L'ASSASSIN DU TROISIÈME III
mysterieuse
Trois coups retentissaient à la porte, immédiatement surenchéris de l'insistance du carillon d'entrée. Mais pourquoi à cet appel démesuré, répondait-elle par une nonchalance exagérée ? Elle laissait trainer la pointe de ses babydoll, entamant salement l'allure distinguée dont elle était si fière quelques instants auparavant. Une nostalgie soudaine neutralisait étrangement l'enthousiasme de cette rencontre fortuite.
« Il se prend pour qui, pour carillonner ainsi à ma porte ! Et si je le laissais maronner derrière la porte , histoire de jauger sa patience. Après tout je ne sais même pas qui il est, ni quelles sont ses intentions, pensait-elle intimement.
L'assassin du troisième réitérait sa tentative en tambourinant plus fort à la porte !
« Chloé ? Ouvrez-moi, je sais que vous êtes là, j'ai entendu le bruit de vos talons sur votre parquet »
Chloé ? Mais qui est-il pour m'appeler par mon prénom. Personne ne me connait dans cet immeuble hormis la gardienne. Cette intruse intimité, pour le moins surprenante, rajoutait une note épicée à l'intrigue du rendez-vous ! Elle avait au moins le mérite, d'alimenter la curiosité de Chloé, qui oubliant son vague à l'âme fugace, se ruait sur la porte.
Elle se trouvait nez à nez avec un homme à la stature impressionnante. Un homme, pas le jeune homme auquel elle s'attendait. La chevelure en broussaille entraperçue dans l'embrasure de la fenêtre, avait troqué son désordre pour une coupe très ordonnée sur des cheveux poivre et sel. L'hôte devrait approcher la cinquantaine, ou la dépasser .Comment savoir ? Son regard largement barré d'une monture solaire aux verres absolument opaques et noirs ne permettait aucune estimation précise. Elle le priait d'entrer, presque trop affable dans son comportement, puis lui tendait une main énergiquement accueillante. Il ne la saisissait pas, assurait ses pas dans l'entrée, avant de la remercier de son invitation.
Quel goujat, songeait –elle, à deux doigts de le rembarrer dans le même langage châtié que quelques heures plus tôt .Elle lui accordait pourtant le bénéfice du doute. Un tel homme, aussi élégamment vêtu, ne pouvait, décemment pas être un mufle .Mais par esprit d'honnêteté, sa nature entière ne pouvait l'épargner d'une remarque réprobatrice
« Vous ne saluez donc pas les gens chez qui vous êtes convié, vous ne leur serrez pas la main ?
-Donnez- moi la votre que je puisse la serrer ! Je suis ravie d'enfin vous rencontrer Chloé ! »
Chloé tendait à nouveau sa main vers une autre main tendue qui ne la saisissait toujours pas dans un silence assourdissant !
Donnez-moi ! Elle était là, la nuance .L'évidence lui sautait à présent à l'esprit. Elle enrobait la paume de l'homme de la gracilité de la sienne .Il avait une poignée de main ferme qui révélait une personnalité entière et spontanée. Évident, il vivait dans le noir ! Derrière le verre sombre se cachait un regard qu'il ne pourrait jamais poser sur elle. Elle fermait les parenthèses de ses jeux séducteurs, s'accordait un bref silence poli, afin de ne pas trahir ses émotions de façon trop brutale. La diplomatie n'était pas une de ses qualités. Elle l'observait avec circonspection, puis l'invitait à s'installer le plus naturellement possible.
« Préférez-vous le fauteuil ou la méridienne ?
-La méridienne, merci !, puis il enchaînait, Je suis désolée pour l'Ange ! en se dirigeant sans encombre vers le siège, sous le regard médusé de Chloé
-Ce cher Ange ! C'est ainsi, mais vous êtes pardonné, compte tenu de la situation !
-De quelle situation parlez-vous ?
-Et bien, votre cécité ! Zut, je suis vraiment idiote, je ne voulais pas vous contrarier
-Vous ne me contrariez pas Chloé. Sachez jeune fille qu''elle n'est que passagère .Dieu seul sait le temps qu'elle durera, mais les médecins m'ont affirmé que je recouvrerai la vue.
-Elle explique votre maladresse et …
-Même pas ! L'assassin ce n'est pas moi ! C'est mon neveu .Il vient m'aider de temps en temps !
-Je comprends mieux les cheveux hirsutes à la fenêtre, mais je ne m'explique pas que vous vous déplaciez aussi aisément dans mon appartement .Vous attisez ma curiosité ! Une explication à cela, Monsieur j'ai réponse à tout !
-Oh ! Mille excuses, je me prénomme Antoine, Antoine dans le noir !
Chloé souriait et poursuivait :
« Cessez de vous excuser à tout bout de champ, vous avez atteint le quota en une seule fois pour la soirée, avec vos Milles excuses »
Antoine éclatait de rire, un rire franc et communicatif .Ce type a un je ne sais quoi de totalement irrésistible songeait-elle, il faut que je reste sur mes gardes. La différence d'âge, plutôt que de dresser une barrière entre eux, apportait une note inattendue à cette rencontre programmée par un ange protecteur.
« Et donc Antoine, vous connaissez mon prénom, ce qui déjà interroge ma curiosité, et de plus vous vous déplacez avec une aisance incroyable dans mon appartement, comme si vous en connaissiez le mobilier et son emplacement ! »
Il ôtait ses lunettes noires dévoilant des yeux d'un bleu troublant, celui d'un ciel crépusculaire précédant une nuit de pleine lune, intense et profond à la fois.
« Chloé, vous voyez ces yeux –là, avant de perdre leur fonction essentielle, ces yeux ont longtemps et souvent croisé et embrassé le regard de votre grand-mère ! Mes pieds ont foulé aussi souvent le parquet de cet appartement …Et puis !
-Ah Grand Ma, elle me manque tant !
-Moi aussi, Chloé, beaucoup ! C'est un comble ! Tout de même !
-Quoi donc ?
-Je rêvais de vous rencontrer, et voilà que quand l'occasion se présente, je ne peux me délecter visuellement de la découverte .Vous êtes si belle ! »
Chloé, habituellement, se préservait de toute émotion délétère, mais là, elle se laissait submerger par une vague sentimentale, un mélange de sensualité et de nostalgie.
Il rechaussait ses lunettes, ou du moins le tentait-il, parce que Chloé interceptait son geste, lui dérobait la monture et la posait sur un guéridon !
« Non Antoine, ces yeux là, même atteint de cécité ont des choses à dire et à toucher»