L'association - 4
yves
L'association 4/7
J 67 : Salle d'interrogatoire : Marc Ponsail face à Debby Azouane : Debby Azouane parle :
Je n’ai pas envie de parler de mon enfance.
Vous avez vu les reportages sur les filles de familles musulmanes dans les cités ? Tout est vrai, c’est même souvent pire.
La seule chose positive de mon enfance, c’est qu’on habitait dans une zone sans école coranique. Mes parents ont été obligés de m’envoyer à l’école des gaulois, j’ai trouvé des profs qui ont su me montrer que je n’étais pas forcée d’être une esclave. Je me suis même mis au graphisme, à la main et sur ordinateur et j’étais douée.
Alors quand mon père a voulu me marier à seize ans avec un vieux du bled (alors que mon père, lui, il est né en France, comme moi) et pour de la thune bien sur, je me suis barrée. C’était la fin de l’année scolaire, je suis partie le matin pour le bahut et je ne suis pas revenue.
Je n’ai pas trouvé beaucoup de copines pour m’héberger. Au bout d’une semaine je suis descendue dans le Sud, sur la côte et comme c’était l’été j’ai fait la saison. J’y suis restée, j’ai trouvé des gentils gars et des sales cons qui m’ont hébergée, pour le cul ou par gentillesse.
Plus souvent pour le cul, en fait. J’avais piqué la carte d’identité de ma grande sœur en partant, pour être majeure et passer les contrôles. J’ai tenu un an comme ça. C’était dur.
J’ai évité le trottoir plus d’une fois et j’ai couché dehors pas mal aussi. Et puis je suis tombé sur Jérôme. Presque puceau, nul avec les filles mais gentil. Je l'ai ferré, je lui aurais fait faire ce que je voulais. Mais je me suis laissé attendrir. Il n'était pas si mal foutu que ça et je lui ai appris à respecter une femme, à être doux avec moi. Ça me changeait.
Il m’a ramené à Paris. Il m’a laissé toucher ses ordinateurs, il m’a même fait bosser sur des projets graphiques. Il disait que j’étais douée. Il m’a fait bosser pour une petite boîte de graphisme pour jeux vidéo, ils m’ont gardée.
Tout au black, évidemment. J’ai passé l’année avec ou sans Jérôme, dans sa cité-U. Quand c’était pas avec lui c’était avec un autre de la cité. J’en ai déniaisé quelques-uns, j’étais comme la mascotte des étudiants.
Et puis j’ai eu dix-huit ans. J’ai pu ressortir ma CNI à moi. Avec les Ni Putes Ni Soumises j’ai réussi à reprendre mon identité, en évitant de revoir mes vieux heureusement. J’avais l’impression de commencer ma vie.
Et le nuage continuait : l’embauche sur une super prod, un film français bourré d’effets spéciaux avec un méga budget, avec ZE french producer, celui de tous les hits de la décennie.
J’ai bossé comme une malade, j’ai vu couler la thune à flots, j’ai eu droit à ma petite part, je me suis éclatée en jouant avec du matos que je savais même pas que ça pouvait exister. J’ai vite été affecté aux trucages acteurs, où je faisais subir aux personnages tous les délires du scénario.
Sang qui gicle, corps qui se déforment, morphing et transformations diverses. Il paraissait que j’étais la meilleure, on me confiait toutes les finitions, tous les gros plans. Ça m’éclatait.
Mais j’ai vu aussi ceux qui avaient le fric et le pouvoir traiter les autres comme des merdes, les faire ramper. L’indécence et l’obscénité des parvenus. J’ai été du bon côté pendant six mois et après j’ai cassé les couilles – littéralement – de l’acteur principal.
Il a voulu me sauter après avoir trop bu et trop sniffé, dans l’une des nombreuses soirées organisée par la prod’. Après ça, j’étais persona non-grata dans tout le ciné-biz français. Retour à la case départ.
Et puis ce con de Jérôme s’est fait coxer par les keufs et je me suis dis que la vie était décidément toujours de la merde. Il ne m'avait jamais rien dit de ses petites magouilles à deux balles, je lui aurais dit d'arrêter ce genre de plan loose ou alors de le faire bien. Encore heureux que je n'ai pas été chez lui quand les flics sont venus faire la perquis…
Quand il est sorti de taule, il avait changé. Il est revenu me voir, mine de rien, quelques semaines et puis il m’a présenté le projet de Théo.
Je ne dis pas que j’ai sauté dedans, mais c’était suffisamment tordu pour que j’écoute. J’ai rencontré Théo au parloir, il m’a envouté.
Enfin un mec pas sexiste, pas raciste, sans aucun préjugé, juste égoïste, complètement égocentrique.
J’ai gambergé sur ses idées, avec Jérôme, avec Théo et enfin avec Franck.
Marc Ponsail : Jour 45 :
L’actualité du jour, c’était un triple meurtre. Tout avait commencé par deux « accidents ». Un incendie dans un pavillon de Clichy et une voiture à la Seine vers une heure du mat’. D’un côté des voisins affolés appelaient les pompiers qui allaient mettre deux heures à éteindre, de l’autre plusieurs appels signalaient une grosse BM, le 4×4 dernier modèle, zigzaguant sur la route pour finir par défoncer une balustrade de pont et plonger dix mètres en dessous, plouf dans l’eau. À Clichy, quand les pompiers sont entrés dans le salon, ils ont trouvé deux macchabées. Lorsqu’ils ont vu aussi les flingues et compris que c’est de l’essence dispersée partout qui avait causé l’embrasement, ils ont eu raison de penser que ce n’était pas un pique-nique qui avait mal tourné. D’où l’appel chez nous et mon réveil en pleine nuit. Au petit matin on avait identifié l’un des deux gars, le proprio du pavillon. Richard Goppi, dealer au palmarès long comme le bras. On avait aussi retrouvé son pitt-bull, troué et carbonisé dans le garage. Deux heures après, l’ADN identifiait le second humain. Zerbib Zukovar, autre dealer bien connu. En plus, sa voiture était garée sur le trottoir devant le pav. Ca sentait le deal qui avait mal tourné. Mais tout laissait aussi penser à un troisième homme. Les traces, le sang vers le garage, le pitt-bull flingué, la voiture disparue et la porte laissée grande ouverte. On en était là quand les collègues de Gennevilliers nous rendaient visite en annonçant que notre voiture était retrouvée. La fluviale venait de ressortir la BM de l’eau et avait constaté que le conducteur n’était pas forcément mort de sa chute. En fait, il avait plusieurs impacts de gros calibre dans le buffet. Tout de suite, ça rendait l’accident moins plausible. Et comme par hasard, une fois identifié, c’était Tony Megali, que les stups nous ont identifié comme le porte-flingue habituel de Goppi. Avec ces trois-là, on sentait se dessiner l’histoire. Il a fallu quand même plusieurs jours au labo pour trouver les traces qui confirmaient ce qu’on pensait. Le feu et l’intervention des pompiers, ça ruine franchement un paquet d’indices. Le séjour dans la Seine avait moins effacé de traces, mais on avait vu mieux quand même. Enfin, à la fin de la semaine on était à peu près sûr de nous : Zerbib était arrivé chez Goppi pour un deal, Megali était déjà là. Pour on ne sait pas quelle raison, Megali bute Goppi. Zerbib tire sur Megali, mais sans le tuer. Megali bute alors Zerbib et s’enfuit dans la bagnole de Goppi mais, trop blessé, finit au fond de l’eau, ce qui l’achève. On avait dans la BM des traces de coke, ce devait être le motif du carnage. Les poissons ont dû faire quelques overdoses avec… Bon, il manquait sans doute un complice de Megali, puisqu’on n’avait pas retrouvé sa voiture dans le quartier. On le cherche encore, mollement. Le juge est comme moi, on ne va pas gaspiller notre temps et l’argent du contribuable pour un règlement de compte où seuls des truands ont payés.
Et puis, ma mise en examen me prenait suffisamment la tête comme ça. Je pouvais compter sur les doigts d’une main ceux qui me soutenaient. Et pas un patron dans le lot. Merci la hiérarchie.