L'association - 5

yves


L'association 5/7

J 67 : Salle d'interrogatoire : Marc Ponsail face à Franck Portuza : Franck Portuza parle :

Né et élevé dans une famille aisée et conformiste, fils unique, j’ai grandi pourri et gâté.

Écoles privées, équitation et piano, l’hiver au ski, l’été dans les îles, une vraie enfance de parvenu. Mes parents n’étaient pas de vrais millionnaires, mais ça y ressemblait.

Vieille famille industrielle de province, notables locaux, présidents d’un nombre incalculable de cercles et associations, la vie était dorée mais étouffante. Quelles que soient les conneries que je pouvais faire, Père sortait le carnet de chèque et tout s’arrangeait.

Pourtant j’ai beaucoup essayé. J’ai fini dans une boîte privée, une école catholique pour petits asociaux dans mon genre. Enfin, ça m’a amené à la Licence en économie.

Parce que, à partir du moment où j’ai commencé à jouer en Bourse, tout d’un coup j’avais trouvé ma voie : être le meilleur, ruiner le concurrent et amasser des profits indécents.

Mes parents ont cru que j’avais eu « LA » révélation, que j’allais enfin suivre les traces familiales et reprendre l’entreprise. Pauvres d’eux. Décrocher la Licence n’était que la première étape.

Après il y a eu les stages – pour lesquels je n’avais aucune vergogne à utiliser le carnet d’adresse paternel -. Banques et sociétés de bourse, je m’y suis tout de suite senti comme un poisson dans l’eau : personne à gérer que moi, jouer avec l’argent des autres et l’odeur du sang (virtuel) qui fait monter l’adrénaline.

Entre nous, on se ressortait les noms des vieux traders qui s'était fait chopper, Kerviel et les autres. On rigolait bien sur les pseudo-mesures de sécurité. La vérité, c'était que en ces temps de crise mondiale nos hiérarchies avaient besoin de toujours plus de fric et c'est nous qui le ramenions, ce fric. Et les seniors traders, ceux qui avaient l'autorité, savaient toujours enfumer les dirigeants.

Après Paris, j’ai fait Londres, puis New-York. A chaque fois j’étais le nouveau wonder-boy. Celui qui fait péter les indices et les profits. Mais j’avais aussi de plus en plus de problèmes avec la coke et les filles.

Il m’en fallait toujours plus et j’avais quelquefois vraiment du mal à aligner deux ordres cohérents de suite. Et puis une fois, j’ai disparu de la circulation pendant une semaine complète. Filles, coke, alcool et viagra, je n’avais plus un neurone en état de penser.

Quand je me suis réveillé, j’étais viré et ruiné. Et complètement cocaïnomane. Mes parents m’ont récupéré dans un état lamentable, envoyé dans un centre de désintox et finalement rapatrié en France.

Je les ai haïs pour ça. Encore une fois Père avait sorti son carnet de chèque et m’avait sorti d’affaire. J’avais trente-trois ans, j’étais revenu au point de départ.

Sous haute surveillance, vous pensez bien. J’étais une épave, je haïssais tout le monde, le monde entier, qui m’avait laissé devenir ce déchet. Mes parents y compris.

Et puis il y a eu ce petit con d’informaticien qui a escroqué notre site internet de vente en ligne. C’était une parcelle minuscule de l’empire familial, mais il me plaisait bien, c’est moi qui l’avait lancé.

Alors je suis allé voir cet idiot au parloir. En fait, je ne savais pas vraiment pourquoi je faisais ça. Je mélangeais encore un peu les idées dans ma tête. J’y suis retourné, juste pour faire chier mon père et parce que ça faisait comme une sortie dans mon quotidien de désintoxiqué.

Je crois que je parlais de tout et de rien. Juste pour montrer combien il était nul, alors que moi j’avais eu une vie fantastique, des montagnes de fric et de fille. Il fallait que je le pourrisse pour me mettre au-dessus de lui. Il le fallait, pour justifier qu’il soit à l’intérieur et moi à l’extérieur.

Je n’avais jamais autant parlé avec qui que ce soit d’un milieu aussi… banal. Pauvrement banal. C’était un sale con de classe moyenne, j’étais un sale con de riche.

Il est sorti de taule à la fin de sa préventive, quand le jugement a été prononcé, sans lui infliger de peine supplémentaire (faut dire qu’on n’avait pas forcé sur le dépôt de plainte).

Je ne sais pas pourquoi, j’ai filé de l’argent à Jérôme quand il a été libre. Je lui ai même trouvé un appart et je venais le voir de temps en temps. Je voulais absolument voir comment il avait fait sa magouille.

Quelque part au fond de ma tête, je faisais un investissement. Il y avait de l’argent facile à faire dans les arnaques du monde virtuel.

Jérôme semblait me supporter et me juger en même temps. Je commençais aussi à reprendre pied dans la réalité. Et à me demander si ce fondu de l’informatique était bien à la hauteur de mes projets.

Mais quand il m’a présenté le tueur, ce Théo, j’en suis resté sur le cul. Les idées de ce gars dépassaient mes rêves les plus fous. J’ai plongé. Immédiatement. Et c’est pour moi qu’on a fait le premier coup.

J 67 : Salle d'interrogatoire : Marc Ponsail face à l'équipe : L'équipe parle : Le premier coup :

L’idée était assez simple, comme souvent : que meurent les parents de Franck dans un accident pour que celui-ci, d’abord en soit débarrassé, ensuite touche les multiples primes d’assurances.

Le problème posé, tout est dans son exécution. Terme bien choisi, d’ailleurs.

Théo a surveillé le vieux couple pendant deux mois, sans aucun contact avec Franck.

En taule, il avait eu le temps de réfléchir au problème numéro un, l’ADN. Depuis que les flics le cherchaient systématiquement en cas de meurtre et avec des méthodes de plus en plus performantes, les coupables avaient de moins en moins de chance de passer à travers les mailles du filet.

Heureusement pour nous, en cherchant bien, on avait trouvé sur le marché un truc assez fabuleux, une combinaison étanche, souple et moulante, qui garantissait de ne laisser échapper aucune cellule analysable par les flics.

Initialement, ça avait été développé pour les scientifiques de l'extrême, genre les spéléo qui vont dans des milieux clos depuis des centaines de milliers d'années, en gros là où la main de l'homme n'a jamais mis le pied.

Il y a un fabricant qui a lancé sur le marché cette combi étanche, garanti 100% safe pour les pauvre virus et autres bactéries qui risqueraient d'attraper une maladie en côtoyant les humains.

C'est Théo qui l'a trouvée, mais c'est Jérôme qui a passé la commande à travers une fausse boîte de développement vidéo qu'on a installé au Luxembourg. C'est fou ça, dès qu'on dit qu'on travaille pour le cinéma, les vendeurs ne posent plus de question sur ce qu'on va faire du matériel.

Bref, avec ça sur le dos, Théo ressemblait à un évadé de Tchernobyl, mais, non seulement personne ne pouvait le reconnaître, mais en plus il était sûr de ne rien laisser de compromettant sur les lieux des futurs crimes.

Justement, il avait finalement eu son idée et l’avait appliqué sans tarder. Ce n’était pas très fin, mais ça allait marcher.

Les parents de Franck avaient, parmi d’autres multiples possessions, un chalet près de Morzine. Une vieille bâtisse centenaire dont l’âge expliquait l’isolement et les défauts « rustiques », à la différence des demeures plus moderne, tout confort et respect des normes.

Jérôme et Debby sont montés de la vallée en mobil-home, Théo planqué à l’arrière. Le mobil-home était loué dans les règles. Comme rien ne rattachait Debby aux parents de Franck, on a utilisé son vrai nom et sa vraie carte de crédit.

Comme des amoureux qui se paient un week-end loin de chez eux. Pour arriver, ils ont un petit tour de la vallée et Théo est descendu en route, discrètement.

Profitant de la nuit tombée, enfermé dans sa combinaison étanche, il a fini à pied le chemin jusqu’au chalet des parents de Franck où il est entré grâce aux clés que celui-ci avait fournies.

De leur côté, Jérôme et Debby stationnaient en ville sur le parking autorisé, comme tous les rouleurs et allaient manger une raclette dans un restau à touristes, en plein centre de Morzine.

Dans le chalet, à l’insu des parents de Franck, Théo attendait. Quand il n’y a plus eu de bruit, en pleine nuit, il est monté jusqu’au grenier. Sous le plancher, au-dessus du plafond de l’étage, l’isolation était assurée par de la très vieille laine de verre.

Et dans la laine de verre courraient les câbles électriques qui desservaient les plafonniers de l’étage en dessous. Normalement, tout ça est sans risque. Sauf si un rat s’amuse à grignoter les protections plastique des fils conducteurs, que ceux-ci s’échauffent anormalement, par exemple suite à la panne d’un vieil appareil qui y serait raccordé et que ce fil échauffé soit en contact direct avec de la laine de verre.

Et bien c’est cette improbable succession de pas de chance que Théo a aidé à mettre en œuvre. Tous ensemble on y avait réfléchi, éliminant les impossibilités, causant les possibilités, allant même jusqu’à faire des tests grandeur réelle dans le hangar devenu notre QG, officiellement loué par une SARL de graphisme vidéo montée par Jérôme et Debby, avec de l’argent provenant plus que discrètement de Franck.

Donc, dans le grenier, toujours aussi discret, Théo attendait. Au bout d’une heure, une discrète fumée a commencé à s’élever. Il est alors descendu jusqu’à la chambre où dormaient les parents.

Il connaissait parfaitement les lieux et ses lunettes à vision nocturne qu’il n’avait pas quittée depuis son entrée dans le chalet lui évitaient d’avoir à éclairer. Par Franck, il savait que sa mère prenait des somnifères pour dormir. Elle n’allait pas lui poser de problèmes.

Pour le père, tout était prévu : un gros coussin pris en passant et une petite bouteille de gaz carbonique comprimé. Plus fort que le septuagénaire pris dans son sommeil, Théo lui a appliqué le respirateur sur la figure et l’a maintenu à l’aide du coussin.

En moins de trente seconde, le gaz carbonique avait fait son œuvre. Évanouissement garanti. La même chose pour la mère, le même résultat.

Pour arriver au bon résultat, Théo leur a repassé le masque et laissé le gaz faire son œuvre pendant plus de trois minutes chacun. Pas de risque de réveil inopportun.

Sans traces, ils étaient morts d’avoir respiré une accumulation de gaz carbonique, qu’on diagnostiquerait causé par la combustion lente de la vieille laine de verre du grenier au-dessus de leur chambre.

Après commençait la partie vraiment risquée, l’incendie, le vrai. Au grenier, il y avait du vieux papier. Des vieux livres, de vieux documents, archives de la famille. Et c’est une de ces feuilles qui, malheureusement placée au-dessus de l’endroit où se consumait la laine de verre, allait s’embraser et déclencher un terrible incendie que rien n’arrêterait.

Pas le droit à l’erreur pour Théo sur ce coup-là. Dès la certitude que l’incendie avait bien débuté, il dévalait les escaliers jusqu’à l’extérieur, refermait la porte à l’aide des clés et passait le portail alors que la charpente commençait à s’embraser.

Une rapide course à pied et dans la fin de la nuit, alors que tout Morzine dort encore, que l’incendie n’est même pas encore aperçu par les voisins, Théo s’engouffre dans les WC, payants mais publics, fort-à-propos situés sur un emplacement de parking au bord de la départementale, WC que la Mairie de Morzine entretient encore pour les promeneurs et vacanciers qui font vivre la station.

Après, il attend. Il faut un quart d’heure pour qu’il entende la sirène des pompiers. Pas de problème, tout a bien eu le temps de s’embraser. Un souci de moins.

Lorsque le mobil-home passe le récupérer, en s’arrêtant devant les WC vers 7H, Théo a entendu passer trois autres fourgons de pompiers et la Gendarmerie. Dans le mobil-home, la première chose que fait Théo est d'enlever la combinaison trempée de sa sueur et enfin de pisser. Depuis dix heures il pissait dans une poche collée au bas de sa jambe, sous la combinaison, ça devenait long.

Dans le journal du lendemain, on pouvait lire « Tragique incendie à Morzine : deux morts » et la petite phrase « La gendarmerie privilégie l’hypothèse de l’incendie accidentel ».

Trois mois après, Franck touchait la première prime d’assurance. Dans un an il serait riche à millions, seul gérant de la fortune familiale, sans compte à rendre à personne.

Le premier coup de l'équipe était un succès.

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