L'arroseur à rosé
Laurent Ottogalli
Il vendait de la bière et du vin, un vrai cave,
De la bouteille…
Mais pas beaucoup d’étiquette.
Une tenue pas très sobre…
Un costume lie-de-vin,
Une cravate blanc de blanc,
Une chemise… bordeaux, bien sûr,
Des dessous vert-de-gris,
Des bas d’soie, c’la va d’soi,
Un vrai comble d’élégance,
Un vrai clown, un nez rouge,
Un vrai clone, du gros rouge :
Bien plus spiritueux que spirituel…
Il vendait de la bière et du vin,
Il avait fini sa journée, fini sa tournée,
Il avait fait ses comptes, pas ceux à Perrault,
Il avait bien vendu, assez bien encaissé,
Il était détendu, il pouvait cartonner,
Pas trop de tires, pas de bouchon, pas d’embouteillage,
Il allait vite rentrer chez lui, tout pile à l’heure de l’apéro…
Il a fait le plein, la pluie avait bien arrosé la côte Est…
L’autre était plein aussi, et puis il avait bien arrosé !... l’alcootest !...
À Koumac un six-pack,
À Koné, pas déconner,
À Pouembout, une p’tit’ goutte,
À Bourail, juste un dry,
À Tontout’, une aut’ goutte,
À Païta… j’vous dis pas..
Il vendait de la bière et du vin,
Au Darfour, pas de don et pas d’eau,
Au carrefour, les deux cons à plein pot,
Un feu rouge qu’on voit vert, trop de verres,
Un feu vert qu’on voit rouge, trop de rouge…
À l’orange, trop pressé, pas de quartier…
L’arroseur arrosé, il ne pouvait pas deviner :
Il a pas vu l’autre arriver, il a pas vu l’autre aviné…
Il vendait de la bière et du vin,
Le carton ! Sa caisse s’est renversée,
A fait quelques tonneaux, dans la pente plutôt raide,
Sa caisse ? Un sérieux coup dans l’aile… complètement pétée,
Les caisses renversées, les bouteilles vidées
Dans son cou se fichèrent, déchirèrent les chairs,
Elles lui portèrent le dernier coup, pour la route…
Circulation coupée, plein d’alcool dans le sang,
Tout autour, plein de verre, un calvaire,
Une sacrée descente… à l’envers, vers l’enfer…
Ce fut son sanctuaire, un endroit guère décent…
Il vendait de la bière et du vin,
Pas besoin d’être devin pour imaginer ce qu’il advint :
Pas de veine sur ce cou qui tienne encore le coup,
Au bord de ses lèvres, une petite mousse…
Qu’il essaie de retenir, en vain,
Mais cette mousse est si rose,
Qu’il n’arriv’ra pas à Gaston-Bourret… l’autre, si…
Il n’y a plus qu’à fermer la housse :
La vie de c’si clone s’arrête en un éclair… obscur…
Il vendait de la bière et du vin,
Dans le divan, la veuve et les filles voilées,
Des vies volées, des vies dévouées, vidées d’envie, durent veiller,
Durent l’envoyer vers le divin, les yeux rougis…
Il n’y eut pas de mise en bière, il n’y eut pas de vin de messe,
Juste une mise en caisse et un vieux feu qui l’achevèrent…
Il se serait décomposé… de honte d’avoir servi… les vers…
Ah, j’allais oublier… Le comble, l’autre,
Qu’il fallut d’abord désincarcérer,
À sa sortie de Gaston… dessoulé,
Fut par la suite incarcéré…
Il vendait de la bière et du vin…