L'association - 7/7

yves

L'Association 7/7

J 67 : Salle d'interrogatoire : Marc Ponsail face à l'équipe sans Théo : L'équipe parle de Goppi, Megali et Zukovar :

Celui-là, c’était tout dans le guet-apens et rien dans la technique.

Le but, c’était de dérober une cargaison de coke, en accusant les dealers : Richard Goppi le vendeur, Tony Megali son garde du corps et Zerbib Zukovar l’acheteur.

On n’avait qu’une semaine avant la livraison, on a fait simple comme scénario : buter les trois mecs, voir celui qui n’était pas mort du premier coup et lui faire porter le chapeau pour la disparition de la dope, en l’embarquant pour le jeter un peu plus loin.

Dans cette affaire, on n’a pas cherché la « vraie » vraisemblance. Après tout, le monde des dealers, c’est arnaques et compagnie. Pourvu qu’il n’y ait pas de victime innocente, les flics ne vont pas souvent chercher au-delà des apparences.

Donc, ce soir-là, Jérôme, au volant d’une banale camionnette siglée d’une firme de location de véhicules de déménagement, passe devant l’adresse de Goppi. Pavillon sans style, dans un quartier résidentiel inintéressant de Clichy la moche.

Les voisins ont déjà fermé leurs volets, on voit la lueur bleutée des télévisions, pas de témoins à craindre. La voiture de Zukovar est déjà là, garée à l’extérieur, devant le muret, comme n’importe quel visiteur du quartier.

Jérôme fait une pause au coin du muret surmonté d’une haute grille aux piques acérées. Théo fait coulisser la porte latérale, il ne descend même pas. Un épais tapis de cordes de chanvre est projeté vers le haut, s’empale sur les piques, Théo utilise la corde à nœud fixée au sommet du tapis pour se hisser à la force des bras et retombe de l’autre côté dans le jardin mal entretenu. Franck et Debby décrochent le tapis à l’aide de deux bâtons à crochets et le récupèrent dans le fourgon, qui repart. Vingt secondes et aucun bruit.

Théo est habillé d’une combinaison étanche stérilisée l’après-midi même. Et d’un gilet pare-balle.

A la main, Théo tenait une grosse boite, l’arme secrète. Chez Goppi comme chez ses voisins, les volets sont fermés et la télé est allumée.

La porte d’entrée renforcée est verrouillée, la porte basculante du garage fait du bruit, la porte arrière est également renforcée et verrouillée. Les dealers sont en général parano, sinon ils ne durent pas longtemps.

Théo avait préparé ce qu’il fallait pour l’inciter à sortir : un chat. Dans la porte du garage il y avait une chatière. Ou plutôt un passage pour le pitt-bull, verrouillé. Théo y a collé une cage à chat, agrémentée d’un petit gadget et a forcé le passage au mini-pied de biche.

Il entendait le pitt grogner et pousser de l’autre côté, rendu fou par l’odeur du matou. Dès qu’il a pu, le molosse s’est rué dehors, en plein sur le chat. Ou plutôt en plein dans le filet.

Le chat miaulait de terreur, le pitt aboyait de rage, les deux séparés d’une dizaine de centimètres, enfermés ensemble.

Trois minutes après, le garage s’allumait : Goppi s’inquiétait pour son pitt. Théo a entendu jurer, très fort, puis la lumière extérieure s’est allumée pendant que la porte commençait à se lever. Parfait.

Embusqué dans l’ombre d’un buisson mal taillé, le silencieux vissé sur son Beretta, Théo a fait un carton comme au stand. Goppi a pris la balle en plein cœur et s’est agenouillé sans un bruit, sur les genoux, mains jointes sur la poitrine.

Théo a libéré le chat qui s’est enfui dans un dernier miaulement, a délesté Goppi de son Sig, puis a ramené dans le garage le pitt toujours emprisonné. En avançant dans le couloir du pavillon, il a entendu Mégali demander si tout allait bien. Aucun soupçon dans sa voix.

Zukovar et lui ont à peine eu le temps de comprendre, qu’ils étaient séchés. Zukovar avec l’arme de Goppi, Mégali avec le Beretta, l’arme qui avait tué Goppi. Pendant un moment, Théo a craint d’avoir tellement bien tiré qu’il les avait buté net tous les deux. Heureusement pour le plan, Mégali était costaud.

Bref, Théo a sorti un grand film de plastique renforcé et l’a utilisé pour traîner le corps de Mégali jusqu’au BMW X5 dans le garage. Toujours installé sur le plastique, il l’a attaché sur le siège passager, puis, avec un autre film, a ramené le cadavre de Goppi jusqu’au carrelage du salon.

Une fois le chien flingué et les armes bien réparties, il a mis les sachets de coke dans la bagnole. On avait espéré trouver un jerrycan d’essence dans le garage, ce n’était pas le cas. Tant pis.

Théo a ouvert le bar, fort bien garni, et a répandu près d’une dizaine de litres d’alcools divers sur tout ce qui pouvait brûler au rez-de-chaussée, en particulier sur les cadavres et les rideaux. Il y a rajouté les allume-feu de la cheminée puis, une fois tout fini, juste avant de partir au volant du BM, Théo a jeté un Zippo sur le début de la traînée d’alcool.

Les flammes ont couru jusqu’au salon, pendant que Théo passait le portail. Dix minutes plus loin, il se garait dans un coin sombre, à côté de Jérôme. Franck et Debby étaient déjà partis, prêts pour la séquence suivante.

La coke passait dans la camionnette, Théo récupérait des protections de cascadeur (encore) et une mini bouteille d’air comprimé, de quoi respirer pendant dix minutes.

Après, rouler jusqu’au pont en se faisant remarquer et plonger dans la Seine, tout ça était prévu à l’avance. On avait réussi à répéter la scène dans la semaine avec un autre X5, loué celui-là.

Bien harnaché, bien protégé et aussi dans un des meilleurs véhicules de la production automobile, c’est en fait bien plus facile qu’on ne se l’imagine. A condition d’être en parfaite forme physique et d’avoir un peu d’aide, bien sur.

Parce qu’au fond de l’eau, Théo  était attendu par Franck. En bon play-boy fils de famille, il passait ses vacances au Seychelles où il avait passé tous ses brevets de plongée sous-marine.

La Seine c’est pas l’océan Indien mais il a assuré. Il s’est occupé de Théo d’abord, puis de Mégali.

Le passer du côté passager au côté conducteur, reboucler (proprement) la ceinture, récupérer la protection plastique et finalement se laisser dériver vers l’aval, où Jérôme s’était posté.

Réussite parfaite. On a eu accès, après, au dossier de police, une délicate attention du client pour qui on avait bossé, celui qui avait finalement récupéré la coke. Ca nous a fait plaisir.

Et on t’a encore revu, M. Ponsail…

Marc Ponsail, jour 67 – début d’après-midi :

Comme un bleu. Je m’étais fait avoir comme un bleu. En sortant du 36 (le « nouveau 36 » construit dans le 13e arrondissement), ce gars s’est détaché de la voiture où il était appuyé et il est venu vers moi. Beau gosse, jeune, costume de prix, nerveux Quand il a annoncé « Franck Louvier, du cabinet de Me Sanic. », ça ne m’a pas étonné. Il avait bien une tête à bosser pour cet avocat de mon dealer.

Alors quand il a poursuivi « Me Sanic souhaiterait vous rencontrer pour discuter du dossier », je me suis dit « Enfin le vent tourne. Le juge change d’avis et l’avocat souhaite un arrangement… ». Donc j’ai accepté de le suivre. Je savais que mon avocat n’aurait pas aimé, qu’il aurait voulu que je le prévienne pour assister à l’entretien, mais je savais aussi le prix qu’il me coûtait et j’avais sur moi mon petit enregistreur. Des confidences en tête à tête, voilà qui peut toujours être intéressant.

On est donc monté dans la voiture, du haut de gamme français, exactement ce à quoi je me serais attendu. Ce Louvier est monté à l’avant en place passager, à côté du chauffeur, un colosse avec une sale tête, tellement grand qu’il avait reculé son siège au maximum, j’étais placé derrière Louvier. Ca m’a confirmé que c’était bien le chauffeur de Sanic. Il doit recruter parmi ceux qui lui sont redevables. Quel con j’ai été. Si je n’avais pas fait une fixation sur ma mise en examen, j’aurais sûrement été plus méfiant…

A côté de moi, j’avais le mini-bar, dans l’appui-tête j’avais la télé La voiture a pris la direction du 9-3 par le périf, Louvier a dit que Me Sanic souhaitait un rendez-vous hors de ses bureaux, dans un lieu discret.

Et puis, au premier arrêt à la sortie du périf, alors que j’essaie de comprendre vraiment où on va, voilà que la brute se tourne vers moi en me disant « Excusez-moi, monsieur ? » et tout en même temps je vois le canon carré du Taser qui crache et je perds connaissance.

Je ne sais pas ce qu’ils m’ont fait après, parce que normalement le Taser ça ne dure qu’une quinzaine de secondes, mais je me suis retrouvé dans cette salle d’interrogatoire.

Le temps de sortir des vapes, je me suis rendu compte que j’avais la cheville enserrée dans un anneau de menotte solidement fixée au sol.  « Bordel ! », je me suis dit. Depuis quand est-ce que l’IGS emploie des méthodes comme ça ? Qu’est-ce que j’ai encore fait comme connerie pour avoir droit à ce traitement ?

Et puis le colosse est entré. D’une voix douce il m’a dit « Bonjour Monsieur Ponsail. Prenez donc un verre d’eau, remettez-vous, nous avons une histoire à vous raconter. »

Et ils ont tous défilé devant moi, un par un. Théo le colosse, Jérôme, Debby, Franck le faux avocat. Ca dépassait tout ce que j’avais déjà vu. Une « association de malfaiteurs » réunie autour de la fabrication de faux coupables. Complètement dépassé, j’étais. Ces aveux détaillés : deux affaires que j’avais suivies moi-même. J’avais foiré des enquêtes, dans ma carrière, c’est sûr. Mais ça…

Et à la fin Théo m’a détaché la cheville et fait voir que cette salle d’interrogatoire était un décor, reconstituée dans ce grand hangar, comme pour un film. Après les avoir entendu, je me perdais en interrogations sans fin. Dont la principale était : « Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? ».

J 67 : Salle d'interrogatoire : L’équipe parle à Marc Ponsail :

Toi le flic, on t’avait vu la première fois chez Nozaki. La seconde fois dans l’affaire Goppi. Et Théo avait entendu parler de tes ennuis. Un dealer qui t’accusait, ta mise en examen prononcée, ça semblait couru d’avance, tu allais te retrouver vigile de supermarché.

Mais nous, tu nous intéressais. Trop violent pour rester dans le rang, assez intelligent pour le faire sciemment, c’était un potentiel intéressant. On cherchait un nouveau membre pour le groupe. Quelqu’un qui nous ouvrirait les fichiers de la maison bleue.

Les discussions entre nous avaient été longues et animées. Et finalement, comme d’habitude, l’avis de Théo avait emporté le morceau. Alors on t’a invité chez nous. Dans le hangar, dans la fausse salle d’interrogatoire, pour te montrer ce qu’on sait faire. On t’a tout raconté. Maintenant on est tous les quatre d’un côté de la table et toi de l’autre. Et on te propose un marché.

J 67 : Salle d'interrogatoire : Théo parle à Marc Ponsail :

Tu as vu ce qu’on fait. Ce qu’on sait faire. On n’est qu’au début de nos possibilités. Avec toi en plus, on pourrait faire des choses vraiment géantes. Réfléchis bien : maintenant, on ne bute que des truands, on ne truande que des truands. Il y a une place pour toi chez nous. Chez toi, dans ta grande maison, qui te soutient ? C’est vraiment pour ces gens-là que tu veux te crever le cul jusqu’à la fin de tes jours ? Nous, on t’offre notre aide pour mettre fin à tes petits tracas. On a déjà un plan pour casser les déclarations de ton dealer. Gracieusement, bien sur. Après, tu décideras librement.

J 67 : Salle d'interrogatoire : Marc Ponsail :

Ce gars était barge. Mais magnétique. C’était un tueur, un vrai, mais tout paraissait tellement naturel quand il en parlait.

En l’écoutant je me repassais mon film à moi. Vingt-deux ans déjà à bosser comme un malade. Des dizaines de criminels identifiés, sortis de l’ombre et remis à la justice. Mais le monde ne devient pas meilleur. Je vis toujours dans un appartement de merde, je paye une pension alimentaire pour un gamin que je ne vois jamais, je ne suis qu’un pion dans une administration merdique qui se fout de nous mais qui ne pourrait rien sans notre boulot.

Et comme il le dit ce gars, personne ne me soutient face à un dealer de merde qui raconte n’importe quoi. Pourquoi je pense ça, moi ? Ce gars devrait être en taule, comme les trois autres.

J 67 : Salle d'interrogatoire : L’équipe face à Marc Ponsail :

On a bien vu que Théo avait touché une corde de ce gars. Alors on lui a exposé en détail le plan prévu pour le disculper face à son accusateur. Il nous a écoutés attentivement. Ca faisait bien trois heures qu’on était là, tous ensemble, quand il a pris sa décision.

J 67 : Salle d'interrogatoire : Marc Ponsail :

Merde ! Plus rien à foutre de la loi et de la justice. Maintenant, c’est ma gueule d’abord !

Epilogue :

Ponsail s’est levé et a longuement serré la main de Théo, puis de chacun des autres.

L’association venait de se former. Pas pour le meilleur. Pour le pire.

* FIN *

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