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Marc Ponsail : Jour 1 :
Une photo de cadavre, dans son sang près d’une piscine, sur une terrasse d’immeuble, voilà le mail qui est arrivé sur le mobile de la permanence de la Crim’, avec en légende « Tony Nozaki, 13 avenue de la République à Clamart ».
C’est comme ça que tout a commencé. Un vrai appel anonyme (on a essayé, plus tard, de le remonter, mais nib’ : mobile et carte prépayée achetés sur un marché, rien à tirer).
Bref, deux minutes après réception du message, les bleus locaux étaient envoyés sur place et moi je récupérais le reste de la permanence, une équipe de l’IJ et en route.
Tony Nozaki. On le connaissait bien, à la Crim’. Quarante-trois ans, aucune condamnation, millionnaire en euros, un vrai caïd, avec un beau dossier chez nous. Mais pas mal désespéraient de l’accrocher un jour. Et puis cet appel. Vrai ou faux, on n’allait pas se gêner pour vérifier.
Sur place, l’immeuble dressait ses huit étages en pointe d’un îlot, surplombant ses voisins et un carrefour tranquille, face à une école maternelle.
J’ai garé la 409 sur le large trottoir, derrière les deux vieux Scénic sérigraphiés dont l’un bloquait le garage privé de l’immeuble. D’ailleurs, un Gardien semblait avoir fort à faire avec le conducteur d’une Mercedes dernier modèle qui aurait bien voulu quitter les lieux. Il a profité de notre arrivé pour laisser son râleur en plan et nous réceptionner. « Gardien Dubois. Bonjour monsieur. Le Brigadier est à l’intérieur, il nous a confirmé le Delta Charlie Delta et a dit de ne laisser entrer ni sortir personne. Mais le gars ici n’est pas du même avis. Vous pourriez lui expliquer ? » J’ai envoyé Mathieu et on est entré dans le hall. Vidéo surveillance, gardien, large bureau, on ne rentrait pas chez Tony Nozaki sans s’annoncer. De ce qu’on en savait, il possédait tout l’immeuble et logeait ses gardes du corps directement sur place.
À la place du garde « normal », c’est un ADS qui filtrait l’entrée, un œil sur le hall, un œil sur les écrans vidéo dans la pièce derrière lui. Une vraie régie TV, au moins une douzaine d’écrans. « Tout en haut, monsieur. Huitième. Le Brigadier… »
On est monté. Ascenseur privé, large et propre, avec miroirs dorés et caméra très discrète.
Le huitième, c’était l’étage privé de Nozaki. On voit de tout dans le métier, du plus sordide et plus clinquant et là on était très haut dans l’échelle des prix. C’est simple, on se serait cru dans un appartement témoin pour Bachelor. 200 m2 à vue de nez, marbres étincelant aux sols, tableaux incompréhensibles donc sûrement très chers aux murs, meubles en bois étincelants de vernis, ça oscillait entre le musée et le très riche de très mauvais goût. On ne s’est pas attardé, la foule se pressait à l’extérieur et on entendait des éclats de voix.
Passé les larges baies vitrées (en verre renforcé d’un film anti-balistique), on surplombait les toits environnants. Une centaine de mètres carrés de terrasse, avec piscine privée. Le tout sous verre : un immense film rigide tendu sur une ossature fine et transparente, laissant passer la lumière mais, j’en étais sur, bloquant la vue depuis l’extérieur (dès fois qu’on aurait surveillé Nozaki par hélico). Détail incongru dans un endroit aussi friqué, il y avait un trou, dans le film.
Bon, on a enfoncé les sbires de Nozaki : deux brutes en costumes, sûrement les gardiens ; une brute en jogging aux couleurs du PSG –double faute de goût-, un gardien pas de service sans doute ; et une vieille connaissance, Maître Philippe Gignac, redoutable avocat fiscaliste, conseil juridique attitré de la pègre qui pouvait se payer ses services. Grand mince, costume sport sur mesure, soins esthétiques et capillaires du plus bel effet, il portait beau ses cinquante ans mais semblait ici assez fâché.
Face à ce quatuor, deux Gardiens et le fameux Brigadier qui nous a reçu avec un soulagement évident et a commenté la scène. « Bonjour. Brigadier Marceau. J’ai rien touché, j’ai vu le raisiné et j’ai compris qu’il n’avait plus besoin de toubib. Non ? » Je n’allais pas le contredire. Étalé sur le marbre de la terrasse, Nozaki avait la boîte crânienne explosée. Sûr qu’il n’allait pas se relever pour se plaindre des taches de sang sur son carrelage de luxe. « Quand on est arrivé, les gars, là –le brigadier désignait les deux brutes en costume- avaient bougé ou retourné le corps. On les a écartés et depuis l’avocat cherche à nous faire partir en parlant de violation de domicile. On a tenu bon, mais je suis heureux que vous soyez arrivés vite. »
Je félicitais le Brigadier et pendant que mes gars –enfin, c’est façon de parler, la Police se féminise depuis un moment et j’avais avec moi deux mecs et une fille, plus toujours Mathieu sur le trottoir-, bref pendant que mon équipe rapatriait tout le monde à l’intérieur l’I.J. déballait son matériel : photos 10 millions de pixels, pipettes et tubes pour le sang, rubans adhésifs spéciaux pour la collecte des traces suspectes, stroboscopes à lumière rasante, etc, etc. La panoplie complète du cueilleur d’indices. Le tout bien sûr en enfilant leur tenue blanche en papier jetable pour ne rien contaminer.
Je mettais moi aussi les gants stériles et je remarquais que les bleus les portaient déjà. Tant mieux, ça limiterait les traces inutiles. Quelquefois ça me déprimait, la modernisation de la Police. Mais souvent je bénissais le nombre d’affaires qu’on sortait grâce à l’ADN, sans enquête ou presque, sans temps perdu et sans faux coupable.
Bon, pour la suite, je résume : d’après ce qu’on a compris, Nozaki était seul depuis 14H et comme chaque après-midi depuis le printemps il prenait sa sieste et son bain de soleil, étalé dans son transat sur sa terrasse. En bas, à l’accueil, deux gardes surveillent tout l’immeuble par vidéo surveillance. Jolies caméras d’ailleurs, on ne les voyait presque pas. Une douzaine d’yeux qui épiaient toutes les parties communes du bâtiment : le hall, le parking souterrain, les ascenseurs, un peu la rue (en toute illégalité bien sur) et la terrasse. Le tout enregistré sur disque dur. On a tout visionné et on a embarqué les disques après. Donc, Nozaki dort sur sa terrasse, les gardes s’ennuient ferme et Gignac examine des documents qui ne doivent pas sortir de l’immeuble. À 14H37 précises –merci l’horodatage- un acrobate « tombe du ciel », littéralement. À travers le film plastique, boum sur la terrasse –c’était ça, le trou incongru-.
Surprenant, à la fois dans son arrivée et dans son accoutrement, l’acrobate. Pour un peu je me croyais dans un film de super-héros : combinaison grise intégrale épaisse et moulante, façon néoprène souple, des doigts de pieds aux cheveux et pour la face un masque à visière moirée : depuis que les truands se font choper par leur ADN, ils prennent des précautions, mais là c’était le top.
Donc, le gars fait un roulé-boulé impeccable sur la terrasse et sort son arme pendant que Nozaki se réveille. Mais comme Nozaki est plus que parano, il a un flingue dans le mini-bar collé à son transat et les deux tirent en même temps. L’acrobate se prend une balle dans le bras –gauche-, mais Nozaki s’en prend deux dans le buffet. Game over pour super-caïd. Le tueur finit son boulot en s’approchant de Nozaki et lui met deux balles dans la tête. Game maxi-over. J’imagine bien les deux gardes en bas qui ont dû se réveiller d’un coup et tomber de leurs fauteuils. En tout cas, le tueur s’approche des caméras et les aveugle à la bombe de peinture noire. Du coup, on ne sait pas comment il s’est barré. Et le temps que les deux brutes se tapent les huit étages, il n’y a plus que le cadavre de Nozaki sur la terrasse.
Tout ça, on l’a eu par la visu des caméras et on l’a confirmé par le reste : les témoignages, les douilles, les traces d’impact des balles et surtout le sang. L’I.J. avait déjà rempli une dizaine de petites fioles de prélèvement en divers points de la terrasse, mais quand ils ont vu les enregistrements ils en ont rempli une dizaine d’autre. Après, il n’y avait plus qu’à attendre.
Parce que, pour le reste, on faisait chou blanc : pas d’hélicoptères ni d’ULM en goguette au-dessus de la ville, pas de revendication précise (des gars qui voulaient flinguer Nozaki, il y en avait quelques dizaines). En même temps, on ne croisait pas les bras. Le patron avait mis tous les groupes sur le coup et les enquêtes de voisinage allaient être exhaustives : sonner ou frapper à chaque porte de chaque habitation dans un rayon d’un pâté de maison autour de l’immeuble, jusqu’à entendre chaque occupant ; se faire communiquer par les opérateurs la liste de tous les mobiles qui avaient trafiqués par les bornes du secteur, etc, etc.
C’est le deuxième jour qu’on a su d’où venait le tueur : dans le béton du toit plat de l’immeuble de l’autre côté de la rue, des traces de fixation. Et puis la voisine d’en dessous qui avait vu passer des ouvriers d’entretien des climatisations avec de gros sacs. Quoi qu’ils aient fait, « ça » avait servi à envoyer le tueur en face malgré dix mètres de rue et un dénivelé d’un étage.
Et puis, la bonne nouvelle : le sang avait parlé, le labo y avait trouvé l’ADN d’un gars connu : Vlad Dobroukine. Russe, fiché à Interpol et Europol, homme de main de maffias de l’Est, long casier judiciaire, déjà condamné et emprisonné plusieurs fois en Russie pour de nombreux meurtres, évadé de sa dernière prison il y a deux ans et introuvable depuis. Bref, un candidat sérieux. Cohérent. Et puis, l’ADN ne pouvait pas se tromper. Non ?
Le juge a émis un mandat contre Vlad –avec le code « violent, armé et dangereux »- et on s’est mis en quête d’éléments qui nous identifierait le commanditaire. Autant dire qu’on était parti pour garder la CR pendant un long moment.
Et pendant ce temps, l’empire de Nozaki subissait déjà des assauts. Les requins et les piranhas essayaient de détacher et d’avaler tous les morceaux qu’ils pouvaient dépecer.