L'autoroute A666

burdigala

Je n’avais pas dormi de la nuit, l’excitation du départ en vacances sans doute. Nous prenions invariablement chaque année la direction du Touquet. Aussi, lorsque maman m’avait appris un mois plus tôt que cette fois, nous partions dans le Sud de la France, j’avais sauté de joie. Terminé les parties de pêche dans l’eau glacé, fini les après-midi incertains où le maillot de bain laissait bien souvent la place au k-way. Vive la chaleur, la mer, le sable fin et le chant des cigales !

Hélas, je ne m’étais réjouie qu’une semaine, jusqu’à ce que j’apprenne que Lisa se joindrait à nous. Lisa c’était la demi-sœur de maman et la marraine d’Agathe, ma petite sœur. Lisa et moi n’étions pas amis. Je détestais cette pimbêche qui se permettait toujours de me critiquer. Même si maman disait que c’était pour mon bien.

-Chloé, mais il ne faut pas associer les rayures avec les carreaux, enfin !  

-Chloé, cesse de te ronger les ongles.

-Chloé, tu ressembles à un épouvantail… Chloé par ci, Chloé par là. Elle m’était insupportable.

J’avais eu beau insister auprès de maman, la supplier de renoncer, elle n’avait pas cédé.

-Tu sais bien, m’avait-elle dit, elle vient d’essuyer un gros chagrin sentimental, je ne peux pas la laisser seule. Tu comprendras mon chou, lorsque tu seras grande.

Papa m’avait regardé en haussant les épaules, impuissant.

-J’aimerais t’aider ma petite fille mais tu connais ta mère, elle ferait la tête durant toutes les vacances. 

Je savais surtout qu’il voulait avoir la paix. La présence de Lisa l’arrangeait incontestablement. Non seulement il faisait plaisir à maman, mais il disposerait aussi probablement de son temps à sa guise.

La plus heureuse dans cette histoire c’était Agathe qui vouait une admiration sans borne à sa marraine. Il faut dire qu’Agathe et moi étions totalement différentes. Elle était aussi blonde que j’étais brune, aussi mince que j’étais enrobée. Nous n’avions rien en commun. Elle aimait les robes alors que je n’aimais que les jeans. Du haut de ses dix ans, elle passait déjà ses journées à mettre ses cheveux en valeur, à se colorer les ongles, et à  se pavaner en affichant ses bijoux et les derniers vêtements à la mode que lui avait achetés sa marraine.

Je n’étais pas très jolie, j’aimais la solitude, mon univers était rempli d’histoires et de livres. Bien souvent, je m’isolais munie d’un ouvrage et rêveuse oubliais le monde qui m’entourait. J’avais pris soin de remplir ma valise de quelques trésors. Une partie de mes économies était passée dans l’acquisition de quelques livres dont maman avait refusé l’achat sous prétexte qu’ils n’étaient pas de mon âge.

Qu’en savait-elle d’ailleurs ? Elle ne lisait jamais, à l’exception bien sûr du nouveau magazine « Chic et Belle» qu’elle dévorait tous les mois. Ses goûts en matière de littérature divergeaient des miens. Bien qu’elle le sache pertinemment, elle s’évertuait à m’acheter la revue « Jeune et belle » qu’elle considérait comme La référence pour une adolescente de mon âge.

Nous nous étions levés très tôt. A l’heure où Paris s’éveillait à peine, nous avions récupéré Lisa à la station du métro de Chatillon. Peu de temps après notre départ de Meudon, alors que nous étions à l’arrêt derrière  un camion poubelle qui barrait le passage, papa et maman s’étaient déjà disputés au sujet de la route à prendre. Il n’aimait pas conduire vite et n’appréciait guère de se retrouver sur les autoroutes qu’il qualifiait de longs serpents asphaltés et monotones. Ce qu’il préférait, c’était se balader sur les chemins, comme si nous partions à l’aventure et c’est ce que moi,  j’aimais chez lui, cette façon de prendre le temps. Inutile de se presser, disait-il, nous finirons bien par arriver. Bien sûr, cela horripilait maman qui à peine partie, aurait déjà aimé défaire sa valise et se prélasser au bord de l’eau.

L’idée de passer une journée en voiture sur ses chemins « vicinaux » comme elle disait, lui donnait la nausée.

Papa avait donc cédé, non sans ronchonner, et s’était engagé sur l’A666. Les kilomètres défilaient, je ne voyais plus les bornes en ciment jaunes et blanches qui jalonnaient les départementales que nous prenions pour aller au Touquet. Sur cette nouvelle autoroute que je ne connaissais pas, elles avaient disparues au profit de petites pancartes posées sur la glissière de sécurité mais la vitesse m’empêchait de voir le nombre inscrit dessus.

Au bout de quelques quatre cent cinquante kilomètres, après toutes les pauses pipi, les arrêts pour prendre un café, ou parce que Lisa n’allait pas bien et qu’il lui fallait prendre l’air, mon père semblait excédé. Il faut dire que nous nous étions arrêtés au moins quatre fois dans ses nouvelles stations impersonnelles qui fleurissaient le long de la nouvelle autoroute.

Malgré les écouteurs de mon walkman sur les oreilles pour ne pas entendre les jérémiades de Lisa, j’avais senti la tension montait entre elle, papa et maman. Je n’avais pas saisi le sens de toutes les paroles mais j’avais bien compris que la discussion houleuse entre les trois adultes concernait la relation de Lisa et de son ancien petit copain.

Chloé qui dormait jusque-là, à point fermé, avait fini par se réveiller en couinant qu’elle avait soif et faim. Papa, agacé par tout le raffut avait décidé de s’octroyer une pause.

Il semblait chercher l’endroit idéal, ralentissant  à l’approche des panneaux qui signalaient les relais routiers mais à chaque voie de dégagement, il repartait insatisfait.

Tous ces relais me paraissaient pourtant être identiques, une station essence, une aire de jeux sommaire, suivis par un restaurant et un parking où stationnaient un grand nombre de camions bien souvent au matricule étranger.

Après avoir roulé encore quelques dizaines de kilomètres, il s’arrêta enfin. Les filles s’étaient ruées vers les toilettes pendant que papa inspectait son tout nouveau monospace.

En tant que Directeur d’un département des usines Renault, il avait été l’un des premiers à pouvoir acquérir ce nouveau modèle de voiture que Renault venait juste de mettre en vente. Il n’était pas peu fier mon père au volant de sa voiture familiale. Je me rappelais les querelles, qui avaient précédées l’achat de cette nouvelle voiture. Maman souhaitait une Renault 25, nouveau modèle qui allait être mis sur le marché, plus élégant, plus racé selon elle. Mais papa penchait pour cette familiale d’un nouveau genre qui lui permettrait de ranger facilement la montagne de bagages que ma mère emportait  pour les vacances. Elle avait alors imposé que la voiture soit jaune et papa, par souci de discrétion, avait opté pour une verte. 

Tandis qu’il faisait le tour de sa petite merveille, quelques vacanciers curieux s’étaient rapprochés pour voir ce nouveau modèle qui sortait tout juste de l’usine.

Les détails techniques du super bolide ne m’intéressaient guère et j’avais laissé, entre eux, ces hommes dont les yeux pétillaient à chaque évocation des mots bougies, amortisseurs, soupapes, et moteur.

Un livre à la main je m’étais installée à l’ombre d’un chêne, je regardais Lisa qui minaudait avec les routiers. Quelle garce, me disais-je. A peine terminé avec Norbert voilà qu’elle remettait ça. Je l’aimais bien moi Norbert. Il était sympathique et bel homme et surtout ne me faisait jamais de réflexion. Au contraire, il me demandait souvent ce que je lisais, ce que j’aimais, si j’avais un petit copain. Avec lui, je n’étais plus Chloé l’adolescente gauche et peu féminine mais une jeune fille à part entière, réfléchie et capable d’exprimer un avis.

Confortablement installée,  le dos appuyé contre l’arbre, j’écoutais le chant des cigales. Nos vacances sur les plages du nord de la France les années passées, ne nous avaient pas donné l’occasion de les entendre. C’était exactement l’idée que je me faisais des vacances, un soleil ardent agrémenté d’un petit vent doux qui rafraichissait à peine l’atmosphère, les grillons dans les arbres dont la musique berçait les prémices de la sieste, et les odeurs. Des odeurs de foin coupé et de fleurs sauvages.

Je regardais Lisa qui tentait de communiquer à grand renfort de gestes destinés à un homme assis sur les marches de son camion. Que pouvait-elle bien dire à ce géant qui ne semblait pas comprendre un mot de ce qu’elle disait ?

Agathe jouait avec ses poupées Barbie dans l’herbe près de maman qui faisait la tête.

-Jean, allons déjeuner ! cria-t-elle à papa,

-Tout de suite, j’arrive.

Ma mère s’était levée, avait brossé et refait les plis de sa jupe en coton. Elle avait chaussé ses escarpins rouges vifs que l’on distinguait à des kilomètres à la ronde. Sa tenue de ville qui ne ressemblait guère à celle que l’on porte en vacances et encore moins le jour du départ, la rendait ridicule ou belle, selon le point de vue de chacun. C’était ma mère.  Toujours tirée à quatre épingles même au lever du lit.  Je n’étais pas sure de l’avoir vu un jour sans rouge à lèvre.

-Chloé dépêche-toi, nous allons déjeuner. Sa voix autoritaire avait fait écho aux alentours du restaurant et les quelques vacanciers devant la porte s’étaient retournés vers moi comme si j’avais mal agi en faisant attendre ma mère.

Lisa nous avait rejoints, se retournant à plusieurs reprises vers le groupe de routiers  qui la regardait partir avec concupiscence. Un sourire aux lèvres, elle semblait avoir retrouvé sa bonne humeur et se prêta volontiers aux moqueries de mon père qui  lui faisait lourdement remarquer l’intérêt que les routiers lui portaient.

-Ben voilà, Lisa, un de perdu, dix de retrouvés !

-Jean cesse ces bêtises, veux-tu ? C’est mesquin, avait rajouté ma mère.

Souriant malgré lui, il avait tapé l’épaule de Lisa, comme on tape celle d’un copain après un match de foot victorieux, et s’était tourné vers la carte sans plus se soucier d’elle.

Nous explorions scrupuleusement les menus, lorsque papa s’était levé en s’excusant. Surprises, nous l’avions observé quitter la salle mais étions vite retournées vers les suggestions du jour, tiraillées par la faim.

Alors qu’il revenait vers notre table, le serveur s’était approché pour prendre la commande, chacun d’entre nous semblait concentré sur la carte, à l’exception de mon père qui ne cessait de regarder sa montre.

Les trois adultes prolixes durant le voyage, ne s’adressaient plus la parole. Une sorte de gêne s’était installée et je ne comprenais pas pourquoi. Maman semblait ennuyée, papa sur le qui-vive, quant à Lisa, elle affichait un sourire de complaisance sur son visage et restait en retrait. C’était assez surprenant, elle qui avait toujours quelque chose à dire sur tout, je ne la reconnaissais pas. Je m’étais attendu à tout moment à une réflexion du genre :

-Chloé, tes coudes ! Ou encore, Chloé, tiens-toi droite.

Je la trouvais anormalement calme et cela ne semblait choquer personne. C’était d’autant plus surprenant, qu’elle ne s’adressait à Agathe que du bout des lèvres. Habituée à l’entendre combler ma petite sœur sur la beauté de ses cheveux, la classe qu’elle dégageait déjà malgré son jeune âge et l’intérêt indéniable qu’elle susciterait auprès de la gente masculine, je restais interdite face à son mutisme.

Mais lorsque les desserts étaient arrivés sur la table, j’avais momentanément oublié Lisa et m’étais délectée de ma pêche Melba. Maman avait englouti le contenu de son assiette à la hâte, comme pressée de repartir.

-Bon Jean, tu vas payer l’addition ! On ne va pas passer l’après-midi dans ce routier.

-Mais qu’est-ce qui nous presse ?! On peut attendre un peu. Je crois que je vais me reposer avant de repartir.

Le ton autoritaire et inhabituel de mon père nous avait surprises. Du coup, nous étions toutes sorties et chacune s’était installée du mieux qu’elle pouvait sur l’herbe à l’ombre des arbres. Mon père était retourné vers sa belle auto flambant neuve, Agathe avait réinstallé ses poupées et les faisait converser entre elles. Maman, boudeuse, s’était allongée sur un plaid en ayant pris soin d’ôter auparavant, ses escarpins vermillon. Quant à Lisa, elle se dirigeait à nouveau vers ses copains routiers. Elle ne perdait pas le nord, celle-là, pensais-je.

Je ressortais mon livre et me calais contre mon arbre. Je lisais « 1984 » de George Orwell. Cela faisait déjà quatre ans que j’étais fascinée par ce livre. Nous étions justement en 1984, et mon avenir s’annonçait radieux. Je venais juste d’avoir quatorze ans et  mon BEPC en poche, j’étais fière d’entrer au lycée en septembre même si maman me répétait sans cesse qu’il n’y avait pas de quoi pavoiser. Pour récompenser mon travail, papa avait réussi à se procurer le dernier Walkman que Sony avait déjà commercialisé aux Etats-Unis. Le bonheur occasionnait par ce cadeau était en réalité bien plus important que l’obtention précoce de tous les brevets du monde.

Mes parents, Lisa et Agathe avaient disparu de mon champ de vision. Lentement, sans m’en rendre compte, j’avais sombré dans une douce torpeur. Mes rêves m’avaient emmené sur les rivages de la mer Méditerranée où j’entendais quelqu’un m’appeler, je souriais bêtement lorsque je compris que ma mère s’évertuait à me réveiller.

-Chloé, réveille-toi, tu dors depuis deux heures au moins.

Je m’éveillais lentement, me frottais les yeux pour retrouver une vision plus claire. Les cheveux emmêlés de maman prouvaient qu’elle avait dû dormir aussi.

-Je ne sais pas où sont passés Jean et Lisa. Je me suis endormie et ta petite sœur aussi. Je vais aller voir au restaurant, reste ici  avec elle. Tu ne bouges pas, tu m’as bien comprise ?

-Oui  vas-y maman, rassure-toi, je garde Agathe.

Je la regardais partir, consciente de sa détresse, ne sachant pas vraiment pourquoi elle affichait cet air triste. Ses cheveux dénoués, sa robe froissée, ses épaules légèrement affaissées,  elle avait perdu de sa superbe. A cet instant j’aurais voulu la rassurer. Mais comment m’y prendre ? Et la rassurer de quoi ?

Soudain, la femme autoritaire et sûre d’elle me paraissait fragile et vulnérable.

Les vacanciers avaient presque tous levé le camp. Il ne restait que quelques routiers, nouvellement arrivés, qui s’étaient réunis sur l’herbe.

Agathe, indifférente à ce qui se passait près d’elle, avait repris ses jeux, Barbie semblait très en colère après Ken.

Debout j’observais la station afin d’apercevoir l’un ou l’autre de mes parents. Maman finit par revenir seule, plus triste encore qu’à son départ.

-Ne t’inquiète pas, lui dis-je, nous n’arriverons pas trop tard. Je ne comprenais pas sa mélancolie.

Elle me regardait, acquiesçait en souriant et en secouant doucement la tête. Et comme si elle s’apercevait soudain de sa tenue chiffonnée, elle frotta sa jupe, si fort qu’elle la froissa plus qu’elle ne la lissa.

Alors que nous nous dirigions toutes les trois vers la voiture, nous avions aperçu papa revenir. Il semblait fébrile et observait tous les véhicules qui entraient sur le parking. C’est à ce moment-là que maman fondit en larmes.

-Mais qu’y-a-t-il ma Joe ? Joe n’était pas son vrai prénom, en réalité elle s’appelait Joëlle.

Submergée par les pleurs, elle était incapable de s’exprimer et il la regardait incrédule.

-Tu t’inquiètes pour l’heure ? Mais ne sois pas inquiète j’ai passé un coup de fil au camping, j’ai prévenu que nous serions en retard. On va y aller maintenant. Quelqu’un sait où est Lisa ?

-Ben non, justement, je la cherche depuis une demi-heure ! Lança maman sur un ton accusateur. Surmontant son chagrin, elle reprenait le dessus. Elle redevenait, Joëlle, la femme de Jean, sûre d’elle et tranchante.

-Bon Joe, vas voir aux toilettes, moi je vais au restaurant, peut-être qu’elle est au bar.

-Mais où étais-tu toi Jean, pendant que je te cherchais ?

-J’étais parti faire un tour là-bas. Il pointait son bras vers la direction du champ derrière la station essence. Un champ agricole déjà récolté, probablement de la paille ou du foin.

-Au retour je me suis arrêté à la cabine téléphonique et  me voilà. Chloé, reste dans la voiture avec ta sœur. Si Lisa arrive tu lui dis de rester là, nous repartons dans dix minutes au plus tard.

 Ils étaient partis tous les deux, prenant des chemins séparés, à la recherche de ma tante mais quelques dizaines de minutes plus tard, ils étaient revenus tous les deux bredouilles.

-C’est quand même un peu fort, elle n’a pas pu disparaître comme ça ! Elle n’est pas dans le restaurant, dit papa.

-Elle n’est pas non plus dans les toilettes.

-Elle a dû s’endormir quelque part.

-Tu ne l’as pas vu toi ? Tu ne saurais pas où elle est ? cria presque maman.

-Mais enfin non, j’ai discuté avec les gars sur le  parking  et quand je suis revenu vous voir, vous dormiez toutes mais Lisa n’était pas là.

- Récapitulons, dit papa. Qui l’a vu en dernier ? Agathe ? Où était ta marraine avant que tu t’endormes ?

- Agathe qui se moquait visiblement de l’endroit où était sa marraine, gonfla ses joues et secoua la tête de droite à gauche pour signifier qu’elle n’en savait rien.

J’étais très surprise devant le manque d’intérêt évident d’Agathe pour  la disparition de notre tante.

-Chloé, une idée ? L’as-tu vu avant de t’endormir ?

-Oui, après le déjeuner, elle est retournée voir les routiers mais je ne sais pas si elle est restée avec eux, je me suis endormie.

-Que faisait-elle ?

-Je n’en sais rien papa, je l’ai juste vue discuter avec un homme très grand qui avait un camion rouge avec des flammes sur le côté et des chromes rutilants. C’était le même homme avec lequel elle parlait avant le déjeuner.

-Bon et bien on va faire le tour une dernière fois et si on ne la trouve pas on s’en ira.

-Comment ça ? On s’en ira ? Mais on ne va pas partir sans elle tout de même ? Elle n’a pas pu aller bien loin ! Maman, le questionnait des yeux, choquée par son envie soudaine de quitter les lieux.

-Les filles, allez-vous installer au bar pour nous attendre, commandez un Orangina, on fait un dernier tour, dit papa.

J’obtempérais, tenant la main d’Agathe jusqu’au restaurant. A l’intérieur la radio diffusait le dernier tube du moment « Femme libérée » de Coockie Dingler. La serveuse mastiquait un chewingum bruyamment et faisait éclater d’énormes bulles sur son visage. Elle était coiffée à la Cindie lauper, les cheveux très longs dans le dos mais façon balai brosse sur la tête. Toutes mes copines de classe voulaient être coiffées de cette façon. Je trouvais cela très moche mais comme je n’étais pas une référence en matière de mode, mon avis importait peu.

Il commençait à être tard, nous n’arriverions pas avant la nuit au camping de Rougnemale.

Je regardais au loin papa s’entretenir avec les routiers, il faisait des gestes lui aussi pour se faire comprendre. Maman revenait de la station, le teint pâle, le maquillage ne couvrait plus ses quelques rides, et l’anxiété se lisait sur son visage.

Les routiers n’avaient rien vu, les employés de la station non plus. Tous les deux se taisaient maintenant après s’être âprement disputés. Maman voulait prévenir la police, papa disait qu’il fallait attendre un peu, que les choses rentreraient dans l’ordre et que nous verrions sous peu, Lisa réapparaître.

-Et si on l’avait enlevée ? Et si quelqu’un lui avait fait du mal ?

-Oh tout de suite, tu imagines le pire… Elle est peut-être tout simplement partie avec un routier. Tu connais ta sœur !

Maman l’avait fusillé du regard.

-Oui je la connais mais tu la connais aussi bien que moi, non ?

-Que veux-tu dire ?

-Rien.

-Non, continue, je sens bien que tu veux me reprocher quelque chose. Je t’en prie, dis ce que tu as sur le cœur.

Le ton était monté, et je sentais poindre une querelle à laquelle je n’avais pas envie d’assister.

-Si on appelait à nouveau le camping ? Il est tard, coupais-je pour faire diversion.

-Tu as raison ma chérie, inutile de se quereller. Montez toutes les trois en voiture et attendez-moi, je vais à la cabine.

Je jubilais intérieurement.  Je l’avais tellement désiré. J’avais œuvré jour après jour, nuit après nuit depuis que je savais que cette peste se joindrait à nous. Je n’imaginais pas que ça allait marcher. Et pourtant,  il fallait se rendre à l’évidence, elle n’était plus là. Je n’avais juste pas prévu les dommages collatéraux que sa disparition entraînerait…

1.Nous sommes en Juillet 1984, tôt le matin, la famille Dupeyron quitte Meudon et prend le chemin des vacances. Jean, Joëlle, et leurs deux filles, accompagnés de la demi-sœur de Joëlle, Lisa, s’engagent sur l’autoroute A666 à destination de Rougnemale, dans le sud de la France. Lisa n’était pas supposée partager ces trois semaines avec les Dupeyron mais le chagrin causé par la rupture avec son petit ami, Norbert, a incité Joëlle à l’inviter à se joindre à eux.  Pourtant la présence de celle-ci ne fait pas l’unanimité au sein de la famille et sème le trouble avant même le départ. Alors qu’ils s’apprêtaient à repartir après leur déjeuner dans un restaurant de l’autoroute, les Dupeyron s’aperçoivent de la disparition de Lisa.

2.Cette disparition a suscité surprise et émotion au sein de toute la famille. Chacun se met en quête de la disparue. Alors que les recherches autour du restaurant, dans les villages avoisinants et sur les chemins environnants, restent vaines, les Dupeyron doivent, malgré les réticences de Jean,  se résoudre à appeler la police et relater l’histoire.

Les six chapitres suivants sont consacrés aux membres de la famille et à l’ancien petit ami de Lisa. A tour de rôle, chaque personnage explique  dans un chapitre qui lui est entièrement dédié, les raisons de sa culpabilité quant à la disparition de Lisa.

3.La mère, Joëlle, évoque la relation perturbée  qu’elle entretient avec sa demi-sœur depuis l’enfance ainsi que les rivalités, jalousies et malentendus qui ont marqués leur adolescence. Elle fait part de ses doutes quant à une hypothétique relation entre son mari et Lisa.

4.La cadette des deux filles, Agathe, justifie son changement d’attitude envers sa tante qui est aussi sa marraine et laisse entendre qu’elle se sent totalement responsable de sa disparition.

5.Jean, le mari de Joëlle éprouve, lui aussi, un fort sentiment de culpabilité puisqu’il ne tenait pas à ce que sa belle-sœur soit présente pendant ses vacances en famille. Il divulgue alors, les raisons qui l’ont poussé à appeler Norbert avant leur départ.

6.Chloé, fermement opposée à Lisa, ne cache pas son contentement face à la disparition de celle-ci  et évoque de quelle façon, selon elle, elle a œuvré pour favoriser cette situation.

7.Norbert, l’ancien petit ami de Lisa, éclaircit le lecteur sur les raisons qui ont motivé leur rupture et mentionne l’appel de Jean ainsi que celui qu’il a reçu de la part de Lisa le matin même du départ. Cet appel téléphonique ne sera pas évoqué avant ce chapitre. 

8.Lisa, révèle ce qui s’est vraiment passé sur cette autoroute A666. Elle raconte l’histoire à partir de la fin du déjeuner dans ce routier et élucide enfin le mystère de sa disparition.

9.Dans ce chapitre, Lisa explique pourquoi elle se retrouve à Turin et analyse les différents sentiments ressentis durant son périple, envers tous les protagonistes de l’histoire.

10.La famille entière se voit enfin réunie à Rougnemale, où les vacances bien méritées, peuvent enfin commencer.

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