L'association - 3

yves

L'association 3/7

J 67 : Salle d'interrogatoire : Marc Ponsail face à Jérôme Laval : Jérôme Laval parle :

Sur mon enfance et ma jeunesse, je n’ai pas grand-chose à dire.

Je suis fils unique, mon père était chef de chantier d'une grosse boîte de TP, ma mère caissière d'hypermarché, ils ont divorcé quand j’avais six ans, j’ai vite appris à jouer l’un contre l’autre pour avoir ce que je voulais.

À l’école, j’ai toujours aimé l’informatique. Les filles aussi, mais au final il n’y a que l’info qui faisait ce que je voulais. Alors j’ai vite passé tout mon temps libre devant mes écrans.

Tant que je ramenais des bonnes notes, mes parents me laissaient tranquille. Ils ont réussi à s'entendre pour trouver de quoi me payer l’inscription dans une boîte d’informatique après le bac, je me suis retrouvé à Paris.

Trois ans pour le diplôme et j’étais toujours dans le haut du classement. Pour gagner du fric, je donnais des cours, je bossais au black dans des petites boîtes de développement. Je commençais tout doucement à me faire un nom, mais c’était quand même la dèche.

Une fois l’inscription et la chambre payés, mes parents ne pouvaient plus m’envoyer beaucoup d’argent et de toute façon je passais tout dans de nouvelles configs. Et puis un jour, en testant un débuggeur que j’avais écrit moi-même, j’suis rentré dans le serveur du site où j’achetais mon matos. J’étais bon, mais eux ils étaient nazes.

Je crois que la première fois, je suis ressorti sans rien toucher. J’ai même failli leur envoyer un mémo pour qu’ils corrigent, mais j’ai eu peur qu’ils m’attaquent, alors j’ai rien fait.

Et puis, j’sais pas, deux ou trois jours après, quand la banque a encore menacé de fermer mon compte, j’ai craqué. Je suis rentré dans le serveur, j’suis allé direct dans la base client et j’ai tout downloadé. Avec les identités des clients, j’ai commandé un paquet de matos. J’allais dans les cybercafés anonymes pour passer les commandes, je me faisais livrer aux adresses de copains de l’école qui logeait dans des cités U, ça marchait impec.

Je ne gardais rien, je revendais tout de suite sur eBay, si possible en Belgique ou dans un pays frontalier. Pas de trace. Ça renflouait gentiment mon compte. Depuis que je tapais sur les claviers, c’était la première fois que je faisais quelque chose de vraiment illégal.

Du cassage de protection, de la copie, je l’avais fait. Du hack de site, du montage de site warez, je l’avais fait. Hacker tout seul ou dans un groupe, je l’avais fait. Même une fois, j'avais fait free-lance pour des gars que je ne connaissais pas, payé pour un hack sur un site à l'étranger. Mais tout ça, c’était pas vraiment illégal.

Je veux dire, il n’y a pas de victime, on ne fait que truander les multinationales du disque ou de l’image ou des grosses boites qui devrait avoir de vrais admin compétents. Mais cette fois, les commandes allaient débiter de vrais comptes bancaires. Des comptes de vrais gens. Je me rassurais en me disant que de toute façon ils allaient faire opposition, les banques seraient obligées de rembourser. Je veux dire, il y a des assurances, pour ça.

Et puis, à la fois j’avais vraiment trop besoin de fric et à la fois je ne l'ai fait qu'une dizaine de fois. C'était vraiment trop compliqué et à chaque réception de matos je m'attendais à voir le livreur se transformer en flic.

Et puis, je ne sais pas ce qui m'est passé par la tête, sûrement que mon inconscient avait déjà tout planifié, j'ai postulé pour un stage chez ceux dont j’avais craqué le serveur. En fait, je connaissais tellement bien la config de leurs applis que lors de l’entretien j’ai pu leur dresser la liste de tout ce qu’ils avaient à revoir. Ça les a bluffé, ils m’ont pris.

J’ai vite vu que j’en connaissais au moins autant que leur admin. En fait, ils avaient payé une boite de développement qui leur avait monté le système, ils s'étaient fâché avec et depuis ça marchait en roue libre. Le gars ne faisait que de la maintenance « bricolo », il fallait tout remettre à plat, comme je l’avais dit.

Je m’y suis mis, j’ai vite eu l’accès total au système. Et puis là, mon inconscient a commandé mon conscient, j’ai voulu refaire à plus grande échelle mes petits détournements. Je voyais la perte, la casse, les retours et les petits arrangements dans l’entrepôt, je me suis dit qu’ils ne verraient rien.

J’ai prospecté l’école, je proposais le matos à moitié prix, j’ai vite eu assez de commandes pour remplir un camion. Directement sur le serveur, j’ai créé de fausses connexions. Elles ont généré les ordres d’achat vers les fournisseurs, après je les ai effacées.

Puisque je gérais le serveur « en direct », quand les commandes sont arrivées je les ai regroupées dans l’entrepôt, puis effacées encore une fois. Quand tout a été là, j’ai trouvé une raison pour revenir le soir et je suis venu avec un fourgon.

Dans la semaine, je fourguais tout, à la fin de la semaine, j’avais plus d’argent que mes parents n’auraient jamais pu m’en donner. Mais en même temps, ça ne me donnait pas mon diplôme et ça ne me permettait pas de me la couler douce jusqu’à la fin de mes jours.

Alors j’ai fait ce que n’importe quel crétin aurait fait et que n’importe quel gars intelligent n’aurait pas fait, j’ai remis ça. Avec une plus grosse commande, évidemment. Beaucoup plus grosse. Et bien sur, le soir où j’ai tout embarqué dans le fourgon, je me suis fait buster.

Je me souviens des flics (en civil, avec le brassard et le blouson façon FBI) et après c’est tout mélangé. La fouille, la geôle, les auditions, les perquisitions, mon père et ma mère, mon boss, je mélange tout mais ça a duré deux jours et deux nuits, jusqu’à la présentation devant la juge.

J’ai été présenté comme « le hacker qui faisait couler la boîte ». La juge m’a pris pour un terroriste de l’informatique et hop ! La taule, direct, en préventive pendant trois mois ! J’hallucinais toujours, je comprenais rien.

J’me suis fait tabasser dès le premier jour et j’crois que je serais mort si j’étais pas tombé avec Théo. On n’aurait pas forcément dû se retrouver ensemble, lui le tueur condamné et moi l’escroc en préventive, mais avec deux fois plus de détenus que de places…

La première fois que je l’ai vu, j’ai eu peur. Il est gaulé deux fois gros comme moi, il a les bras comme mon torse et il ne sourit pas vraiment quand il vous regarde. Quand la cellule s’est verrouillée, j’étais sûr que j’allais mourir dans la nuit. Et puis non. Il m’a juste demandé « Pourquoi t’es là ? ». J’ai craqué, je lui ai tout déballé, tout raconté.

À la fin, il m’a dit « Dors, maintenant ». Après, je ne le quittais plus. C’est plus tard que j’ai connu son passé, les hommes qu’il avait tués. Une seule fois pendant mon séjour, je l’ai vu frapper un autre gars. J’connais pas les motifs, mais il y en a un qui est arrivé sous la douche avec une espèce de lame. Le temps que je comprenne, l'autre gars était déjà par terre, à se tordre.

Personne n’a moufté, tout le monde a dit qu’il avait glissé. Après ça, j’avais encore plus peur qu’avant. Dans les couloirs, le réfectoire, la cour, partout j’avais peur. Il n’y a qu’en salle de cours, finalement, que j’étais bien.

Comme j’étais informaticien, le directeur de la prison m’avait demandé si je voulais enseigner. Évidemment j’ai accepté. C’était ça ou l’atelier avec les droits-communs. Et puis en cours j’avais Théo dans la salle. Il n’y connaissait rien mais il voulait apprendre.

Il a vite eu des questions, je lui répondais le soir en cellule. C’était moins con que s’abrutir devant la télé. Je lui parlais aussi de Franck. Franck, c’était le boss de la boite que j’avais piratée. Il venait au moins deux fois par semaine au parloir. Complètement déjanté il était. Famille bourrée de fric, il ne savait que se vanter et étaler sa vie fabuleuse.

Il avait eu comme des problèmes de drogue, je pense que ses neurones ne s’en étaient pas tout à fait remis. Enfin, ça intéressait Théo, alors je lui rapportais tout ça. Théo justement, c’est juste avant mon départ qu’il m’a parlé de son projet.

Alors après mon jugement, après ma sortie, je suis revenu le voir au parloir, toutes les semaines.

Quand il a eu sa libération anticipée, trois mois plus tard, je lui ai présenté ma copine.

Marc Ponsail : Jour 37 :

Mon affaire devant le juge ne s’arrangeait pas. Il voulait bouffer du flic, c’était clair. Mon avocat m’avait fait lire « l’enquête de moralité » qui figurait au dossier : intelligent mais brutal, a facilement recours à la violence physique, non-respectueux de la hiérarchie ni des procédures ; et autres conneries du même acabit. Brutal ! Bien sûr ! Comme si on vivait dans un paradis. Je vais dire « s’il vous plaît, monsieur le meurtrier, voulez-vous bien me suivre ? ». Et pourquoi pas des croissants quand j’arrive le matin, tant qu’on y est ? Putain ! On traque des truands, des tueurs, des violeurs et des dealers, des mecs qui butent sans sourciller, qui vendent de la dope qui tue les gamins, qui tirent à la roquette sur les fourgons blindés et on voudrait que je ne sois pas brutal ? Celui que j’ai tabassé le méritait. Bien sur, il n’avait pas eu le temps de sortir son flingue quand je lui suis tombé dessus. Bien sur, c’est moi qui l’avais mis dans sa main quand il était dans les vapes, juste pour que soit carré quand les autres sont arrivés. Mais s’il avait une arme sur lui, c’est qu’il s’en serait servi, non ? On ne va pas me reprocher trois ou quatre coups supplémentaires. Après tout, je lui ai à peine froissé quelques côtes. Il a bidonné le médecin pour qu’il écrive qu’elles étaient cassées, c’est ça qui fout la merde.

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