L'Arc d'Eros, Chapitre Cinq
Ecriveuse
Les vagues roulaient, régulières et ronronnantes , et venaient s’allonger sur la plage de sable fin où je m’éveillai, caressée par les rayons d’un soleil qui tapait déjà dur malgré une brise aux effluves salés.
Je m’étirai paresseusement, respirant cet instant de bien-être inespéré...
… avant de me redresser brusquement.
Je tournai la tête à gauche, à droite, découvrant un paysage tout autre que celui de ma chambre à coucher dans laquelle j’étais certaine de m’être endormie la veille d’une nouvelle journée d’été.
« Bien, me dis-je, on ne panique pas. C’est un rêve, bien agréable, certes, mais je vais ouvrir les yeux réellement dans quelques instants et je serai chez moi, les enfants en train de me sauter dessus à pieds joints, tout en bisous baveux pour que je me lève et leur prépare leur petit-déjeuner. »
Refermant les yeux, je me rallongeai tranquillement, me laissant envahir par le calme ambiant, sûre de me réveiller bientôt dans le creux douillet de mon lit ; je me rendormis très rapidement, comme pour prolonger ce rêve encore de longues heures.
Et m’éveillai à nouveau.
Sentant toujours effleurer mon visage la même brise salée, j’attendis encore une poignée de secondes, hésitant à rouvrir les yeux… Parce que de deux choses l’une : soit il s’agissait d’une réminiscence de mon rêve d’île déserte et j’étais bien chez moi (même si je ne sentais aucun petit peton m’escalader dans une douceur toute relative), soit il se passait à nouveau quelque chose que mon esprit (que j’allais finir par croire définitivement malade) ne pouvait expliquer dans l’immédiat.
Je finis par me risquer tout de même à entrouvrir l’œil droit pour me rendre à l’évidence :
«Là, je panique, murmurai-je, en ouvrant les deux yeux et en m’asseyant. Qu’est-ce que c’est encore que cette histoire ??? »
Je me levai, en bougonnant contre le sable qui s’infiltrait partout dans mes vêtements… Hein ? Mes vêtements ? Mais pourtant je m’étais couchée seulement vêtue d’un long T-Shirt et non en jeans et chemisier !
Repoussant à plus tard une tentative d’explication qui aurait été tout sauf rationnelle, et qui ne faisait que me motiver pour prendre rendez-vous dès que possible dans un centre de repos long séjour (ce que j’aurais été bien en peine de faire à ce moment précis), je m’éclaircis la voix :
« Il y a quelqu’un ? demandai-je d’un ton que je voulais assuré.
– Non », me répondit une voix clairement masculine qui semblait venir d’un peu plus loin, juste derrière un rocher sur ma gauche.
Je tressaillis tout en m’étant attendue pourtant à avoir une réaction. Quitte à être irrationnelle, vu la situation, il DEVAIT y avoir quelqu’un.
Intriguée, je tournai mon regard vers le rocher en question.
« Non ? Alors qui répond ? insistai-je.
– Non, je voulais dire à part vous et moi », énonça la voix.
Il était donc dit que l’on testerait ma patience en plus de mon esprit en vrac, voilà qui promettait !
« Heu, nous allons nous parler à travers ce rocher ? Ou vous avez l’intention de vous montrer ? continuai-je en esquissant un geste vers le rempart de mon interlocuteur inconnu
– Tout dépend.
– Et cela dépend de quoi ?
– Avez-vous aussi l’intention de me transpercer le cœur comme vous le fîtes avec d’autres dans le passé ? Et par deux fois ? »
Je m’arrêtai net et me laissai tomber sur la plage de stupéfaction. Non pas que je ne m’attendais pas à me retrouver, étant donné le bizarre des événements, face à une de mes deux divinités si heu… attachantes, mais le fait que d’autres soient au courant, voilà qui ne m’annonçait rien de bon.
« Je ne suis pas armée, soupirai-je, et je n’ai tiré ces deux fois que parce que je me sentais, comment dirais-je… en péril.
– Alors vous me promettez que nous pouvons parler et que vous n’invoquerez pas l’Arc d’Éros ?
– Mon Arc, corrigeai-je machinalement, ce n’est plus celui d’Éros pour autant que je sache. Non, je ne l’utiliserai pas tant que nous parlons, encore qu’il me serait agréable d’au moins savoir à qui j’ai l’honneur de parler et pourquoi nous sommes ici. D’ailleurs, c’est où, ici ? »
Un bruit me fit comprendre que le jeune homme quittait son repère et en effet, je le vis s’approcher manifestement prêt à déguerpir au moindre geste suspect de ma part.
Sans dire un mot, de peur presque de l’effrayer (quoique je supposai que ce n’était pas moi à proprement parler qui risquait de l’effrayer mais plutôt le fait que je puisse disposer d’une arme à blesser les Dieux), je le détaillai : tout dans sa tenue évoquait un homme de l’époque mythologique grecque, un pétase sur le sommet de la tête, une toge enroulée savamment autour d’un corps d’athlète (je me fis d’ailleurs la réflexion que finalement, tous les Dieux de la Grèce antique étaient représentés non seulement avec un sens de l’esthétisme particulièrement poussé mais en plus qui semblait refléter la réalité, du moins la réalité dans laquelle j’étais plongée pour la troisième fois depuis quelques mois), une bourse d’argent ceinte autour de la taille. Tout cela me rappelait vaguement quelque chose quand, alors que mon regard se posait en conclusion sur ses chevilles, un détail me fit savoir à qui j’avais affaire : un seul Dieu possédait une paire de sandales ailées et ce Dieu c’était Hermès.
Je ne pus maîtriser un sourire lorsqu’il fut devant moi :
« Tout Dieu que vous soyez, vous craignez peut-être que la nouvelle que vous m’apportez ne me donne envie de tirer sur le Messager ?
– Je vois que vous m’avez reconnu, sourit-il en retour.
– Ce qui n’était pas bien sorcier, lui répondis-je en désignant ses pieds du menton, par contre, ça ne répond pas à ma question : pourquoi ici ? Après tout, où que l’on soit, il aurait été plus simple que vous passiez directement à la maison, voire même, si vous n’étiez pas tranquille, que vous me fassiez arriver le message par voies plus modernes. On a inventé la poste vous savez, et même les boîtes aux lettres informatiques.
– Entre nous, vous auriez ouvert et surtout cru qu’Hermès en personne avait un message à vous transmettre ? s’enquit-il une lueur amusée dansant au fond de ses yeux verts.
– Bonne question, soupirai-je.
– Et pour ce qui est de mon choix, c’était aussi je l’avoue, d’une part de la curiosité, après tout, voilà longtemps qu’une simple mortelle n’avait pas fait autant parler d’elle sur l’Olympe, et d’autre part je me suis dit que si vous étiez assez dangereuse pour qu’Éros refuse de se montrer et pour qu’Aphrodite ne cesse de vous guetter, il serait peut-être judicieux de nous rencontrer en un lieu à la fois neutre et apaisant.
– Je vois que votre réputation de finesse n’est pas usurpée ! J’avoue que je ne sais pas trop si je dois être flattée que mon nom soit arrivé jusqu’à l’Olympe, et je doute même que ce soit une bonne chose. Je parie que je suis sans doute loin d’être aussi dangereuse que vous voulez bien le dire mais j’ai en tête que la plupart des mortels qui ont eu le même honneur que moi auraient sans doute largement préféré ne jamais le connaître.
– D’un autre côté, ils en sont devenus immortels, du moins leur histoire.
– Mouais… Je ne suis pas convaincue que ce genre de célébrité me conviendrait, si l’on considère la maestria dont vos semblables font preuve en matière de tortures mentales et physiques pour tromper leur ennui.
– Ah ? Parce que vous pensez que dans votre monde d’humains, vous avez encore quelque chose à apprendre ?
– Heu… Vous marquez un point… Et si nous en venions au pourquoi de notre rencontre, brisai-je, peu désireuse d’entamer une joute verbale sur les torts de chacun. J’ai deux enfants qui ne vont pas tarder à se réveiller.
– Ne vous en faites pas pour ça, me rassura-t-il en faisant apparaître un parchemin qu’il me tendit, tant que nous sommes là, pour vous le temps…
– … s’est arrêté, oui j’aurais dû m’en douter, terminai-je en déroulant le message avant de le lui rendre. Pourriez-vous avoir l’amabilité de le traduire ? Je n’ai jamais appris le grec, qu’il soit ancien ou moderne, m’excusai-je.
– Ah pardon, j’oubliais que pour vous c’est une langue morte. »
Il murmura des borborygmes incompréhensibles et me retendit le parchemin, écrit, cette fois, en français.
À la lecture de ces quelques mots jetés en vrac sur le papier, des sueurs froides roulèrent le long de ma colonne vertébrale, et je compris pourquoi le Messager avait semblé se méfier de ma réaction :
« La dénommée Écriveuse est convoquée le 7 octobre 2005 de l’Ère Vulgaire sur le Mont Olympe, en vue de la tenue de son procès, accompagnée de l’avocat qui lui sera accordé. Il lui est reproché d’une part, de détenir par-devers elle une arme qu’elle a dérobée à l’un des nôtres en usant de roublardise, et d’autre part de s’en servir pour nuire de manière systématique aux Dieux qui lui ont fait un honneur rarement offert aux mortels, à savoir, celui de lui apparaître. Il est bien entendu que si le porteur de la présente devait lui aussi faire les frais d’une flèche, l’accusée serait déférée dans la seconde sans aucune défense possible, et la sentence serait sans appel.»
La signature me laissa sans doute aussi interloquée et terrifiée que le contenu du parchemin : Zeus en personne se penchait sur mon cas et pour une fois, mon Ego légendaire se rétracta jusqu’à en devenir invisible.
J’enroulai mécaniquement la convocation et levai les yeux vers Hermès qui m’observait, l’air compatissant quoique légèrement inquiet :
« C’est bien la première fois que j’entends parler d’un tribunal Divin pour mortels, murmurai-je, la gorge nouée par une peur que je n’avais jamais connue, et pourquoi ‘Ère Vulgaire’ ? ajoutai-je d’une voix qui se voulait détachée.
– ‘Ère Vulgaire’ pour les mortels. Sur l’Olympe, le temps n’est pas compté de la même manière mais plutôt par saisons et lunaisons, me répondit doucement le Messager
– Savez-vous ce qui va être décidé ?
– Non, j’avoue que le cas est particulier. En fait, c’est Aphrodite qui est intervenue auprès de Zeus pour se plaindre qu’une mortelle avait osé la blesser et qu’il était inconcevable d’en rester là...
– Oh ! Je pensais bien que l’effet de la flèche serait bref, et je m’attendais au pire... Mais je l’avoue, pas ce genre de pire.
– En fait, il semblerait que les pouvoirs de l’Arc soient bizarres parce que le discours d’Aphrodite est relativement incohérent… Je suis certain que vous avez surtout affaire à sa jalousie et par conséquent à ses sentiments… Donc oui, les effets perdurent, mais pas nécessairement pour votre tranquillité d’esprit. Cela étant, vous avez un protecteur de taille parmi les Dieux, protecteur que vous n’avez pas transpercé d’ailleurs et qui m’a chargé de vous dire qu’il sera là le moment venu. Mais il ne m’appartient pas de vous le dévoiler ici et maintenant. »
Son visage s’éclaira d’un sourire qui se voulait rassurant mais qui, s’il me rasséréna un peu, ne parvint pas à faire disparaître la boule qui menaçait de m’étouffer.
Je soupirai d’un air las :
« Et en attendant ? Que suis-je censée faire ?
– Reprendre votre vie, comme d’habitude mais en sachant que je reviendrai bientôt vous chercher afin de tirer tout cela au clair devant mes pairs.
– Tout cela parce que les Dieux s’ennuient, maugréai-je encore.
– Il est évident que grâce à vous, ces derniers temps, nous avons de quoi parler, ce qui n’était pas arrivé depuis des siècles. Alors, rassurez-vous un peu ! Vous nous rendez service, il n’y a pas de raison que la sentence soit si dramatique que cela, conclut-il.
– Mouais, pas si dramatique pour vous ! Mais pour moi, je ne suis pas convaincue de m’en sortir sans perdre de plume, voire pire. Dites-moi, la balade en barque est toujours d’actualité ?
– La balade en barque ? s’étonna-t-il. Ah vous voulez parler du Styx ! Oui bien sûr qu’elle existe toujours mais si j’en crois les Moires, votre heure n’est pas encore venue. Apaisée ?
– À moitié. En tout état de cause, merci de vous être donné la peine de venir me trouver même si vous n’aviez, je suppose, pas le choix.
– Oh mais le plaisir est pour moi ! Et puis, Éros, entre nous, méritait une petite leçon. Allons, je vais vous reconduire chez vous, termina-t-il en me tendant la main.
– Croyez-vous que je vais pouvoir me défendre et qu’on me laissera une chance surtout de m’expliquer ? demandai-je d’une petite voix, en prenant la main tendue.
– Je crois que nous ne sommes pas au bout de nos surprises, ni vous, ni nous ! affirma-t-il dans un éclat de rire bon enfant. Mais sachez d’ores et déjà que je ne vous laisserai pas seule dans cette épreuve. Maintenant, plus un mot, vous allez vous réveiller chez vous. Nous nous reverrons dans quelques jours, peut-être aurez-vous le temps de préparer votre défense.
– Merci Hermès, merci pour tout ! »
Je fermai les yeux, me sentant en sécurité pour la première fois depuis que ces rencontres me gâchaient quelque peu la vie, mais en étant désormais certaine que je n’inventais rien, ce qui à tout prendre ne me rassurait pas non plus.
Je m’éveillai au petit matin, pour une fois bien avant tout le monde avec la sensation d’une épée de Damoclès oscillant au dessus de ma tête.
J'ai vu, j'ai lu, j'ai beaucoup aimu. Mais une critique sur ton texte: il est beaucoup trop court!!!!!!!! bouhouhouhou
· Il y a environ 14 ans ·Ecriveuse
J'adore également la mythologie et c'est une bonne idée de réveiller ces dieux assoupis.
· Il y a environ 14 ans ·Je me suis permis d'ajouter un de mes textes qui a revisité ce monde.
yl5