L’arbre et la Girafe
Christian Attard
J'ai dans mon jardin, un petit albizia qui pousse lentement à l'ombre d'un grand mimosa. La terre argileuse de mon terrain a ralenti l'expansion de ce petit arbre et ce n'est qu'après de longues années de soin qu'il me dépasse enfin en hauteur.
Or, depuis quelques jours, je constatais avec irritation que ses feuilles les plus tendres étaient coupées, mangées ! J'ai d'abord soupçonné quelques chenilles affamées de prélever leur verte pitance sur mon enfant chétif. Mais, en analysant le moindre recoin de feuille, je n'en ai pourtant trouvé aucune.
Quel était donc ce mystère ?
J'avais aussi repris, à la même époque, mes pinceaux et mes couleurs et, cherchant un sujet à reproduire, avais reporté maladroitement sur le papier le profil d'une girafe espiègle. La pauvre aquarelle était posée là, sur un coin de mon bureau, et je fus surpris d'apercevoir un bout de langue noir dépassant du museau tacheté de ma petite girafe !
J'étais persuadé pourtant de ne pas avoir dessiné le moindre bout de langue. Mais l'appendice était bien là !
Ces deux petits mystères étaient-ils conjoints ? Je me fis discrètement plus attentif et pour le petit albizia, qui continuait à perdre ses feuilles, et pour ma girafe dont le dessin ne bougeait pourtant pas.
Ce n'est qu'un matin, alors que je me m'étais levé bien plus tôt qu'à l'ordinaire, qu'en passant devant l'aquarelle je vis un petit bout de feuilles dépasser de la bouche de la girafe ! A n'en pas douter, c'était bien un morceau de feuilles d'albizia !! Ma petite oeuvre avait donc le pouvoir de transcender les dimensions spatio-temporelles, comment diable était-ce possible ?
Je tentais de me remémorer les circonstances de la création de cette aquarelle… Certes, j'avais brûlé du papier d'Arménie… Avais-je offensé par inadvertance quelques gitanes, bousculé par mégarde un marabout dans le métro ?? Peu importe, ma girafe mangeait mon albizia et au rythme de sa voracité, il ne resterait bientôt plus rien du frêle arbrisseau, peut-être même plus rien bientôt de son voisin le mimosa !
Il me fallait agir, décider d'une mesure de sauvegarde : la girafe devait être détruite. Le mieux serait, pour conjurer le sort, de la brûler en cheminée. Mais à y bien réfléchir, n'était-elle pas vivante, elle aussi ? Certes, son effigie de papier ne bougeait guère. Mais, puisqu'elle trouvait la nécessité de s'alimenter, son ombre astrale n'existait-elle pas quelque part dans les limbes de nos créations mentales ?
Comment choisir entre mon petit arbre frémissant au vent du printemps et ma girafe affamée sur Canson ?
Une nouvelle nuit de cauchemar me tourmenta durant laquelle des albizia au cou de Girafe s'élevaient vers les cieux alors que mes bras se couvraient de petites feuilles vertes.
Au matin, ma décision était prise, je me saisis de l'aquarelle et rajoutais à côté du profil de ma dévoreuse nocturne un grand et gros acacia d'Afrique que je fournissais abondamment de feuilles bien grasses et dodues.
Le lendemain, je vérifiais que mon intuition avait été bonne en constatant que le ventre de l'animal semblait plus rebondi que je ne l'avais initialement formé et qu'il manquait un bouquet de feuilles à l'acacia. L'albizia, lui, n'avait plus rien perdu.
Ainsi, je fus, et à ce jour encore, contraint de rajouter quotidiennement des feuilles à l'arbre peint auprès de ma petite gloutonne mais mon arbuste put reprendre l'espoir d'être un jour aussi haut qu'une… girafe.
Encore un texte magnifique qui impose d'être humble. On se rejoint sur l'idée "tout existe, l'imagination a eu le temps de le créer, et d'apposer son nom d'artiste...", votre forme, par contre, est plus agréable et plus accessible. Quand j'ai lu "ombre astrale", j'ai compris que vous accordiez une importance à toute chose :) alors, sachez que vous avez mon respect.
· Il y a environ 10 ans ·Au plaisir de vous relire, mes salutations sincères
koya-al-gaad
Enfin, me voilà devenu respectable ! :)
· Il y a environ 10 ans ·merci pour vos commentaires encourageants et votre générosité.
Christian Attard