L'attaque I

aren_seondi

Patricia Henderson

 

 

La pièce était plongée dans la pénombre, les murs étaient noirs. Seule une lampe éclairait la table placée au milieu de la pièce. Il n'y avait qu'une seule porte et une caméra de sécurité dans un coin sous le plafond filmait l'ensemble de la scène. A table étaient assis deux personnes. Un homme d'une quarantaine d'années à la barbe grisonnante vêtu d'un costume tout aussi gris et une femme, d'une trentaine d'années vêtue d'un jean délavé, d'un débardeur blanc et d'une veste noire. L'homme prit la parole. « Le 18 septembre 2008. Affaire 332. Déclinez nom, prénom et âge.

-          Patricia Henderson, 33 ans.

-          Où habitez-vous ?

-          174, Maastricht Avenue.

-          Où travaillez-vous ?

-          Dans une agence de voyage, dans le centre ville.

-          Le centre ville.

L'homme notait toutes les informations. Il reprit :

-          Que faisiez-vous le mercredi 4 septembre 2008 à 15h ?

-          Je faisais les magasins. Il me fallait une robe pour un mariage.

-          Très bien. Racontez-moi ce qu'il s'est passé.

-          Comme je vous l'ai dit je faisais les magasins. J'étais un peu fatiguée et il commençait à pleuvoir alors je me suis arrêtée pour ouvrir mon parapluie.

L'homme continua d'écrire.

-          Poursuivez, dit-il.

-          Oui. J'ai repris mon chemin en passant par la Grande Arche, vous savez la grande porte en pierre blanche qui donne sur la place pavée – la Place Blanche. Je me souviens qu'il était 15h15 quand je l'ai passée parce que ma meilleure amie m'a appelée à cet instant et que je lui ai dit de faire un vœu.

-          Et c'est à ce moment là que vous avez entendu des cris.

-          C'était effrayant. J'étais arrivée sur la place et j'ai entendu des cris parmi la foule à l'autre bout. Tout le monde s'était mis à courir sous la pluie. Les gens m'ont bousculée. Je suis tombée dans une flaque d'eau, j'étais énervée. Et c'est comme ça que je me suis foulé le poignet.

Elle lui montra le bandage sur son poignet gauche puis continua :

-          J'ai quand même réussi à me relever pour suivre le mouvement.

-          Et c'est là que vous l'avez vu.

-          Oui, dit-elle en esquissant un léger sourire. Je m'en souviens comme si c'était hier. Alors que tout le monde fuyait, il a croisé ma route et m'a frôlée. Il courrait si vite. Je me souviens qu'il n'était vêtu que de noir. Je me suis retournée et je l'ai suivi des yeux. Il courrait vers l'autre bout de la place, vers la source de la panique.

-          Qu'avez-vous fait ?

-          Je l'ai suivi.

L'homme arrêta d'écrire et leva les yeux vers elle.

-          Vraiment ?

-          Jusqu'à ce que j'aperçoive la… la chose…

-          Qu'est-ce que c'était ?

-          Je… Vous ne me croiriez pas, dit-elle gênée.

-          Vous parlez de ceci ?

Il sortit une photo d'un dossier qui était posé à côté de son carnet et la montra à la femme. Elle représentait une créature de plus de trois mètres de haut qui évoluait à quatre pattes, à la tête large et aux dents acérées. Trois rangées de pics s'étalaient sur son dos de sa nuque à sa courte queue. Son pelage était noir, ses muscles saillants. Ses yeux étaient noirs, se confondaient avec son pelage et encadraient de larges naseaux tandis que deux trous surplombaient chaque œil.

-          Oui, fit-elle, soulagée. Mais qu'est-ce que c'est ?

-          Je ne sais pas, dit l'homme avec sincérité. Qu'est-il arrivé ensuite ?

-          Ensuite…

Elle eut peine à plonger dans ses souvenirs.

-          Ensuite ?

-          Ensuite l'homme a fondu sur la créature. Il l'a criblée de balles mais elles n'ont eu aucun effet sur lui.

-          Il était armé…

-          Oui, et pas seulement d'armes à feu. Quand il n'a plus eu de balles dans son revolver il a sorti une longue et fine épée.

-          Que faisait la créature ?

-          Elle dévorait les gens qu'elle avait fauchés ou tués sur le coup. Rien qu'au souvenir de la scène je…

Patricia ferma les yeux et plaqua une main sur sa bouche. Elle essayait de chasser les images de membres humains déchiquetés et pendant dans la gueule de la créature. Elle essayait d'oublier le sang qui se répandait tout doucement sur la place.

-          Vous voulez faire une pause ?

-          Non, ça ira, dit-elle finalement en rouvrant les yeux. Ca ira.

-          Très bien. Alors l'homme a affronté la créature tout seul. C'était courageux.

-          Oui. Et… Et à un moment la créature m'a repérée. Elle s'est désintéressée de l'homme et m'a chargée. J'ai failli…

Elle se tut.

-          Que s'est-il passé ?

-          J'étais tétanisée. Je ne pouvais plus bouger. J'ai eu la peur de ma vie.

-          Que s'est-il passé ? insista l'homme.

-          Elle… Elle allait me percuter. Je… Je n'ai vu dans ses yeux aucune trace de vie, aucune lueur d'espoir. J'allais mourir quand j'ai été brusquement jetée à terre : l'homme m'avait sauvée. Il s'est aussitôt relevé et s'est jeté de nouveau sur la créature. Je ne sais quelle folie l'animait ! On aurait dit qu'il ne connaissait pas la peur ! Il a planté son épée dans la poitrine du monstre, l'a retirée et a couru à l'opposé de moi.

-          La créature l'a chargé ?

-          Heureusement, oui. L'homme a réussi à éviter la bête. Elle l'a chargé plusieurs fois mais il a pu l'esquiver. La bête était de plus en plus violente. Elle émettait un cri strident, qui me hante encore la nuit. Je n'aurais jamais suivi cet homme si j'avais su ce qui allait se passer…

-          Après ?

-          Il a trouvé un moyen d'affaiblir la créature. A chaque esquive il tranchait l'arrière de ses énormes pattes.

-          Il lui coupait les tendons…

-          En quelques minutes la créature était à terre. L'homme en a fait le tour et a planté son épée dans ce qui ressemblait à une oreille. La bête a gémit et s'est agitée violemment une dernière fois avant de devenir inerte.

-          Vous avez pu parler à cet homme ?

-          Non. Il m'a regardée une dernière fois et il est parti.

-          Vous pourriez le reconnaître ? Faire un portrait robot ?

-          Non, son visage était à demi masqué.

-          Masqué ?

-          Son nez et sa bouche étaient couverts. Je n'ai pu voir que ses yeux. Pourquoi voulez-vous le retrouver ?

-          …

-          Pourquoi ? insista Patricia en se rapprochant de l'homme. Il m'a sauvé la vie !

L'homme se redressa sur sa chaise pu s'affaissa légèrement.

-          Parce que nous aurions besoin de lui…

-          Comment ça ?

-          D'autres créatures ont été aperçues dans les environs de la place et à l'autre bout du pays. Je dis aperçues parce qu'il n'y a eu aucun survivant pour témoigner de leur passage.

-          Comment ? Je ne suis pas la seule à avoir vu la créature ce jour là. De nombreuses personnes ont réussi à fuir !

-          Oui, mais vous n'avez été attaqués que par une seule créature. Ailleurs, elles ont attaqué en meute…

-          En meute…

Elle baissa la tête et essaya d'imaginer ce que pouvaient faire plusieurs de ces créatures au milieu d'une foule. Elle en eut le souffle coupé.

-          Ca va ? lui demande l'homme.

-          Oui. Non, dit-elle d'un ton ferme en le regardant droit dans les yeux. Qu'est-ce qui va se passer ? Je veux dire, elles vont continuer de nous attaquer. Qu'est-ce qui va se passer pour nous ? Pour la population.

-          Je ne sais pas. Nous allons prendre des mesures pour sécuriser les principales villes mais tant qu'elles attaqueront en meute nous n'aurons aucune chance contre elles.

-          Alors… Alors c'est la fin ?

L'homme baissa la tête et ferma les yeux un instant.

-          Il semblerait que le règne de l'Homme soit appelé à prendre fin.

-          Dieu ait pitié de nous, murmura Patricia. Dieu ait pitié de nous…

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