L'association - 2
yves
L'association 2/7
J 67 : Salle d'interrogatoire : Marc Ponsail face à Théo Belharbi : Théo Belharbi parle :
Je suis né un 1er Avril il y a trente trois ans.
Drôle de blague, non ? Mon père m’a légué ses gènes, un prénom, un peu de couleur et puis il s’est barré.
En fait, je crois qu’il s’est barré dès que ma mère est tombée enceinte. Du coup, j’ai grandi avec elle, ses compagnons successifs et mes petits frères et sœurs qui arrivaient au fur et à mesure, de pères et de couleurs différents. L’appartement a quelquefois changé, pour réussir à loger tout le monde, mais ma mère a toujours refusé de quitter sa cité de Drancy.
D’une tour à une barre, c’est là que j’ai appris à vivre. J’te parle pas de l’école, j’y ai guère mis les pieds. Bon j’avoue, je suis revenu quelques fois fraquer une classe ou bomber les murs. Des conneries, mais à l’époque j’avais pas les moyens de le comprendre.
A huit ans, j’en paraissais déjà douze et je bossais pour les grands. Mater les keufs, transporter la drepou ou les képas, j’ai vite ramené plus de thunes que ma mère ne touchait d’allocs. J’ai aussi fait pas mal de séjours chez les képis. Forcément, à dix ans on conduit moins bien que les flics de la BAC.
J’ai connu à peu près tout ce que la justice peut proposer : rappel à la loi, suppression des allocs à ma mère (ce qui m’a obligé à bosser encore plus, d’ailleurs), centres de détention ouvert, semi-ouverts, semi-fermé ou carrément fermés, jusqu’à la vraie taule, à seize ans.
Là, ça m’a fait mal. Forcément, j’ai joué au caïd (j’avais le gabarit pour), mais j’me suis promis de ne plus y retourner. Non, j’te raconterais pas.ce qui s’est passé. Alors quand, une fois dehors, j’me suis retrouvé coincé par les keufs au volant d’une caisse qu’était pas vraiment à moi, j’ai foncé et j’en ai écrasé un.
J’ai su après qu’il avait clamsé, mais sur le coup déjà j’avais compris qu’il fallait que je disparaisse et pas dans la cité, y-aurait toujours une balance. Des vrais-faux papiers, ça m’a ruiné, mais avec eux j’ai pu entrer dans l’armée.
J’étais jeune, en pleine forme, volontaire pour aller là où ça chiait (les « théâtres d’opérations extérieures » qu’on disait), ils n’ont pas trop posé de questions. J’me suis retrouvé au Pakistan, pour les opérations de « maintien de la paix ».
Ça m’allait bien. La bouffe était bonne, la discipline c’était pas la prison et après que j’ai étalé une ou deux grande gueule personne ne m’a plus cherché de crosses. Je voyais du pays, j’avais des guns à gogo, on se payait régulièrement des montées d’adrénaline, un goût de paradis, presque.
J’suis resté militaire cinq ans. Après le Pakistan, j’ai demandé l’Afghanistan et l’Afrique pour finir. En fait je n’ai pas remis les pieds en France après mon départ. En plus de m’éclater, j’ai appris à lire et à écrire le français et l’arabe et l’armée m’a donné du galon sans me poser de question.
Et j’avais réussi à éviter la came et les blessures.
Et puis à la fin de mon contrat de cinq ans, il a fallu que je repasse par la France. Là, j’ai pas pu éviter le mauvais plan, la virée des bars en ville. Je cherchais surtout une grosse à tirer et j’ai trouvé une bande de néo-fachos. J’te fais pas un dessin, j’ai le teint bronzé, on était à Orange, ça a dégénéré.
Le problème, c’est que j’ai tué le connard qui me cherchait. Comme ça, d’un coup, paf, il m’a clamsé entre les doigts. Les keufs sont arrivé avant qu’on parte, j’ai pris un coup de taser, j’me suis réveillé avec les menottes.
Au final, j’ai même pas été condamné pour avoir buté ce mec, il y avait assez de témoins pour reconnaître qu’il était en train d’essayer de me massacrer à la batte de base-ball. Non, c’est par la faute de l’ADN que j’ai plongé.
Du temps où j’étais en taule, j’avais pas fait attention mais il y avait fichage génétique systématique. En moins de vingt-quatre heure de garde-à-vue, les keufs avaient explosé ma fausse identité et sous la vraie et ben j’étais condamné pour le meurtre de leur copain de Drancy
Là, j’ai pris des coups. Et devant le juge et le toubib, ils ont dit que j’étais déjà abîmé par l’autre gars, celui que j’avais buté. Verdict huit ans de taule, ferme. Et encore, c’est parce que j’étais mineur à l’époque et que mon dossier militaire était impeccable.
J’ai eu la visite d’un galonné de mon unité, dans ma cellule. En gros, il m’a fait comprendre qu’ils n’allaient pas me charger (ils auraient pu eux aussi m’enculer avec les faux fafs), mais que « Théo Belharbi », ils connaissaient pas, donc ils laissaient faire. Réglos, dans leur genre…
En taule, j’ai fait comme au Pak’ : casser les grandes gueules vite fait bien fait et travailler la muscu. Pour m’occuper et viser la bonne conduite (et la libération anticipée) j’me suis inscrit aux ateliers scolaires.
Vers la fin de mon temps, quand l'nouveau est arrivé dans ma cellule, il m’a parlé informatique après avoir pleuré sa mère. Et j’ai commencé à réfléchir.
Marc Ponsail : Jour 6 :
Ce matin, j’ai reçu la lettre. Je le savais, mais ça m’a fait un choc. Convocation pour mise en examen, ça fout les boules. Un flic accusé par un dealer et le juge qui suit, c’est le monde à l’envers. Putain ! Ce mec dealait depuis dix ans, il livrait un quart du département, on le choppe par l’ADN après qu’il ait massacré sa copine au rasoir et la justice le suit quand il dépose plainte contre moi ! Bien sûr, que je lui avais cassé la tête dans le fond de l’impasse. Mais c’était dans le PV d’interpell : il avait sorti son flingue et l’avait pointé sur moi. Légitime défense. Il pouvait raconter ce qu’il voulait, le flingue était à lui et c’est moi l’OPJ. Quand j’ai commencé, j’entendais déjà dire que le « bon temps » était passé, qu’on ne faisait plus ce qu’on voulait. Mais la parole d’un flic valait tout de même plus qu’aujourd’hui. Décidément, ce monde devient de plus en plus pourri…