive. Je cours vers la porte qui n'est pas verrouillée, un poids me fait tomber et je m'étale de tout mon long, écrasée par l'un de mes tortionnaires. J'ai la tête et les bras dans le couloir, le reste du corps dans la pièce dans laquelle j'étais retenue prisonnière. Le couloir est comme dans mes souvenirs… Blanc, froid, maculé de poussière et de sang. Le papier se détache toujours des murs. Un néon clignote en permanence. Cette fois c'est fini, je ne peux plus partir. Je n'arrive pas à retenir quelques larmes quand l'homme m'attrape sans douceur aucune les bras pour me les attacher dans le dos. Il me relève, non sans mal, même si j'ai perdu énormément de poids ces dernières années… Quand on passe la majeure partie de son temps à planer, on en oublie de s'alimenter aussi régulièrement qu'il le faudrait, ni en quantité suffisante… On est un cadavre ambulant. Et le fait qu'ils ne me nourrissent pas n'aide pas non plus. Quelques gouttes de sang tombent de la morsure que j'ai infligée à l'homme. L'autre s'approche quand je suis remise sur mes deux jambes, il me donne un violent coup sur la tête. Je suis étourdie, non plus que ça, complètement assommée. J'ai mal, très mal. Mes jambes ne me soutiennent plus, je sens les deux hommes me tenir chacun par une aisselle. Mes pieds trainent par terre, faisant crisser le carrelage, laissant des trainées plus clair dans la poussière. Ma tête me lance, je ne sens plus mes jambes… Même si je ne suis pas inconsciente, le coup a été rude, je vois flou et ma tête pend lamentablement vers le sol. On me traine comme ça pendant un certain temps. Soudain les hommes s'arrêtent, je sens mon corps s'affaisser d'un côté, on m'a en partie lâchée. Il faudrait que je profite pour m'échapper, mais je suis trop faible et je sais bien que ce serait vain, ils me rattraperaient… J'entends le bruit caractéristique d'une porte que l'on déverrouille. Dès que la porte s'ouvre en grand, je sens une odeur de poudre. Quand l'homme me soulève à nouveau et qu'ils me font entrer, je la vois. Une grande piscine de poudre blanche. Merveilleuse poudre blanche scintillante sous la lumière. Mon cerveau se met à tourner à plein régime, enfin il essaie… J'ai l'impression de devenir folle. Il m'en faut, il m'en faut tout de suite ! Rien qu'un peu. Je sais que je ne pourrais pas, ce n'est qu'une torture de plus. J'entends un gémissement, me rendant ensuite compte qu'il vient de moi. Je ne me contrôle visiblement plus. Le mal reprend, dans les muscles, ma respiration s'accélère… Mon corps réclame, et même si j'ai conscience que c'est mal, c'est aussi ce que je désire, ce que je n'aurai pas. C'est pourquoi je suis d'autant plus surprise qu'une fois la porte refermée, les deux hommes m'entrainent vers la piscine. Ils me penchent au ras du sol, mon cerveau jubile, fou de joie, impatient ! Mais je ne comprends pas pourquoi ils font ça. Puis une fois la tête au-dessus de la poudre, je sens qu'elle n'a pas l'odeur caractéristique de celle que je connais. On dirait… Je n'ai pas le temps de réfléchir au mot que ma tête s'enfonce dans la poudre, je ferme les yeux mais n'ai pas pu empêcher qu'un peu passe entre mes paupières. De la farine. Je suffoque, ne pouvant plus respirer, j'ai de la farine dans le nez, dans la bouche, je voudrais crier mais je ne peux pas. Je sens une brûlure dans mes poumons, celle du manque d'oxygène, ce qui est réellement nécessaire pour vivre… Je panique, essaie de me délivrer, mais l'un des hommes est en appui sur mes jambes et me retient les mains, tandis que l'autre s'appuie sur mon dos et de ses deux mans me maintien la tête, m'étouffant lentement. C'est une fin pleine de douleur, pas ce à quoi je me serais attendue. Quand l'air commence à se faire trop rare, je sens la tête me tourner. Ça y est, je vais partir… Mais juste avant l'évanouissement, on me relève. J'ai juste assez de force pour cracher, ma bouche est sèche, la farine colle à ma langue. Je souffle par le nez pour la dégager et permettre à l'air d'entrer librement dans mes poumons. Je dois faire un effort surhumain pour respirer correctement. Quand ça commence à aller mieux, on me replonge encore… Et ça recommence, encore et encore. Je ne respire plus, puis ils me relèvent et je respire. Et à nouveau la tête dans la farine. Je veux leur crier d'arrêter, mais je ne peux pas, ils me contrôlent complètement. Je n'en peux plus, je suis à bout de force. Mais quand cette torture va-t-elle s'arrêter ?! Je fini par m'évanouir, pensant ma dernière heure arrivée.
***
Je prends une grande inspiration. J'ai rêvé que j'étouffais, ou peut-être n'étais-ce pas un rêve. La limite entre le rêve et la réalité est si floue ici. L'odeur de la farine est encore présente dans mon nez, même si visiblement on m'a nettoyée de mon immersion… Je tremble, si fort que mes dents s'entrechoquent, entre l'horreur de ce moment et le manque toujours de plus en plus présent… Ils me tueront avant que je ne guérisse. Voilà ce que dit la voix dans ma tête, ils ne sont pas là pour m'aider, pour me sevrer, je me débats alors furieusement mais les liens ont étés replacés et me maintiennent fermement. Les larmes menacent de couler, mais je ne dois pas céder, je me battrais, jusqu'au bout, je compte bien sortir d'ici. Et je ferai tout, si je le peux, pour ne plus jamais y retoucher. Plus faible, plus jamais. Je sais que c'est ce qui est bien, mais ma volonté est fébrile, tout comme je le suis. Une seule larme coule. Le long de ma joue, laissant une trace dans son sillage. Ce sera la dernière, je m'en fait la promesse.
***
Deux hommes viennent, toujours encapuchonnés, l'un d'eux tient un pendule dans une main. Il l'approche, je ne crois pas en ces trucs, qui pourrait bien y croire ? Il murmure, un chant, presque une supplique, ça embaume l'air, le rempli, l'autre se tient derrière moi, les deux mains de part et d'autre de ma tête, celui au pendule l'agite devant moi. Rien ne se passe, hormis le changement d'atmosphère qui vient très certainement du fait que je suis un peu effrayée, ou plutôt, carrément horrifiée. Que vont-ils encore me faire ? Quel supplice ? Soudain tout s'arrête, les chants, le pendule qui stagne à la verticale. Puis les hommes se remettent en mouvement. Le temps suspendu reprend son court, mais plus lentement, comme si ce qui allait se passer allait être décisif. Après que l'homme au pendule ait rangé ce dernier, avec une lenteur exaspérante, l'homme derrière ma tête plaque une main sur ma bouche, comme pour m'empêcher de crier, alors que je ne laissais même pas échapper un souffle. Je vois une lueur sortir du capuchon de l'autre homme, un reflet argenté. Quand je prends conscience de ce qu'il tient dans sa main, je sens déjà l'entaille du scalpel, la lame courant sur ma peau. De la ligne sur ma cuisse quelques gouttes perlent puis glissent, créant quelques sillons sur ma peau blanche, où les veines bleues ressortent. La douleur transperce mon corps cadavérique, remontant jusque dans ma tête. J'aimerais la prendre entre mes mains, mais celles-ci sont bloquées, c'est impossible, insoutenable, et ils continuent, encore et encore, et je ne peux pas crier. Non, je ne peux pas. La main m'en empêche, et en plus de la douleur des multitudes de coupures, le dégout me vient, j'ai envie de vomir, j'ai envie de mourir, je ne sais plus. Je ferme les yeux, ne pouvant rien faire d'autre. La douleur est telle, je les sers fort, le plus fort possible. Je grimace.
« Bon alors, combien de grammes tu veux cette fois ? »
Je rouvre les yeux, surprise par la voix. Je suis dehors, debout dans la rue. L'homme me regarde fixement, la coke dissimulée sous son manteau noir. J'écarquille les yeux. Non, impossible. Je me retourne sans rien dire et pars en courant. Impossible. Je ne peux avoir imaginé tout cela. Quand suis-je revenue ? Est-ce terminé ? Et je me rends compte que ça l'est. J'ai refusé d'en prendre, j'ai lutté. Cette fois, je suis en paix. Je suis forte.
On te lit le coeur haletant …….merci lady..
· Il y a presque 9 ans ·nombredor75
Merci à toi, je suis contente de savoir que ce que je fais plait à d'autres. Je te dis ici, si tu ne l'as pas vu, il y a une première partie à cette nouvelle que tu peux retrouver sur le site. Bonne lecture =)
· Il y a presque 9 ans ·ladyquiet14
Merci! je regarderai !!
· Il y a presque 9 ans ·nombredor75