Le banc au fond du parc

Thierry Soria

Le décor :

La scène représente un jardin public. Au centre en second plan un banc en pierre sans dossier. A droite du banc au troisième plan une poubelle.

 

 

ACTE  I

Scène 1

 

Le bruit d’un jardin public se fait entendre.

A la levée du rideau Germain arrive côté cour et commence à s’installer sur le banc.

Huguette arrive côté jardin, toute de noir vêtue, portant son sac à main, l’anse dans le creux de son bras. Elle s’arrête regarde en direction de Germain qui ne l’a pas vu arriver.

HUGUETTE

(De manière soulagée)

Voilà ! On est enfin arrivé !

Germain surpris se retourne et la voit.

HUGUETTE

(A germain)

C’est que ça fait un bout de chemin.

Elle lui fait un clin d’œil prononcé.

Germain sans un mot lui tourne le dos.. Moue d’Huguette par l’attitude de celui-ci. Elle s’assied, le sac sur ses genoux. Elle va ouvrir ce dernier afin d’en sortir l’urne, qu’elle va déposer sur sa droite. Pendant cette scène, elle regardera de temps à autre germain.

HUGUETTE

(A l’urne)

On a de la chance François, il fait beau !

Germain jette un regard dans sa direction.

HUGUETTE

(Amicale)

Bonjour ! monsieur..

Germain tourne la tête sans lui répondre.

HUGUETTE

(A l’urne et d’une voix désabusée)

C’est un joli printemps qui s’annonce.

Elle regarde Germain qui comme si elle n’était pas là.

(Silence)

HUGUETTE

(A l’urne. Voix forte)

Elle est belle la mer tu sais ! Y a quand même un peu de houle, mais elle est belle ! Toute bleue…

(A voix basse)

Ce type ça doit être un estranger.

Germain la regarde puis dirige son regard droit devant lui.

GERMAIN

(A part)

Nom de dieu ! Elle déraille la vieille !... voit-y pas qu’elle aperçoit la mer !

Il se recule un peu plus vers le bout du banc.

HUGUETTE

Bras tendu et index pointé.

Ouh ! Bé ! Regarde qui c’est qui passe François… Magali !

Elle se lève, pose son sac à main devant l’urne et s’avance légèrement. Elle se poste, jambes bien droites légèrement écartées, la main droite se tenant la hanche et la main gauche faisant des mouvements d’appels.

Ouh, Ouh ! Magali… je suis là !... Magali ! Non ! De l’autre côté !...

(A part)

Mais elle est ensuquée ou quoi ?

(A Magali. Fort.)

Magali ! Sur le banc à côté de l’estranger !

Pointant son pouce en direction de Germain.

Mains sur les hanches.

Voilà !... Alors ? On promène ?... hé bé c’est bien !... C’est ta petite Yennifer ?... mon dieu ! C’est une petite femme !

(A part)

C’est pas le tissu qui doit la gêner !

(A Magali)

Bé ! Comme tu vois, on s’aère… Depuis qu’il ne se déplace pas tout seul, je l’accompagne…

Coup d’œil en direction de Germain.

45 ans de Mariage, c’est pas une paille !

GERMAIN

(A part)

Si elle croit m’expulser, elle peut toujours courir.

HUGUETTE

Dit ! Pour les 20€ que tu me dois, ne te tracasse pas hè ! Plus tard, ui ! Je comprends que se sont les soldes… Allez vaïe ! Bonne promenade !

Elle retourne s’asseoir, sac à main sur les genoux.

(A l’urne)

Je les lui ai prêtés parce que je suis trop bonne. C’était pour payer la cantine de l’école… Y a six mois !... Autant te dire qu’il y a longtemps que les 20€ ils ont été digérés et même cagués !

Germain s’hasarde à jeter un œil vers Huguette. Celle-ci captant le regard de Germain.

HUGUETTE

(A germain)

Lui, mon homme. Mon man, dire à vous… hello !

(Silence où Germain la regarde comme une extra-terrestre)

GERMAIN

Il prend une forte inspiration puis se lève.

Madame ! Je suis au regret de vous dire que je parle parfaitement le francophone et ayant reçu dés mon plus jeune âge une éducation des plus stricte ! J’me présente ! Germain, dit la « fleur » !

Il la salue du chapeau.

HUGUETTE

La fleur… comme la fleur de l’âge ?

GERMAIN

(Décontenancé)

La fleur ! La fleur ! La fleur !... comme une fleur quoi ! Un parfum, une couleur !... Enfin quoi, la beauté du monde… à  l’écart de l’être humain… ce dernier ayant pour habitude de tout dégueulasser.

HUGUETTE

Hé, bé ! C’est plus une fleur !... c’est un pot pourri ! Huguette Simoni ! dit « Guéguette !

Elle lui tend la main.

GERMAIN

Il lui prend la main en se courbant.

Madame !

HUGUETTE

Elle s’empare de l’urne et la pose entre eux deux.

Mon mari : François !

GERMAIN

Commençant à se courber.

Mons…

Il se penche afin d’observer l’objet. Un  coup à gauche, un coup à droite.

Réalisant que c’est une urne, il se recule prestement vers le premier plan sur la droite du banc.

Lui tournant le dos    

(A part)

Ah ! Non mais c’est y pas possible d’être aussi déglingué !

Elle pose ses deux mains sur les côtés de l’urne afin de lui boucher « les oreilles ».

HUGUETTE

Dites sans trop vous déranger…

GERMAIN

Sans se retourner

(Sèchement)

C’est déjà fait !

HUGUETTE

Vous pourriez faire la mer ?

GERMAIN

Yeux écarquillés puis tournant la tête dans la direction d’Huguette.

(Interloqué)

Vous dites ?

HUGUETTE

Non, parce que je lui ai dit que je l’amenais au bord de l’eau… mais pour moi, ça fait trop loin vous comprenez ?

GERMAIN

Détourant son regard.

Oui et bien moi, je n’ai pas envie de comprendre.

HUGUETTE

Si vous pouviez faire… Je sais pas moi !

GERMAIN

(Coupant court)

Et moi encore moins.

Il s’ajuste le chapeau.

HUGUETTE

Regard illuminé.

Té ! Le bruit des vagues !

GERMAIN

Il se retourne lentement afin de se retrouver de profil.

De son index il fait basculer son chapeau sur l’arrière de son crane.

(Consterné)

Vous voulez que je fasse le rouleau sur votre pot d’moutarde ?

HUGUETTE

Qué, pot de moutarde ?... C’est mon François !

GERMAIN

Tête légèrement penchée sur le côté regardant l’urne.

Je ne voudrais pas vous effrayer mais votre mari a plutôt les pixels éparpillés…

Elle met ses autour de l’urne.

HUGUETTE

(Effrayée)

Mais taisez-vous !... Vous allez lui faire peur avec vos sottises !

GERMAIN

Il se dirige vers la place qu’il occupait auparavant sur le banc.

Dans l’état où il se trouve, je doute que monsieur votre époux puisse avoir la notion d’être.

HUGUETTE

Et qu’est-ce que vous en savez ? Vous avez déjà été mort vous ?

GERMAIN

(Il l’observe)

Mouai ! J’vois à qui j’ai à faire…

(A part)

Y a une desséché du bulbe, c’est pour ma pomme !

(A Huguette)

Désolé mais j’ai aut’e chose à faire. Madame bien l’bonjour !

Il se couche en chien de fusil le chapeau sur la figure.

(Silence)

HUGUETTE

(A l’urne)

Mais puisque je te dis qu’on y est à la mer François !... Ouh, bé ! Je vois les mouettes au loin… Mon dieu qu’il y en a des mouettes !... Je ne te raconte pas de cagade ! Nous y sommes à la mer ! Alors profite de l’iode et tais-toi ! Sinon je te ramène sur le frigo… Je te dis que… Ouh ! Mais qu’est-ce qu’il est pénible alors hé !

(A Germain)

Monsieur ?... Monsieur ?

Elle sort un sac plastique de son sac qu’elle enfile comme un gant afin de lui remuer le pied.

Monsieur le pot de fleur ? Hé, que nous y sommes à la mer ?...

GERMAIN

Il se redresse sur le banc.

La fleur !

(D’un trait)

Madame, sans être désobligeant envers vous je me permets toute fois de vous signaler que vous êtes entrain de me titiller le système !...

Il descend du banc par l’arrière.

Vous arrivez, vous vous installez chez moi, sur ce banc !...

HUGUETTE

(Coupant court)

Mais dites ! C’est un banc public !

GERMAIN

Derrière Huguette penché vers l’oreille gauche de cette dernière.

Il est public à partir de l’instant où je n’y suis plus !...

Il se déplace sur le côté droit d’Huguette.

Croyez-vous !

Sursaut d’Huguette en rentrant sa tête dans ses épaules.

Que se soit une vie pour un banc de s’offrir à toutes sortes de fesses …. Jeunes ! Vieilles ! Lisses ! Flétries !...

Il se déplace sur la droite d’Huguette.

Si l’on rajoute à cela l’état de certaines, qui font trempette une fois l’an ! Puissiez-vous un seul instant imaginer la vie de ce banc ?... Et je vous fais grace en n’insistant pas sur l’odeur ! Car n’oublions pas qu’un banc est soumis à toutes sortes de vents… Et bien moi !

Sursaut d’Huguette en rentrant sa tête dans ses épaules.

Germain se frappant le torse de son poing.

Germain ! dit « la fleur » en prenant possession de ce banc je lui offre le privé, quelques instant d’intimité auquel il a légitimement le droit !... parce que moi Germain je respecte l’espace d’autrui.

Il fait le tour du banc et vient se placer au premier plan sur le côté gauche d’Huguette, face au public. Il réajuste son chapeau.

HUGUETTE

Moi je voulais simplement que vous fassiez la mer. Pour mon François peuchère !

GERMAIN

Laissant tomber ses bras le long du corps.

Oh ! C’est y pas possible d’être aussi obstiné cela !

HUGUETTE

(Désolée)

Moi je sais pas faire…

(Avec de la fierté dans la voix)

Par contre, je sais bien faire l’eau dans les toilettes. Mais bon ! Si je fais, il saura que c’est moi !

GERMAIN

(A la limite de l’explosion)

Si, faites ! Sans oublier d’y mettre la tête et de la tirer…

Mimant de sa main droite le geste de tirer la chaine d’une  chasse.

(Appuyé)

La chasse !

HUGUETTE

(Avec mendicité)

Si vous ne voulez pas le faire pour moi, faites le pour mon François… par humanisme. Il aime tellement la mer.

GERMAIN

(Voulant écarter le sujet)

Vous n’avez qu’à lui dire que c’est marée basse !

HUGUETTE

(Avec aberration)

Mais il n’y a pas de marée chez nous !... quand on a de l’eau on se la garde ! On ne l’envoie pas chez les voisins !

GERMAIN

(Exaspéré)

Nom de dieu !...

Il va vers sa place sur le banc.

Bon ! J’vais vous la faire la mer et ensuite je veux plus vous entendre… C’est ben simple ! Veux plus vous voir !

Il se met à quatre pattes sur le banc, nez pointé vers l’urne et commence.

HUGUETTE

Elle se met dans la même position que Germain.

(Excitée)

Approchez-vous !

(En montrant l’urne)

Il appréciera mieux.

GERMAIN

Relevant la tête.

Voulez-vous que je postillonne pour faire les embruns ?

HUGUETTE

(Dubitative)

Non, ce n’est pas nécessaire.

Germain de mauvaise grâce se penche vers l’urne et recommence à souffler.

HUGUETTE

Ouh ! Bé François ! Y a les mouettes qui arrivent…

(Excitée)

Faites la mouette !...

Germain s’arrête net et la regarde comme un chien prêt à mordre.

HUGUETTE

(Très excitée)

La mouette !

Huguette anticipant la réaction de Germain, met ses mains autour de l’urne.

GERMAIN

Toujours à quatre pattes, tête en avant vers Huguette, comme un chien qui grognerait.

On avait dit la mer !... On avait dit la mer !

HUGUETTE

(Se justifiant afin de l’amadouer)

Ca fera plus vrai avec la mouette.

GERMAIN

Se mettant sur les genoux, le torse légèrement en arrière.

Si vous voulez de la crédibilité, je peux aussi me soulager sur le couvercle.

HUGUETTE

Même position que Germain.

Ah, ben vous ! Vous ne faites pas dans la demi-mesure.

GERMAIN

Bras tendus formant une croix.

Je suis com’ça, entier !

Il descend du banc.

Pourquoi faire du bricolo quand on peut faire une œuvre ?... je vous l’demande ?

HUGUETTE

Faisant des tentatives pour descendre.

Vous êtes grossier !...

Il lui donne la main afin de l’aider.

Merci !

Elle se frictionne les jambes puis le bas de son dos.

Mais je sens bien que vous n’êtes pas méchant. Et je sais de quoi je parle ! j’ai du flair !

Elle se tapote le nez de son index.

GERMAIN

Je suis grossier parce que je suis méchant ! Et ça m’plait d’être méchant ! parce qu’être méchant c’est mettre une clôture autour de soi…

Il s’écarte du banc et d’Huguette.

Ça vous préserve des cons ! Des idiots ! Des vioques ! Qui s’baladent avec des roubignoles en confettis dans un bocal !

Huguette prestement pose ses deux mains sur l’urne.

Germain bras tendu pointant le ciel de son index.

Je suis méchant ! C’est ben simple j’ai souvent des envies qui me prennent com’ maintenant !

S’avançant lentement vers Huguette, tout en mimant avec ses mains chacun de ses mots.

Huguette craintive se tasse sur elle-même.

Ça me vient des tripes et ça m’remonte en pression dans le cigare… J’ai un désir fou de serrer le premier col qui s’présente, de l’serrer ! De l’secouer dans tout les sens jusqu’à entendre un bruit de vaisselle !...

De toute sa hauteur et la touchant presque.

Je suis aussi méchant que vous êtes détraqué !

HUGUETTE

Haut du corps redressé et tête en arrière grimaçante.

J’ai encore toute ma tête et vous savez ce qu’elle vous dit cette tête ?

GERMAIN

Même jeu

Elle me dit qu’elle est complètement déglinguée la vioque ! Parce qu’il en faut du jeu dans la tuyauterie pour promener un bocal !

Huguette tête basse se voulant boudeuse.

Il se détache d’elle en lui tournant le dos et s’éloigne sur le côté droit d’Huguette.

Pour faire La conversation à un tas de suie !

Il se retourne la montrant de ses deux mains.

Mais regardez-vous donc ! Vous êtes aussi froide que celui qui remplit le bocal…

Bras tombant le long du corps.

Huguette effectue un haussement d’épaule.

Tiens ! C’est ben simple, vous n’êtes même pas pathétique !... Je suis certain que vous vous habillez en noir pour exister au regard des autres…

Il lui tourne le dos.

Nom de dieu ! J’préfère arrêter avant de garnir les faits divers.

(Silence)

HUGUETTE

Se saisissant de l’urne afin de la mettre dans son sac à main. Elle se lève.

Allez viens François !

Elle prend son sac.

Allons-nous-en !... Il y a des bancs qui sont mal fréquentés de nos jours !

GERMAIN

Sans se retourner.

C’est c’la ! Allez le promener ailleurs et n’oubliez pas de le faire pisser !

HUGUETTE

Se dirigeant côté cour.

Vous savez, on a toujours besoin d’avoir une amie.

GERMAIN

Tout en la regardant partir.

Oui et bien moi des amis j’en ai pas ! Et surtout j’n’en veux pas ! Un ami c’est tout juste bon à te friper le costard. Au moindre coup de tabac ça vient te déverser ses embruns sur l’épaule.

HUGUETTE

Elle s’arrête et le regarde.

Alors… Vous êtes bien à plaindre monsieur.

Elle se retourne et tout en partant.

Allez, François ! C’est notre heure pour le marché.

Elle disparait.

Scène 2

Dans ce monologue, le « zappé » est accompagné geste zappant sur une télécommande imaginaire.

 

GERMAIN

Il farfouille dans son sac afin d’en sortir un litron de vin. Il s’assied.

Ah ! J’en ai vu ! Mais celle-là ! C’est une championne !

Il boit une rasade.

45 ans de vie à deux et elle te trimballe ça comme un trophée ! Tu parles ! Quand l’autre disparait au bout de 45 ans de vie commune, la seule chose que l’on doit se dire, c’est : Enfin !

Il se lève, le regard droit devant lui fixant un point.

Oh ! je vous en prie, soyez honnête… bien des fois la pensée de voir notre moitié allongé en tête du cortège, c’est vu traverser notre cigare !

S’avançant au premier plan.

Mais oui ! Mais oui !

Il boit une rasade.

Au lieu de cela quand le moment est arrivé, ce ne sont que louanges, on pleure un saint ou une sainte ! On s’empaquette dans du noir et on accroche le portrait au mur. Des fois qu’Alzheimer gagnerait du terrain !

Il se déplace nonchalamment au premier plan côté jardin.

On se raccroche aux souvenirs, les bons ! Parce que les emmerdes que l’autre nous a occasionné pendant toutes ces années… on les a zappés… On ne veut plus se les rappeler.

Faisant des allers-retours sur la longueur du premier plan. Effectuant des arrêts à chaque « zappé ».

Les soirées aspirine, zappé ! Les reproches, zappés ! Le temps passé à attendre des compliments qui ne viennent jamais !... zappé !... la soupe trop chaude, trop froide… Zappé ! Les anniversaires oubliés, zappé !

S’arrêtant en milieu de scène.

Comme le disait, je ne sais plus qui : « Le mariage c’est récolter des emmerdes que l’on n’aurait jamais eu seul. »

Il boit une rasade.

Ah ! Elle a bonne mine la madame guéguette avec son cimetière portatif !... elle a les foies, elle serre les miches !

Mains en avant les doigts ramenés indiquant la peur.

Parce que la prochaine nominée c’est elle et là c’est sur ! Elle va se la décrocher la timbale ! Fini d’emmerder son monde, d’aller squatter chez les autres ! dans l’bocal le schizophrène ! Toc-toc ! Bonjour Saint-Pierre !...

Adressant un regard vers le côté cour.

Oh, nom de dieu ! La revoilà !

Il va se réfugier sur le banc. Il enferme son litron et prend ensuite un air totalement détaché avec les yeux grands ouverts.

Scène 3

Huguette entre côté cour. Elle s’immobilise et observe Germain.

Germain le corps raide, les yeux grands ouverts lance quelques regards en coin.

Huguette se décale au premier plan.

HUGUETTE

Vous savez que vous ! Vous m’en faites faire du souci !

GERMAIN

(A part. Voix haute)

J’peux pas le croire !

HUGUETTE

Oh ! Que si que vous le pouvez ! Parce que moi !

Elle se tapote le nez avec son index.

Je sens bien que vous avez besoin de quelqu’un pour parler.

GERMAIN

(A part)

Dans tout être humain il y a un sérial killer qui sommeille, le mien est entrain d’ouvrir un œil.

Elle passe au premier plan côté jardin. Tournant le dos à Germain.

HUGUETTE

On ne peut pas passer sa vie tout seul, sans avoir quelqu’un à qui parler.

Elle se place de profil et le regarde.

Dieu merci ! Vous m’avez rencontré !

Elle va s’installer sur le banc, pose  son sac entre eux deux. Elle sort l’urne qu’elle dépose entre le sac et Germain puis sort son tricot.

GERMAIN

A la vue de l’urne, il exécute un léger recul.

(A part)

J’la bute, j’la calcine et j’la mets dans le bocal. Ni vu, ni connu, fini d’emmerder son monde la mémère.

HUGUETTE

Préparant son tricot.

Il ne faut pas avoir peur de communiquer.

GERMAIN

Corps droit légèrement en arrière.

Oh ! Mais vous ne respirez donc jamais ?

HUGUETTE

Comme il est dit dans le livre…

GERMAIN

Un livre ? Quel livre ?

Elle sort un livre de son sac.

HUGUETTE

(Avec fierté)

Celui-là !

GERMAIN

(Effaré)

Comment se faire des amis ?

HUGUETTE

(Avec une certaine gêne)

C’est… le docteur de mon fils qui me l’a offert.

Elle range le livre.

GERMAIN

(A part)

Des amis ? Avec un livre ? Alors là ! On touche le fond !

HUGUETTE

Elle parle tout en tricotant sans adresser un regard à Germain.

Quand mon François y s’est retrouvé dans le bocal, tous les jours j’allais soigner ma dépression chez mon petitou.

GERMAIN

(A part)

Pauvre enfant !

HUGUETTE

Même jeu.

Je lui faisais le ménage, la popote, enfin, tout quoi !

GERMAIN

(A part)

Nom de dieu !

HUGUETTE

Même jeu

Le docteur de mon fils y me disait : << Mamie ! …>> ça n’a rien avoir avec l’âge, c’est affectif … Et puis de toute façon je ne suis pas grand-mère alors… Il a un chien mais c’est pas pareil !

GERMAIN

Levant les yeux au ciel.

Peux pas le croire.

HUGUETTE

Même jeu.

Vous savez tout poilu et pas plus grand qu’une balayette… Mais bon ! Un chien ça vous fait pas des risettes… Des léchettes mais… Parce que celui-là il n’arrête pas de vous lécher les pieds !...

GERMAIN

Bras écartés.

STOP !!

HUGUETTE

Même jeu.

Ah, oui ! Alors il me disait… le docteur vous savez ? << Mamie y faut réagir ! >> Alors j’astiquais ! Qu’est-ce que vous voulez faire d’autre quand on déprime ?

GERMAIN

Se mettre dans un caisson afin d’éviter la contamination.

HUGUETTE

Même jeu.

Mais au bout de quatre jours, le docteur y m’a dit : << Mamie ! Prenez ce livre et allez vers les gens ! >>

GERMAIN

Pas con le toubib ! En faisant ça, il est certain d’augmenter sa clientèle.

HUGUETTE

Même jeu.

Et il m’a ramené avec ma valise.

GERMAIN

Votre valise ?

Grimace démontrant qu’il regrette d’avoir posé la question.

HUGUETTE

Elle pose son tricot sur les genoux. Et le regarde.

Ben oui ! Moi, à cinq heures du matin j’astique. Alors il a été plus préférable que je m’installe chez mon petit.

GERMAIN

(Effaré)

Nom de dieu !

HUGUETTE

Elle se remet à tricoter.

Alors le docteur à me voir astiquer à cinq heures de matin, conscience professionnelle oblige, y m’a ramené sur mon perron.

GERMAIN

Sourcils froncés.

Le docteur …. A cinq heures du matin ?... Y a un truc qui m’échappe… votre fils, il vit dans le cabinet ou dans la salle d’attente du toubib ?

HUGUETTE

Elle pose son tricot sur ses genoux et tourne son corps vers Germain.

Il vit chez lui… Enfin je veux dire chez son chez lui à lui… à mon fils ! C’est après que le docteur il est venu avec ses instruments chez son chez lui à lui… Vous savez chez…

GERMAIN

(Coupant court)

Oui, ça va ! Ça va ! J’ai compris ! J’ai compris !

Il se lève et s’écarte légèrement afin de lui tourner le dos.

De toute façon j’m’en tamponne le coquillard de vos histoires !

HUGUETTE

Tête penchée sur le côté droit et regard sur le dos de Germain.

Vous vous en tamponnez pas tant que ça ! C’est quand même vous qui avait voulu savoir où qu’il habitait mon fils !

GERMAIN

Mais je n’ai pas voulu savoir !...

Tournant la tête vers Huguette.

Enfin si, j’ai voulu mais sans vouloir.

Huguette le regarde les yeux grands ouverts.

Germain détourne le regard.

J’n’aurais pas du…

Il se déplace sur sa gauche puis se tourne vers Huguette ?

Oh ! Et puis vous m’emmerdez à la fin. Est-ce que je vous raconte ma vie moi ?

HUGUETTE

Mais vous pouvez, je serais à l’écoute.

GERMAIN

Tout en se dirigeant vers le banc afin de s’y installer.

Oui et bien moi je n’en ai pas envie et vous êtes certainement la dernière personne à laquelle je me confierais.

Il se couche

Sur ce, madame, je vous souhaite le bonjour !

Il lui tourne le dos.

(Silence)

HUGUETTE

Huguette prend son tricot et se remet à l’ouvrage.

Moi je n’ai connu qu’un seul homme dans ma vie… François !... Pour marcher dans la vie il faut être deux… Comme je dis, être deux c’est mettre un cataplasme sur la solitude.

(Germain grommelle)

45 ans de mariage !... Une vie !

Germain se retourne et relève son chapeau afin de libérer son regard.

GERMAIN

Vous ne vous reposez jamais ?

HUGUETTE

Ignorant l’intervention de Germain.

Vous avez une femme vous ?

GERMAIN

Non, je n’ai plus de femme.

Il remet son chapeau sur les yeux.

HUGUETTE

Evidemment ! Que je suis sotte ! C’est pas un deux place !

GERMAIN

Il relève son chapeau.

Quoi ?

HUGUETTE

Je disais, allongé… le banc… C’est pas un deux places, alors forcément ça restreint le couple…

GERMAIN

Il se met à cheval sur le banc. Il regarde l’urne puis tire une serviette de table de son sac et en couvre l’urne.

(Retenant son agacement)

Vous connaissez la différence entre une femme et un banc ?

Huguette faisant un mouvement négatif de la tête tout en tricotant.

Le banc vous pouvez vous y coucher dessus, il ne vous demandera jamais rien !

HUGUETTE

Moi, je ne lui ai jamais rien demandé à mon François, d’ailleurs pour tout dire, on ne se parlait pas beaucoup.

GERMAIN

Vous m’avez tout l’air de rattraper le temps perdu.

HUGUETTE

Elle pose son tricot sur les genoux et se tourne afin de lui faire face.

Il parlait plus à son chien, avant qu’il ne meure qu’avec moi. C’est qu’il aimait la chasse vous savez ! Mais quand son chien il a canné, il n’a plus jamais chassé. Son chien c’était sa vie ! Il le brossait, le bichonnait, toujours à lui faire des caresses, des papouilles, des poutous, là où il allait le chien allait !... Enfin ! On a quand même eu un enfant, c’est pas si mal.

GERMAIN

Je vois ! Bel esprit tactique ! Monsieur a fait des épousailles parce qu’il ne pouvait pas avoir d’enfant avec son chien…

HUGUETTE

(Amusée)

Que vous êtes bête vous alors… mais… c’est vrai que je n’y avais pas pensé.

GERMAIN

(Il est consterné)

Et c’est tout ce que cela vous fait ?

HUGUETTE

Quoi ? Qu’il n’est pas eu d’enfant avec son chien ?

GERMAIN

D’avoir partagé 45 ans de votre existence avec un individu, qui se souciait plus du monde canin, que de celle qui lui servait d’intendance.

Il se lève et reprend sa serviette qu’il garde à la main.

Désolé d’égratigner le mythe, mais votre François était un sacré con !

Il va se placer derrière le côté droit du banc.

HUGUETTE

Mais dites ! Je ne vous permets pas d’insulter sa mémoire !

GERMAIN

Je ne fais que résumer le triste tableau que vous venez de me dépeindre.

HUGUETTE

Elle se tourne face au premier plan.

C’est que quand je l’ai connu mon François, c’était un drôle de bout en train vous savez. Mais après le mariage,  l’entrain à mis les bouts.

GERMAIN

N’en dites pas plus, je vois le genre ma pauvre dame ! Le célibat a été pour lui un champ de bataille où monsieur tirait sur tout cul qui se trémousser, la bistouquette toujours à l’affût. Puis une fois la bague au doigt, la retraite du gigolo : Chasse, pantoufles et souvenirs.

Il monte sur le banc et mime la levée du drapeau.

Envoyez les culottes ! On commémore ces chères fesses disparues !

Il met sa main tenant la serviette au niveau de sa bouche et imite le son de la trompette en entonnant l’air de la levée du drapeau. Le bras gauche le long du corps, l’index sur la couture du pantalon.

HUGUETTE

Elle se lève brusquement en agitant les bras.

Arrêtez ! On va vous prendre pour un fou.

GERMAIN

Toujours droit sur le banc, désignant de sa main le public.

Et alors ! Un peu de couleur dans le gris de leur traintrain ne peut que leur faire du bien.

Il descend du banc.

A vous aussi du reste ! Car dans le brouillard vous y avez passé un sacré bout de temps.

HUGUETTE

Oh ! Moi vous savez la météo…

Elle consulte sa montre

On s’est marié, il pleuvait comme vache qui pisse et quand il est mort, y te faisait un soleil que je vous dis que ça !

Elle range son tricot.

GERMAIN

Y a des signes qui n’trompent pas !

HUGUETTE

C’est pas que votre compagnie ne sente pas bon, mais y faut que je me rentre.

Elle va à son sac et commence à ranger l’urne et son tricot.

GERMAIN

Et bien allez ! Allez vaquer à vos petites occupations.

HUGUETTE

Oh ! J’allais oublier, c’est pour vous.

Elle sort un paquet de son sac qu’elle lui tend.

GERMAIN

Tiens donc !

Il prend le paquet.

HUGUETTE

C’est pour vous pardonner d’avoir été désagréable avec mon François peuchère.

GERMAIN

Il secoue le paquet près de son oreille.

Ben, en voilà une drôle d’idée !

Il regarde l’intérieur du paquet.

HUGUETTE

Je me suis dit, comme il n’a pas de chauffage…

Il sort le cadeau du paquet.

GERMAIN

Yeux écarquillés de surprise.

Une bouillotte ?

HUGUETTE

Le cadeau ne vous plaît pas ? La couleur peut-être ?

GERMAIN

(Se ravisant et se voulant touché)

Du tout ! J’avais juste oublié que l’être humain pouvait avoir parfois l’élégance du geste.

HUGUETTE

Comme ça le soir, au couché, je serais plus tranquille de vous savoir avec la bouillotte.

GERMAIN

J’accepte volontiers de vous rendre ce service.

Il jette la bouillotte sur le banc.

HUGUETTE

(Avec précaution)

Par contre… Il faudra bien vous laver les pieds, parce que ça à tendance à garder les odeurs.

GERMAIN

Se grandissant tout en se grossissant.

Auriez-vous l’audace d’insinuer que je sens des pieds ?

HUGUETTE

Ah ! Non ! je n’insinue pas, ils empoisonnent ! C’est une infection mon pauvre monsieur !

GERMAIN

Croyez-vous ?

HUGUETTE

Pour ne pas les sentir faudrait avoir les sinus bien engorgés… Bien, je me sauve grand galopin ! Je vous dis à demain monsieur la fleur !

Tout en partant

Au-revoir ! Au-revoir !

Elle disparaît côté jardin.

GERMAIN

(En direction d’Huguette)

Surtout ne vous sentez pas obligé de revenir.

(Il se parle à lui-même)

On pourrait jaser et pis moi j’ai une réputation à entretenir… Faudrait pas qu’on s’imagine des choses. Surtout elle !

Tout en préparant son sac.

Je sens des pieds ?... Faudrait voir ça que j’refoule des panards !...

Il sent l’air au-dessus de ses pieds.

Si c’était le cas, j’le saurai,  c’est tout de même moi qui marche avec…

Il sort côté cour.

Scène 4

GERMAIN

Il dort, allongé sur le banc dos au public, les pieds reposant sur son sac. Il s’éveille, s’étire, se met en position assise, jambes allongées sur le banc. Il regarde autour de lui, tousse, se racle la gorge puis met son index dans l’oreille e, l’agitant énergiquement. Bras tendu n croix, il pousse un long <> de soulagement. Il retire la bouillotte de dessous ses pieds et se lève face au public. Il se prépare à effectuer quelques exercices d’étirements en se mettant de profil. Le corps bien droit, bras allongés à l’horizontale. Il commence.

Plié !... Déplié !... Plié !... Déplié !...

Un pet se fait entendre.

Yeux grands ouverts, jambes légèrement pliées, il tourne la tête afin de suivre la trajectoire de son pet.

(Admiratif)

Nom de dieu ! Rapid’ com’ l’éclair !

Il se redresse.

Il va farfouiller dans son sac afin de prendre un bol rouge puis sort côté cour et re-rentre avec le bol rempli d’eau. Il pose le bol sur le banc, prend son sac qu’il dépose sur le milieu du banc et s’assied à sa gauche. Il prend une brosse à dent qu’il trempe dans le bol et se frotte les dents. Il mouille ensuite ses mains afin de les passer sur sa figure puis se nettoie les oreilles et s’essuie avec le torchon. Il prend une bombe d’aérosol qu’il vaporise sous ses aisselles. Il sort ensuite un croûton de pain qu’il va mastiquer puis se saisit d’un litron de vin et en boit une gorgée avec laquelle il va faire des gargouilles en faisant de grands bruits. Il retire de son sac deux chaussettes. Une chaussette avec deux trous et une autre avec un trou qu’il enfilera. Il rangera la chaussette aux deux trous et en sortira une sans trou qu’il enfilera. Il se chausse puis sent l’air au-dessus de ses pieds. Balance un coup d’aérosol, satisfait, il range la bombe dans le sac. Il va jeter l’eau du bol côté cour, revient ensuite au banc. Il chantonne, racle sa gorge tout en rangeant ses affaires. Il fait quelques vocalises.

Mon cher Germain comme tout les matins vous avez les aigus qui bouchonnent.

Son regard est attiré côté jardin.

Scène 5

GERMAIN

(Il voit Huguette portant un chapeau cloche)

Il faut vraiment que vous vous emmerdiez pour venir chez moi à 8 heures du matin !

HUGUETTE

Tout en avançant.

C’est qu’il me tardait de savoir si vous aviez bien dormi avec la bouillotte ?

GERMAIN

Je vous rassure, la bouillotte a passé une bonne nuit. Un peu agité certes ! Mais une bonne nuit tout d’même !

HUGUETTE

Elle s’arrête près du banc et y dépose son sac à main.

(Inquiète)

Vous avez fait des cauchemars ?

GERMAIN

Non ! Elle n’a pas fait de cauchemars, ça ne rêve même pas une bouillotte. C’est juste qu’au mois de mai pour une bouillotte, ce n’est pas le temps idéal pour faire grimper le mercure. Surtout quand on est dans l’sud !

HUGUETTE

Oh ! Mais il y a eu des mois de mai où fallait se couvrir, chaussettes et couverture.

GERMAIN

Désolé, mais je n’ai pas connu l’ère glacière. Bien ! Maintenant que vous avez pris des nouvelles de la petite bouillotte, vous avez certainement mille choses à faire, je ne vous retiens donc pas !

Il fait le tour du banc et se penche sur son sac faisant mine de chercher quelque chose.

Huguette le regarde sans bouger, figure en avant.

Germain la regarde par-dessous son bras puis par-dessus.

GERMAIN

Vous désirez peut-être faire un bisou à la bouillotte avant de partir ?

HUGUETTE

Vous avez vu ?

GERMAIN

Il se relève et lui fait face.

Quoi ?

Huguette toujours le visage en avant se met à secouer sa tête de gauche à droite.

GERMAIN

Oui…

HUGUETTE

Ah, quand même !

GERMAIN

Que vous vous détériorez de plus en plus !

HUGUETTE

Elle hausse les épaules.

Mon nouveau chapeau !

GERMAIN

Celui-ci vous donne un air cloche !

Il se penche sur son sac.

HUGUETTE

Normal ! Puisque s’en est un… de cloche !

GERMAIN

Tout en bougeant le sac

Vous savez, vous faites des efforts pour rien, à votre niveau vous n’avez pas besoin d’accessoires.

HUGUETTE

(Ravit pour ce qu’elle prend pour un compliment)

C’est gentil ce que vous me dites là.

Germain voyant qu’elle n’a pas compris, lève les yeux au ciel en signe d’impuissance. Il s’assied sur la droite du sac.

Huguette se met à tourner sur elle-même pour se retrouver sur le côté gauche de Germain. Elle fait une pause.

HUGUETTE

Et ceci ? Je l’ai reçu hier soir, c’est la dernière collection de l »La Redoute ».

Elle se remet à tourner pour se retrouver derrière lui sur son côté droit. Elle s’arrête et met en avant son visage.

Et mon maquillage ? Vous avez vu mon maquillage ?

Germain tourne la tête pour la regarder.

GERMAIN

Du rafistolage !... Au patrimoine mondial de l’humanité, vous auriez des chances ma chère ! De récolter des fonds pour vous faire restaurer la façade.

HUGUETTE

Mains sur les hanches.

Alors vous ! Ce ne sont pas les compliments qui risquent de vous étouffer.

Elle se remet à tourner.

GERMAIN

Oh ! Mais arrêtez donc de tourner.

HUGUETTE

Elle s’arrête sur son côté gauche.

En fait vous êtes un grand timide, ça vous met mal à l’aise quand on tourne autour de vous.

GERMAIN

Je suis sujet à la nausée ! Alors si « La Redoute » veut pas prendre une giclée ! Vaudrait mieux qu’elle se stabilise !

Elle s’assied à gauche du sac, dos au public puis tourne d’une manière qui se veut glamour afin de se retrouver face au public.

HUGUETTE

Depuis que je vous ai rencontré, j’ai l’impression de retrouver ma jeunesse ! Notre rencontre était écrite !

Elle enlève le sac qu’elle dépose devant le banc.

C’est un signe !

GERMAIN

C’est exactement ce que c’est dit Jeanne d’Arc quand elle gardait ses moutons. Moi si j’étais vous, j’ferais gaffe, j’prendrais du recul sur la camisole.

Il remet son sac sur le banc.

HUGUETTE

C’est à peu près ce que m’a dit le psy de mon fils quand je l’ai amené se faire examiner le ciboulot.

GERMAIN

Mouvement de recul.

Votre fils a un grain ?

HUGUETTE

Buste en avant.

Mais dites ! Mon fils il est normal ! Nous sommes équilibrés dans la famille !

GERMAIN

(A part)

Faut voir !

(Haut)

On peut consulter sans être pour cela complètement déglingué. De toute façon, je n’ai pas du tout confiance à cette sorte de gens qui récoltent de l’intime et qui ont par-dessus le marché, l’audace de vous faire cracher l’oseille.

HUGUETTE

Entièrement d’accord…

Elle met le sac devant le banc.

Parce que pour casquer, on casque ! Mais vous ne connaissez pas la meilleure, c’est mon petit qui avait un problème et c’est moi qui me suis allongé sur le canapé.

GERMAIN

(A part)

Il n’est jamais facile d’admettre l’évidence.

HUGUETTE

Oui, monsieur ! C’est Huguette ci-joint

Elle se désigne du pouce.

Qui c’est mis à l’horizontale.

GERMAIN

(A part)

Il n’a pas du être déçu du voyage le bonhomme.

HUGUETTE

Comme François m’a dit : << Ce type il est pas plus docteur que toi et moi. Il t’a fait allonger parce qu’il ne savait pas guérir le petit. >>

GERMAIN

Il la fixe du regard.

Le croyez-vous vraiment ?

HUGUETTE

Mais bien entendu, comme je suis saine, il ne risquait pas de se tromper.

GERMAIN

(A part)

Quand on lui montre la lune, l’imbécile regarde le doigt.

Il fait le geste d’attraper le sac.

Elle s’avance et pose sa main sur son bras.

HUGUETTE

Vous dites ?

Il recule en dégageant sa main.

GERMAIN

Rien ! Mais qu’avait donc votre fils pour l’amener consulter ?

HUGUETTE

C’est gênant. Je vous rassure, ce n’est pas une grave maladie, c’est juste que c’est… gênant !

Elle avance.

Germain se met à reculer jusqu’au bout du banc et tâte le vide derrière lui.

GERMAIN

Alors, ne vous mettez pas dans l’embarras, ne dites rien.

Il va pour se lever, elle s’avance rapidement et le retient par le bras.

HUGUETTE

A vous je peux bien le dire…

Elle avance sa tête. Lui, lui tend l’oreille. Avec rapidité, elle pivote et se retrouve allongée (grimace de douleur), la tête sur les cuisses de germain, qui, par la surprise s’est raidi, torse bombé et mains en l’air.

C’est plus à l’aise à dire ainsi.

GERMAIN

(Crispé)

Croyez-vous ?

HUGUETTE

Il est…

Elle effectue un geste efféminée de la main droite.

(Silence)

Vous ne dites rien ?

GERMAIN

Immobile, yeux grands ouverts et allant de droite à gauche.

C’est que vous n’avez rien dit.

HUGUETTE

Mais si, il est…

Elle refait le geste.

Lui, immobile, sans tourner la tête les yeux en coin vers Huguette.

GERMAIN

Quoi ?

HUGUETTE

Oh ! Mais je ne vais tout de même pas vous faire un dessin.

GERMAIN

Comprends pas !

HUGUETTE

Ce n’est tout de même pas compliqué !

Il tourne la tête et observe la main d’Huguette qu’il mime à son tour. Soudain comprenant et s’exclamant.

GERMAIN

Oh ! Un’ tante !

HUGUETTE

Que non, dites !... Un peu plus délicat sur le geste c’est tout !

GERMAIN

Ah, je comprends mieux !

HUGUETTE

Elle se met à sangloter.

Ça nous en a fait de la peine à mon François et moi.

GERMAIN

Tout en hésitant, il effectue un geste qui se veut affectueux sur le chapeau d’Huguette.

Allons, faut pas vous mettre dans cet état. Comme disait mon ami Léon : L’amour est une guerre de sentiments où chaque camp veut conquérir le cœur de l’autre.

HUGUETTE

Dit comme ça c’est beau. Mais une guerre n’est jamais propre. Tôt ou tard un camp pénètre l’autre !

GERMAIN

Pourquoi vouloir toujours savoir ce qu’il peut se passer derrière ?

HUGUETTE

Il n’y a pas besoin de beaucoup d’imagination pour le savoir. Moi qui l’avait si bien éduqué.

Secouée par de petits sanglots.

GERMAIN

Votre éducation en a certainement été la résultante.

HUGUETTE

(Sur la défensive)

Que voulez-vous dire ?

GERMAIN

Qu’avec vous, votre rejeton n’a pas eu le choix !

HUGUETTE

Et qu’est-ce qui vous fait dire ça monsieur « je sais tout » ?

GERMAIN

Tout simplement que vous êtes le genre de mère à filer un thermomètre dans le fion au moindre reniflement… Alors forcément, ça crée des habitudes.

HUGUETTE

Qu’est-ce que vous en savez ? Vous avez des enfants vous ?

Germain va pour se lancer dans une longue phrase puis se ravise.

GERMAIN

Non !

HUGUETTE

Alors vous ne pouvez pas savoir… Ce n’est pas facile pour des gens comme nous d’accepter ça ! Surtout qu’on n’est pas dans le show-business vous comprenez ?

(Germain, arborant une mine consternée par cette dernière phrase)

Mon drame vous en a mis un coup à vous aussi hé ?

GERMAIN

Vu le sujet, ce n’est pas le mot que j’aurais employé.

HUGUETTE

Oh ! J’ai bien senti que votre sensibilité s’était raidie.

Germain levant les mains.

GERMAIN

Du tout !

HUGUETTE

(Petits sanglots)

Moi ça me fait de la peine.

GERMAIN

(Vivement)

Bon, allez ! Faut vous relever ! Il n’est jamais bon de rester allongé l’âme en peine.

HUGUETTE

(Amicale)

Je vous sens tendu.

GERMAIN

(Sèchement)

Je vous ai déjà dit que non !

HUGUETTE

Vous êtes un sentimental vous.

GERMAIN

A rester allongé, on a de fausses idées qui s’agglutinent dans le cerveau. Ce n’est pas bon ! Ce n’est pas bon du tout ! Alors, je vous en prie, remettez-vous à la verticale !

Elle tente de se relever en pliant ses jambes en l’air et voulant les propulser vers l’avant. Elle va rester jambes en l’air pliées.

HUGUETTE

Peux pas.

GERMAIN

Allons ! Je vous en prie ! Faites un effort ! La situation est assez gênante comme ça !

HUGUETTE

Je suis coincé.

GERMAIN

Non ?

HUGUETTE

Si !

GERMAIN

Ah, ben v’là autre chose !

HUGUETTE

C’est mon dos. Il s’est coincé.

GERMAIN

Et bien faites un effort et décoincé-le !

HUGUETTE

Je n’aurais jamais du m’allonger de la sorte.

GERMAIN

Je ne vous le fait pas dire !

HUGUETTE

C’est vous qui m’avait obligé !

GERMAIN

Ah, ben celle-là c’est la meilleure, voilà que c’est d’ma faute !

HUGUETTE

Je ne vous en veux pas, c’était bien agréable…

GERMAIN

Bon, allez ! Maintenant stop aux enfantillages ! Faut se relever que diable !

HUGUETTE

Vous en n’avez de bonnes vous !... c’est pas vous qui l’êtes coincé.

GERMAIN

(S’énervant)

On ne va tout de même pas rester dans cette situation indéfiniment.

HUGUETTE

Va falloir que vous m’aidiez.

GERMAIN

Comment ça ?

HUGUETTE

A me redresser.

GERMAIN

Comment voulez-vous que je vous redresse ?

HUGUETTE

En vous redressant, vous en premier, afin de me prendre en main.

GERMAIN

Hein ?

HUGUETTE

Il faudra bien pourtant que vous me redressiez. Alors venez sur moi et tirez-moi.

GERMAIN

En voilà une drôle d’idée !

Il se lève avec précaution afin de se placer derrière le banc.

HUGUETTE

Y a pas le choix.

GERMAIN

Si ! Il y a mieux !

Il l’a fait pivoter en la prenant par les épaules afin de la mettre en travers du banc, jambes vers le public.

HUGUETTE

(Peu rassurée)

Qu’est-ce que vous faites ?

GERMAIN

Je prépare votre ascension.

Par les aisselles il la fait basculer vers l’avant. Pose un genou sur le banc et lui enserre de ses eux mains le bas des cotes.

HUGUETTE

Ce n’est pas que se soit désagréable, mais vous êtes entrain de me compresser les tétons.

Germain étonné vérifie la position de ses mains et ni une, ni deux, il remonte ses mains au niveau de la poitrine d’Huguette.

GERMAIN

Excusez-moi, mais de là où je me trouve j’ai du mal à établir une topographie.

HUGUETTE

Dites que je suis mal fichu tant que vous y êtes !

GERMAIN

Loin de moi l’idée de vous offenser sur votre âge…

Il effectue deux expirations rapides et bruyantes.

Etes-vous prête ?

HUGUETTE

A quoi ?

GERMAIN

A ça !

Il la bascule en avant en la retenant par les aisselles.

HUGUETTE

Ahhh ! Sainte Vierge ! Vous allez me faire mourir !

GERMAIN

Arrêtez ! Vous allez me tenter.

Tout en la tenant d’une main, il se met debout sur le banc.

HUGUETTE

Je sens que je suis toujours coincé.

GERMAIN

Normal, je n’ai pas encore commencé.

Il l’entoure de ses bras sous les aisselles.

Allez ! Hop !

Il la soulève dans le but de l’étirer. Huguette se retrouve suspendue au-dessus du sol, jambes toujours pliées.

GERMAIN

Jetant un œil sur la position des jambes d’Huguette.

Si vous voulez qu’ça s’décoince, faut rester les pieds au sol !

HUGUETTE

Je le pourrais si vous me tiriez par le bas.

GERMAIN

Bon ! Je passe au plan B.

Il l’assied et descend du banc.

HUGUETTE

Vous aviez un plan ?

GERMAIN

Non ! Mais ceci encourage quand on ne sait pas où l’on va.

HUGUETTE

Vous croyez que se sera meilleur ?

GERMAIN

Peux pas savoir, j’innove.

HUGUETTE

Ce n’est pas bien grave, laissez ! Je vais rentrer comme ça…

GERMAIN

Jamais de la vie, vous êtes toute pliée.

HUGUETTE

Pliée, mais entière !

GERMAIN

Attention !

HUGUETTE

A quoi ?

GERMAIN

A ça !

Avec rapidité il la saisit et la bascule sur le banc, allongée sur le dos avec les jambes pliées et en l’air.

HUGUETTE

Ahhh !

GERMAIN

Voilà une chose de faite.

HUGUETTE

Vous voulez dire défaite.

Il se remonte les manches puis rapidement se saisit des chevilles et rabat les jambes d’un coup sec.

HUGUETTE

Ahhh ! Mais vous êtes complètement siphonné !

GERMAIN

Désolé mais fallait le faire… Plus les pieds sont près du sol, mieux c’est !

Il l’attrape et sans ménagement la met sur le ventre.

HUGUETTE

Ahhh !

Germain avec le bout de ses doigts va tapoter le dos d’Huguette.

GERMAIN

Dites-moi quand je vous ferais mal.

HUGUETTE

Ne vous inquiétez pas, je serais vigilante.

Il tapote au niveau des reins.

HUGUETTE

Ahhh !

GERMAIN

Très bien ! J’vois c’que c’est.

HUGUETTE

Qu’est-ce que vous allez faire encore ?

GERMAIN

Vous inquiétez pas j’ai des doigts de fée.

Il lui montre ses mains.

HUGUETTE

Elles ressemblent plus à des enclumes qu’à des baguettes magiques.

GERMAIN

Restez tranquille…

HUGUETTE

Vous en avez de bonne vous !

Ou

Soyez prudent j’ai les réflexes indépendants

Germain se met face à elle, se penche et commence à masser au niveau des vertèbres cervicales.

GERMAIN

Dans un moment ceci ne sera plus qu’un mauvais souvenirs.

HUGUETTE

Tan…

(Elle est surprise par le bien fait du massage)

GERMAIN

Alors ?

HUGUETTE

Sainte Vierge ! Je monte au ciel !

GERMAIN

Oui et bien redescendez ! A votre âge y a des niveaux qui ne sont plus accessibles.

Il se place derrière le banc et masse le bas de la colonne vertébrale.

HUGUETTE

Je fonds !

GERMAIN

Alors il est plus sage que je cesse l’activité.

HUGUETTE

Oh, non !

GERMAIN

Ah, mais si !

HUGUETTE

Encore un petit peu

GERMAIN

Non !

HUGUETTE

C’est ma colonne qui vous le demande.

GERMAIN

La colonne est gourmande. Va falloir lui apprendre à être raisonnable.

HUGUETTE

Vous êtes vilain ! Juste au moment où je commençais à fondre.

GERMAIN

Que voulez-vous, tout début à une fin.

Il s’éloigne d’elle et va récupérer son sac qu’il va poser sur le banc. Il en sort le torchon afin de s’essuyer les mains.

Huguette se relève avec précaution et arrange sa robe.

Ils sont tout deux côte à côte, elle de face , lui de dos.

De sa main elle s’essuie son front en sueur. Germain la voyant lui tend le torchon qu’elle prend afin de s’essuyer le front et le lui rend.

HUGUETTE

Merci !

Penché sur lui.

(Admirative et se voulant intime)

Hé, bé ! Vous en savez des trucs vous !

GERMAIN

Il range le torchon qu’il a plié. S’éloignant d’elle en restant courbé

L’avantage de la rue. Elle nous apprend à écouter notre corps.

Ayant mis de la distance, il se redresse.

HUGUETTE

(Désolé)

Moi je crois que c’est mon corps qui n’écoute plus la tête.

GERMAIN

(La toisant)

Vous savez c’que c’est vot’ problème ?

HUGUETTE

Vous allez peut-être me le dire ?

GERMAIN

Vous avez été dans le coma pendant 45 ans et le tas de cendres vous a réveillé. Résultat, vos désirs ont 20 piges et vos os frôlent le quadruple…

HUGUETTE

(Choqué)

Oh !!!

GERMAIN

Votre tocante biologique, ma pauv’ dame ! Vient de subir un sacré séisme !

HUGUETTE

Et qu’est-ce qu’il faut faire ?

GERMAIN

Il n’y a rien à faire, y aurait tout à refaire !

HUGUETTE

Ouvrant ses bras de haut en bas, mains dirigées vers le sol.

Je n’ai plus qu’à me laisser mourir.

GERMAIN

Vous inquiétez pas ça va venir.

HUGUETTE

Ben, vous ! Comme remonte moral, vous vous posez là !

GERMAIN

Que voulez-vous, c’est la règle. On la connait depuis le début, l’être humain à tendance à ne pas vouloir y penser, voire même à l’ignorer, mais elle est là, c’est ainsi !

Avançant au premier plan en se mettant de face.

Un jour ou l’autre faut s’étaler pour de bon ! Avec grâce ou comme une merde, faudra s’étaler quand même !

HUGUETTE

Bras croisés.

C’est que canner, c’est pas rien.

GERMAIN

Comme dit mon ami Léon citant jean Anouilh : <

Se mettant de profil afin de la regarder.

C’est moins drôle et c’est plus long.

HUGUETTE

Et c’est qui ce Léon qui sait tant de choses ?

Elle s’avance vers lui et se retrouve au premier plan.

GERMAIN

Léon le gersois, un virtuose, un Maître !

Il recule au second plan.

HUGUETTE

Un artiste qui fait la cloche quoi !

GERMAIN

Jamais de la vie ! Il fait dans le foie gras. Il élève et il prélève.

HUGUETTE

Elle se met de profil afin de lui faire face.

Un kidnappeur d’organes ?

GERMAIN

Du tout ! Ces demoiselles les oies font dans le don d’organes, elles sont toutes consentantes.

HUGUETTE

Se remettant de face.

Si elles pouvaient parler, elles diraient certainement le contraire.

GERMAIN

Que non ! Elles ont la reconnaissance du ventre, elles s’offrent à l’artiste.

HUGUETTE

Tu parles ! On bourre et direction le bocal.

Accompagnant ses mots avec le gestuel.

GERMAIN

Dans cette maison là, on n’est pas dans le bourrage !

(Poétique)

On gave, mais avec délicatesse, avec tendresse. Monsieur Léon est un sensible. Y a qu’à voir quand y glisse les graines dans le gosier, dans son regard y a de l’amour. C’est ben simple, c’est à vous faire chialer comme une mad’leine.

HUGUETTE

De profil.

De l’amour ?

De face.

C’est bien les hommes ça ! Tout leur est bon pour vous faire passer à la casserole.

GERMAIN

Je peux vous l’assurer. Quand il prélève y a toujours une petite larme pour chacune d’entre elle. Savez-vous qu’elles ont toutes droit à une sépulture et avec leurs noms gravés, car ces demoiselles sont toutes baptisées.

HUGUETTE

Se remettant de profil.

Et le parrain c’est qui ? Le Crédit Agricole ?

GERMAIN

(Exaspéré)

Oh !

Il va chercher dans son sac un pot vide qu’il lui montre.

Tenez ! Celle-ci se nommait Yvonne, en hommage à tante Yvonne, la Générale.

HUGUETTE

Et pourquoi pas le Général tant que vous y êtes ?

GERMAIN

Parce qu’il manquait l’essentiel ! Les roubignolles !

(La voix très élogieuse)

Ces oies là n’ont rien de brésilienne. C’est de la gauloise, de la pure souche ! je suis certain que si l’on visitait leur arbre généalogique, on y trouverait des ancêtres qui ont vu leurs plumes dans les encriers à la cour de Versailles. Parce que chez ces demoiselle y a de la noblesse, ça ne marche pas, ça glisse, le port de têteau garde-à-vous… la poitrine en avant et l’arrière-train bien posé sur la ligne de flottaison.

Huguette met à exécution les dires de Germain et commence à déambuler de long en large.

GERMAIN

(La voyant faire)

Vous me faites quoi là ?

HUGUETTE

Je veux voir ce que ça donne que d’être noble.

GERMAIN

Oui et bien tentez pas la reproduction c’est pas dans vos gênes. De toute façon vous avez certainement de l’estomac mais vous manquez de d’foi.

Huguette toujours de la même manière se met à glisser.

Sans vouloir être désobligeant, vous donnez l’impression d’être une sardine s’échappant de sa boîte.

HUGUETTE

Même jeu.

Vous accordez des lettres de noblesse à ces oies blanches, afin de donner bonne conscience à votre appétit. Sans vouloir vous offenser.

GERMAIN

(Admirant le bocal)

Appétit ? Un foie magnifique à vous mettre à genoux, pas une tache, pas la moindre cirrhose.

S’avançant vers elle, bocal en avant.

C’est pas du foie de bistrotier ça madame !

Huguette continuant toujours à glisser. Lui la suivant.

Appétit ?

Il se poste devant elle et l’oblige à s’arrêter.

Il ouvre le bocal et le tend à Huguette.

Tenez ! Humez-moi donc ça !

HUGUETTE

Mais il est vide !

GERMAIN

(Menaçant)

Sentez !

Huguette, reniflant le bocal.

Alors hein ? C’est pas du pâté à deux balles !

HUGUETTE

Haussant les épaules.

Désolé, mais je ne sens rien.

GERMAIN

Pas étonnant vous êtes gâté de l’intérieur !

Il va au banc et se laisse choir. Il se met à sentir le bocal afin de se rassurer.

HUGUETTE

Elle, le voyant va vers lui.

(Avec tendresse)

Votre bocal n’est qu’un album de souvenirs monsieur Germain et les souvenirs on ne peut que les raconter.

Elle pose sa main sur celle de Germain.

Je suis désolé.

(Silence)

GERMAIN

(Se reprenant)

Vous avez raison ! Vous avez l’cerveau aussi sec qu’une figue à noël, mais vous avez raison !

Il se lève et va mettre le pot dans la poubelle.

Ce qui a vécu n’est plus et ce qui n’est plus, n’est plus rien !

HUGUETTE

(Fière de lui)

C’est une sage décision que vous avez prise là, je vous en félicite.

Elle s’assied.

GERMAIN

Il s’assied.

Je suis ravi de voir que pour une fois nous partageons le même avis.

Se tapant les genoux. Bras tendus avec les mains restant sur ses genoux .

Alors ? Où que vous allez le mettre ?

HUGUETTE

Quoi ça ?

GERMAIN

Votre François pardi !

HUGUETTE

???

GERMAIN

Vous avez le choix, la mer ? où à côté de son chien ?

HUGUETTE

Vous savez sur le frigo il est bien.

GERMAIN

La mer, apparemment il aimait bien, mais je ne vois pas l’intérêt d’emmerder les poissons. Finalement à côté de son chien serait peut-être le mieux…

Il se lève en faisant mine de réfléchir.

Je dois dire pour ma part… que la poubelle m’attirerait le plus.

Se mettant de profil en direction d’Huguette.

Etant donné que vous étiez pour lui l’intendance de sa vie, je crois que se ne serait pas que le désavouer en le foutant dans la poubelle.

HUGUETTE

C’est que c’est mon mari…

GERMAIN

Tête en avant.

Mais bon dieu d’ bon dieu ! ce n’est pas de lui qu’il s’agit mais de vous !...

HUGUETTE

(Se révoltant)

Justement ! Je ne peux tout de même pas mettre 45 ans de ma vie à la poubelle !

GERMAIN

Il va se mettre de profil sur le côté droit d’Huguette.

De quelle vie parlez-vous ? De ces heures à attendre le retour du chasseur ?... De ces soirées sans la moindre affection ?... Ou de cette urne que vous trimballez comme un trophée ?

Il lui tourne le dos en allant se placer au premier plan.

Qui d’ailleurs à ce sujet, me fait penser à un toréro brandissant la queue du taureau après l’combat.

HUGUETTE

(Offusquée)

Vous comparez mon François à une queue ?

GERMAIN

C’est une image.

HUGUETTE

Elle se lève.

(Furieuse et en appuyant sur les « mon »)

C’est mon François ! Le père de mon enfant ! Et quoi qu’il est eu comme défaut, il se doit d’être respecté en tant ue tel !

(Articulant)

Une queue ?

(N’en revenant pas)

Alors celle-là c’est la meilleure !... Je ne veux pas être médisante mais vous côté défaut, vous en avait quelques-uns en magasin.

Elle va se placer de profil sur la même ligne que Germain, mais côté cour.

GERMAIN

Les défauts sont la noblesse de l’homme quand ils sont bien dosés… Votre François lui…

Se mettant de face.

Etait en surcharge.

HUGUETTE

Venant se placer de profil au centre du premier plan.

Quand on a sa vie dans le caniveau, on ne s’occupe pas de la gouttière des autres.

GERMAIN

Lui faisant face.

Si ! Quand elle vient vous chatouiller l’épiderme. Pis ma vie elle est dans la rue, pas dans le caniveau, nuance ! Vous avez peut-être un toit sur la tête mais vous avez les fondations qui prennent l’eau…

Faisant un pas vers elle.

Attention ! Vous vous affaissez ma pauv’ dame ! C’est un coup à se retrouver au dessous du caniveau…

HUGUETTE

Vous êtes aussi fier que le cou d’une girafle.

Elle allie la parole au mime tout en faisant un pas vers lui.

GERMAIN

Très droit la tête légèrement penchée tout en faisant un pas vers elle.

Gira… FE !

HUGUETTE

Avançant d’un pas vers lui.

Té ! c’est bien ce que je disais…

Elle avance d’un pas.

Orgueilleux !

Elle avance d’un pas.

Egoïste !

GERMAIN

Il s’avance afin d’être très proche d’elle.

Investissez sur un dictionnaire vous pourrez en trouver d’autres de superlatifs… vous verrez, c’est très simple d’utilisation et en plus il y a des images.

HUGUETTE

Vous ne devriez pas aller trop loin, j’ai la cocotte qui commence à siffler.

Germain prend de la distance en se dégageant au second plan sur la droite du banc.

GERMAIN

(Dans le dos d’Huguette)

Pyromane !

HUGUETTE

Elle lui fait face avec vitalité.

Pourquoi que vous dites ça ?

GERMAIN

Lui faisant face.

Quand on voit la gueule de votre François… j’me dis qu’il y a certainement du Landru féminin à côté du poêle !

HUGUETTE

Elle se retourne main droite sur la poitrine avec les doigts écartés.

Saint-Vierge !

GERMAIN

L’appelez pas, vous allez la faire rougir la pauv’ dame.

Huguette va s’asseoir en prenant un mouchoir qu’elle positionne sous son nez en faisant de petits reniflements.

Germain se sentant coupable et ne sachant que dire, gêné, il va s’asseoir sur le bout du banc. Pendant ce temps, Huguette va jeter de temps à autre un œil sur Germain.

GERMAIN

(Fataliste et à part)

Bah ! De toute façon ce qui est dit, est dit.

Il se couche en chien de fusil, dos au public. Le voyant allongé, Huguette va tenter la réconciliation.

HUGUETTE

Avec mon François c’était pareil, on se disait des choses pour en dire d’autres…

(Germain n’a aucune réaction)

Fégniasse, parce que j’en faisais toujours trop… Grosse gourde, parce que je regardais « Question pour un champion »… et grosse vache, parce qu’il n’a jamais su dire je t’aime…

Germain se retourne toujours en chien de fusil.

GERMAIN

(A part)

C’est pathétique.

Huguette soupirant de façon très bruyante. Elle range son mouchoir. Le regard droit vers l’horizon faisant balancier avec ses jambes.

HUGUETTE

S’ils pouvaient causer, ils en auraient des choses à nous raconter.

Germain relève légèrement son chapeau. Yeux ouverts, sourcils froncés.

Il a du s’en passer des choses hé ?

Germain même réaction.

Des choses… Et même des choses… vous voyez ce que je veux dire… des choses coquines quoi !

Germain se met à califourchon face à Huguette.

GERMAIN

Mais de quoi parlez-vous donc à la fin ?

HUGUETTE

Des bancs publics. S’ils pouvaient parler…

GERMAIN

Oui et bien eux, ils ne l’ouvrent pas, ils ont le respect des autres et il serait bon que vous preniez exemple sur eux.

HUGUETTE

Parler d’eux, c’est tout de même leur rendre hommage. C’est quand même grâce à celui-là que nous avons fait connaissance.

GERMAIN

Que vous vous êtes incrusté ! Nuance ! J’n’ai rien demandé moi !... Rien !

HUGUETTE

Vous étiez là à rêvasser…

GERMAIN

J’aérais mon esprit !

HUGUETTE

En quelque sorte vous m’attendiez quoi !

GERMAIN

Je…

HUGUETTE

(Coupant court)

Il n’y a pas de hasard, ceux qui doivent se rencontrer se rencontre. C’est mon fils qui le dit, et côté connexion il en connait un bout mon petitou.

GERMAIN

Oh ! De ce côté-là j’n’en doute pas ! J’dirais même qu’il a d’la marge !

Il se recouche.

(Silence)

HUGUETTE

Et bé ! Il fait drôlement beau aujourd’hui.

(Soupir de Germain)

Et moi qui n’est pas voulu sortir François de peur qu’il ne pleuve… Je l’ai laissé sur le frigo comme ça de là, il peut voir le parc par la fenêtre.

(Silence)

Vous le croirez si vous voulez, mais lui qui aimait Brassens, avec moi il n’a jamais posé son derrière sur un banc.

GERMAIN

Sans bouger.

Il en connaissait le prix !

HUGUETTE

Il n’était pas romantique pour un sou… et un banc… c’est romantique.

GERMAIN

Relevant la tête.

Oh, non ! Vous n’allez pas oser ?

HUGUETTE

(Elle fredonne)

Les amoureuses qui se bécotent… sur les bancs publiques…

GERMAIN

Elle l’a fait !

HUGUETTE

Bancs publiques…

GERMAIN

Moi si j’étais vous, je m’économiserais. A ce rythme là ma chère veuve, vous ne passerez pas l’hiver !

HUGUETTE

Qu’est-ce que vous voulez, moi je suis romantique et puis un peu de légèreté ça ne fait pas de mal.

GERMAIN

Vous êtes tout, sauf légère.

Il se redresse.

HUGUETTE

Comme il dise dans le livre…

GERMAIN

Ah, non ! Pas le livre !

HUGUETTE

Pourtant…

GERMAIN

Il se lève brutalement.

J’ai dit non !

HUGUETTE

On n’a toujours besoin de quelqu’un.

GERMAIN

Je n’ai besoin de personne ! Vous m’entendez ?... Personne !

Il se prépare à partir en rangeant ses affaires.

HUGUETTE

Vous peut-être pas, mais votre solitude certainement.

GERMAIN

Moi je ne demande qu’une chose, que l’on me foute la paix !

HUGUETTE

Il a du s’en passer des choses dans votre vie pour être aigri comme vous l’êtes.

GERMAIN

Au lieu de cambrioler dans l’intimité des autres, vous feriez mieux de perquisitionner dans ce bric-à-brac qui vous sert de cervelle. Sur ce je ne vous souhaite pas l’bonjour !

Il se dirige côté cour.

HUGUETTE

Et bien moi je vous le souhaite, malotru !

GERMAIN

A jamais !

Germain sort côté cour.

HUGUETTE

Non mais digue !... Soit gentil et on te le rendra en caguant…

Elle se dirige vers la poubelle.

Quand même ! Il pourrait être reconnaissant de ce que je fais pour lui…

Elle va récupérer le bocal dans la poubelle.

C’est moi le mâle…

Elle caricature le mâle.

Ça te roule les mécaniques devant les copains <>… <>> je, je ! Je fais rien du tout ! Au moindre orage je fais la valise et je vais retrouver maman… Mon dieu que c’est pas facile de s’occuper des autres…

Elle met le bocal dans son sac.

Il en faut de la patience, il en faut… Et moi gourde comme je suis, je suis une éponge, je m’imbibe de la misère des autres et après j’ai la gaine qui me quiche. Il me le disait François…

V.O. DE François

A être bravasse comme tu l’es ! Un jour tu en pèteras ma pauvre guéguette !

HUGUETTE

Le regard dirigé vers le ciel.

François ?... François ?... C’est toi là-bas dans le noir…

Elle se signe.

Mon dieu ! C’est un signe y faut que je rentre à la maison… Il doit s’ennuyer tout seul peuchère.

Trottinant.

J’arrive François ! J’arrive !

Elle sort côté jardin.

 

 

 

RIDEAU

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ACTE II

Scène 1

Germain rentre côté jardin portant son sac de la main gauche et ayant la main droite sur sa tête, grimaçant de douleur.

GERMAIN

Oh , nom de dieu ! De nom de dieu !... On ne peut pas se balader tranquille sans que le ciel vous tombe sur la tête !

Il s’assied sur le bout du banc côté gauche, en posant son sac entre ses jambes. Il farfouille à l’intérieur et en sort un torchon avec lequel il va se tamponner et une écharpe.. Il le plie en carré sur sa tête et le fait tenir ensuite avec l’écharpe.

Inch allah et boum ! sur le cigare… Rien compris !

Il se dirige côté jardin et se met à guetter.

(Il se fait la conversation à lui-même)

La matinée est bien avancé… Elle viendra plus !

De tout’ façon môssieur « la fleur » ! Vous êtes un imbécile ! A quoi bon s’tracasser pour une vioqu’ qui a le cerveau qui prend l’eau…

Mais parce que mon cher Germain, tout être humain a droit à un dernier voyage d’agrément…

Moi je crois plutôt que le sieur « la fleur » a envie de se fair cueillir le bourgeon…

Entrée côté cour d’Huguette avec son sac à main dans le creux du bras. Elle s’avance à quelques pas du centre de la scène en premier plan.

(Germain n’ayant pas vu l’arrivée d’Huguette continue sa conversation)

Du tout ! Cela fait quinze jours que j’nel’ai point vu et je m’inquiète sur son état. A son âge on a le palpitant com’ de la porcelaine… Alors, de façon naturelle, j’m’inquiète !

Scène 2

HUGUETTE

Bonjour ! Monsieur « la fleur ».

GERMAIN

Se retournant surpris.

Tiens donc !

HUGUETTE

Vous m’attendiez ?

GERMAIN

Qui ? Moi ? Du tout !

HUGUETTE

Ah, bon !

GERMAIN

Je… enfin quoi !... je … me dégourdissais les pattes… Et vous ? Vous…

HUGUETTE

(Coupant court)

De la pharmacie !

GERMAIN

(Inquiet)

Vous êtes malade ?

HUGUETTE

Non, juste quelques remèdes que je devais prendre.

GERMAIN

Quand on n’est pas de la première… Enfin je veux dire…

HUGUETTE

Il faut prendre soin de soi.

GERMAIN

Voilà !... mais je ne vous ai pas vu passer ce matin.

HUGUETTE

Elle se rapproche vers le côté droit du banc.

Je ne suis pas passé par là !

GERMAIN

Non parce que, peut-être que je dormais et que…

HUGUETTE

Non, non !

GERMAIN

Très bien !

Il se rapproche vers le côté gauche du banc.

Non parce que si je dormais évidemment, je n’ai vu personne passer et il ne faudrait pas que vous pensiez…

HUGUETTE

Non mais je ne pense pas !

GERMAIN

Oui, non mais ça je sais… Mais vous auriez pu…

HUGUETTE

La pharmacie étant de l’autre côté, ça m’aurait fait un détour vous comprenez ?

GERMAIN

J’comprends ! j’comprends ! Et votre mari ça va ?

HUGUETTE

Toujours dans l’urne !

GERMAIN

Ah, ben oui c’est vrai !... Excusez-moi !

HUGUETTE

Il n’y a pas de mal. Et vous ? ça va ?

GERMAIN

Oui, très bien merci !

HUGUETTE

Je vous demande ça parce que…

Elle se tapote la tempe de son index.

GERMAIN

Désignant sa tête de son index.

Ah, ça ? Non, c’est rien, un petit accident, sans importance.

HUGUETTE

Vous êtes tombé du banc ?

GERMAIN

Non ! Oui ! Enfin c’est pas important ! Comme je dis le lieu n’a pas d’importance pourvu que la chute soit bonne.

HUGUETTE

C’est une façon de voir.

GERMAIN

Surtout de la sentir… la chute !

HUGUETTE

???

GERMAIN

C’était de l’humour… pour dédramatiser.

(Elle se force à rire)

Non, mais c’est pas grave !

(Elle continue)

(Il s’irrite)

Non mais je vous dis que c’est trop tard ! N’insistez pas !

(Calme à mi-voix)

De toute façon c’était foireux.

HUGUETTE

C’est de ma faute, j’aurais du …

GERMAIN

(Coupant court)

Ce n’est pas de votre faute, c’était nul ! Des fois ça marche, des fois…

HUGUETTE

(Coupant court)

Ça cague !

GERMAIN

Voilà !

HUGUETTE

Bon et bien ça m’a fait plaisir de vous revoir.

GERMAIN

Vous…

Désignant le banc.

Ne voulez pas vous asseoir ?

HUGUETTE

Si ! Merci !

Elle s’assied prestement (à la place habituelle de Germain) en déposant son sac sur la gauche ;

Germain vient s’asseoir à la place habituelle d’Huguette.

(Silence où les personnages ne savent comment aborder la conversation)

GERMAIN

Voilà ! Voilà ! Voilà !

HUGUETTE

Té ! Tant qu’on y est, je vous sers un petit café ?

GERMAIN

(Surpris)

Vous avez du café ?

HUGUETTE

J’ai pensé à prendre mon thermos…

Elle prend son sac et s’installe à califourchon.

Elle sort le thermos, deux tasses et deux petites cuillères.

GERMAIN

(Il la regarde faire, tout éberluée)

Vous avez pris votre thermos pour aller à la pharmacie ?

HUGUETTE

Je me suis dit ! Té ! Guéguette prend le thermos que, on ne sait jamais, des fois que je rencontrerais une amie ou je ne sais pas moi, quelqu’un d’autre !... Manière de dégeler l’atmosphère quoi !

GERMAIN

Et ça vous arrive souvent de trinquer la tasse sur le trottoir ?

HUGUETTE

Ouh la !... pas souvent !... A vrai dire jamais… Mais avoir un peu de café, ça fait pas de mal et ça peut rendre service. Moi je dis, il faudrait toujours avoir…

GERMAIN

(Coupant court)

Oui, non mais, c’est bien ! C’est bien ! C’est bien !...

Il se met à califourchon.

Huguette se met à servir le café. Elle sort un pot de sucre.

HUGUETTE

Vous voulez du sucre ?

GERMAIN

C’est gentil de me le proposer. J’veux bien !

Il en prend quelques uns qu’il met dans sa poche.

HUGUETTE

Pointant de son index.

Vous avez oublié de sucrer votre café.

GERMAIN

Du tout ! Le café je le bois sans sucre, de plus je n’y ai pas droit…. Au sucre.

HUGUETTE

Alors ceux-là, c’est pour un ami ?

GERMAIN

Il boit une gorgée.

Oui, à partir du moment où l’on considère que le chien est le meilleur ami de l’homme.

HUGUETTE

Je ne savais pas que vous aviez un toutou !

Elle boit une gorgée.

GERMAIN

Moi non plus ! D’ailleurs j’n’en ai pas !

Il boit une gorgée tout en la regardant.

HUGUETTE

???

GERMAIN

Il pose sa tasse.

C’est juste au cas où j’en aurais un… Que j’ai de quoi le recevoir… vous comprenez ?

Il fait le geste de prendre la tasse, la regarde puis se ravise.

HUGUETTE

???

GERMAIN

Admettons que je croise un chien… errant.

HUGUETTE

Comme vous ?

Elle boit une gorgée.

GERMAIN

Non ! Moi j’ai une carte d’identité !... lui se serait un sans collier.

HUGUETTE

Elle fini son café et pose sa tasse. Elle le regarde avec un air soupçonneux.

Vous ne voulez pas que j’aille vous chercher une aspirine monsieur Germain ?
GERMAIN

Vous êtes bien aimable mais ça va ! J’ai la tête dure vous savez !

Il prend sa tasse et finit son café.

HUGUETTE

(Sceptique)

Vouai !

GERMAIN

Il pose sa tasse.

Huguette range tout le nécessaire dans son sac, sans prêter attention à Germain.

Donc ! Pour vous terminer, avec cet ami là, je me dois de lui tendre un sucre en signe d’hospitalité.

HUGUETTE

C’est bien ! C’est bien !

Elle se lève, sort de son sac un nécessaire de secours.

GERMAIN

(A part)

Elle s’en fout complètement

(A Huguette la voyant faire)

Qu’est-ce que vous allez faire ?

HUGUETTE

Vous rafistoler.

GERMAIN

Ce n’est pas nécessaire !

HUGUETTE

N’ayez crainte, j’ai regardé tout les « urgences » à la télé.

Elle pose la trousse entre les jambes de Germain.

GERMAIN

Thermos et trousse de secours ? Si je puis me permettre, vous faites concurrence au SAMU social dam’ Huguette.

HUGUETTE

Elle ouvre la trousse.

Comme vous dites, quand on tend la main, autant qu’il y est quelque chose à l’intérieur.

Elle se lève, se place proche de Germain la jambe gauche touchant la jambe droite de ce dernier et la jambe droite pliée sur le banc touchant la cuisse droite. Elle se penche, la poitrine contre le visage de Germain et commence à défaire l’écharpe.

GERMAIN

Il tourne sa tête sur la droite afin de se dégager.

Vous devriez vous mettre derrière, je commence à manquer d’air.

Elle se déplace tandis que Germain se met de face en déplaçant son sac sur sa droite et en prenant la trousse sur lui. Une fois derrière le banc, elle va s’occuper à examiner la plaie.

HUGUETTE

Et bé ! Elle ne vous a pas raté !

GERMAIN

Une chute ne vous rate jamais, c’est par principe.

HUGUETTE

Coton !

Il lui passe le coton.

HUGUETTE

Alcool !

Il lui passe le flacon.

Elle imbibe le con d’alcool et lui tamponne la plaie.

HUGUETTE

Au fait ! je ne vous ai pas dit, figurez-vous qu’on a eu un rodeur dans notre rue ce matin.

GERMAIN

Un rodeur ? Croyez-vous ?

HUGUETTE

(Elle lui tamponne la plaie énergiquement)

Oui, un malfaisant ou peut-être même un maniaque ! Parce qu’il farfouillait à la fenêtre de ma salle de bain.

(Germain grimace de douleur)

GERMAIN

Ah, ben ça !... Et alors ?

Rentrant sa tête dans les épaules.

Aïe ! Non mais allez-y doucement !

HUGUETTE

Pardon !

Elle adoucit son geste.

Heureusement qu’Aïcha, c’est ma voisine du premier…

GERMAIN

Aïcha ?

HUGUETTE

Quand elle l’a vu, elle lui a balancé une casserole sur la tête, que je vous dit pas comme il a détalé l’obsédé du bigoudi… bandages !

GERMAIN

Et bien dites donc ! Elle n’y va pas de main morte votre voisine.

Il lui passe la bande.

HUGUETTE

Elle lui pose la bande.

Pensez ! Une couscoussière pour vingt personnes, ça fait des dégâts sur la cafetière.

Elle lui tapote le crane.

GERMAIN

Aïe !

(A part)

Moi en tout cas, je n’ai pas eu le temps de compter les convives.

(A Huguette)

Et… Vous avez pu le voir ?

HUGUETTE

Non, juste le dos… Je peux simplement dire qu’il avait votre carrure.

(Elle a terminé le bandage)

Voilà !

GERMAIN

Ma carrure est tellement banale que cela peut-être n’importe qui…

De ses deux mains il se palpe le bandage.

HUGUETTE

On peut le voir comme ça.

Elle vient s’asseoir sur le côté gauche de Germain.

Elle prend la trousse et commence a y ranger les accessoires.

GERMAIN

Merci !

Il se lève et va se placer au premier plan. En lui tournant le dos.

Je vais même vous vous avouer, que mon dos est d’un commun qui m’afflige… Je dirais même, insignifiant qu’il est mon dos…

Elle se retourne, la trousse à la main afin de le regarder.

J’ai le dorsal sans aucune personnalité, c’est ben simple, j’n’aurais pas de dos…

HUGUETTE

(Coupant court)

Vous n’auriez pas de face.

Elle range sa trousse.

GERMAIN

De profil et la regardant.

Ma foi mais… Vous êtes d’une perspicacité !

HUGUETTE

Tout en rangeant la trousse dans son sac.

Sans dos on ne risque pas de perdre la face.

GERMAIN

Oh ! Mais, je vous rassure ! Je n’ai jamais perdu…

(Huguette lui fait face et pose sur lui un long regard)

Mais vous avez raison !

Il lui tourne le dos.

On est à l’abri de rien.

HUGUETTE

(A part)

Surtout quand il pleut des couscoussières !

Elle lui tend un sachet qu’elle a sorti du sac.

Tenez ! C’est pour vous.

GERMAIN

Il se retourne

Qu’est-ce ?

HUGUETTE

Un cadeau !... Ouvrez-le !

GERMAIN

Il s’approche d’elle et prend le sachet.

(Sourcils froncés par la méfiance, son regard va se transformer en joie à la vue du contenu)

Oh, nom de dieu de nom de dieu !

Il sort un pot du sachet.

C’est pas possible !... peux pas y croire !

Les yeux grands ouverts admirant le bocal.

HUGUETTE

(A part)

Quand j’ai vu la facture, moi j’y ai cru…

GERMAIN

Mon ami Léon !

De ses deux mains, tel un trophée, il porte le bocal au ciel.

HUGUETTE

Non ! C’est du foie que c’est dedans !

GERMAIN

Oui ! De mon ami Léon ! Mais comment avez-vous fait ?

HUGUETTE

Par internet… J’ai récupéré le bocal vide pour l’adresse et j’ai surfé sur le  web.

GERMAIN

Vous ?

Il s’assied jambes écartées, admirant le bocal en le faisant tourner dans ses mains.

HUGUETTE

Avec ma voisine ! Mais c’est moi que j’ai eu l’idée !

GERMAIN

Nom de dieu ! Nom de dieu !

HUGUETTE

C’est que si on n’est pas moderne on est vite canné.

Elle s’assied à côté de lui.

GERMAIN

Oh ! Faut que je vous embrasse. !

HUGUETTE

Si vous y tenez !

Elle a ses lèvres bien avant, alors que lui va l’embrasser sur le front.

GERMAIN

Mon ami Léon ! Si on m’avait dit !... Non mais, si on m’avait dit !

HUGUETTE

Ceci n’aurait pas été une surprise… Bon !

Pendant qu’elle sort de sa manche un mouchoir qu’elle accroche à son col, Germain s’est retourné afin de cacher son émotion. Il renifle bruyamment.

GERMAIN

(Sans se retourner)

Excusez-moi dam’ Guéguette… c’est trop d’émotion.

HUGUETTE

Ne vous excusez pas, je comprends.

Germain s’essuie les yeux.

GERMAIN

C’est tellement bon !

HUGUETTE

Ben j’espère…

Germain enferme le bocal dans le sac. Le voyant faire.

Mais qu’est-ce que vous faites ?

GERMAIN

J’le préserve du soleil.

HUGUETTE

Vous ne l’ouvrez pas ?

GERMAIN

Ah, non, pas maintenant ! Je suis bien trop émotionné, ça gâcherait le goût.

HUGUETTE

Il est salé…

(A part)

Comme la note.

Elle retire son mouchoir.

GERMAIN

Je sais, mes papilles en ont gardé la moindre saveur.

HUGUETTE

Vous avez bien de la chance.

(A part)

Moi c’est la facture, je pense même la mettre  sous cadre.

GERMAIN

(Très ému)

C’est le plus beau cadeau que l’on m’ait fait jusqu’à ce jour.

Il se tourne prestement. Vers Huguette.

Tenez ! Dites-moi ce que vous voulez et je vais faire mon possible pour que vous l’ayez.

HUGUETTE

C’est vrai ?

Elle attrape son mouchoir.

Alors, je voudrais un petit peu de…

GERMAIN

Oh ! Et puis votre cadeau est de taille, le mien se doit d’être à sa hauteur.

Il sort de sa poche une photo qu’il lui tend.

Voilà !... C’est pour vous !

HUGUETTE

Elle prend la photo.

Une photo !

La regardant.

Un escalier !

GERMAIN

Index pointé en l’air, montrant l’importance de son cadeau.

Vouaie ! Mais pas n’importe lequel !

HUGUETTE

(A mi-voix)

Celui pour monter dans votre estime ou pour descendre chercher le foie gras ?

GERMAIN

Il se lève.

(Avec une grande fierté)

Celui de « la butte » ! Mon enfance !

HUGUETTE

(A part)

Quand on a un escalier dans son enfance, faut pas s’étonner de dégringoler jusque dans la rue.

GERMAIN

Montmartre ! Toute ma jeunesse !... Vous n’allez certainement pas me croire, mais rien qu’en matant la photo, j’ai toutes les odeurs qui me remontent dans le pif…

HUGUETTE

C’est qu’à l’époque il y avait plus d’odeurs que de cabinets.

GERMAIN

Et les sons ?

(D’une voix tonitruante)

VITRIER !!!... RAMONEUR !!!...

HUGUETTE

De nos jours c’est plus discret.

GERMAIN

La rue c’était notre piste aux étoiles.

(Il entonne la musique de la piste aux étoiles)

Il exécute une marche de funambule.

Les escaliers ! Le trottoir ! Les réverbères !

(Même jeu)

HUGUETTE

Moi c’était les vignes ! On jouait à vendanger, à ramasser les sarments… et à prendre des taloches.

GERMAIN

Il s’arrête côté gauche du banc.

Ah ! Guéguette… Si vous aviez connu Montmartre en ce temps-là !... C’est bien loin tout ça.

Il s’assied.

HUGUETTE

Attention monsieur Germain ! Trop de nostalgie ça constipe le cerveau.

GERMAIN

Cela fait si longtemps que je ne l’ai pas revu mon Montmartre.

Il caresse de la main le banc puis se redresse.

Moi la nostalgie ça m’titille l’conduit ! faut que je becte !

Il se saisit de son sac.

Vous ne voulez pas partager avec moi le… cadeau ?

HUGUETTE

Vous dites ?

GERMAIN

Je parlais de l’ami Léon. Vous ne voulez pas ?

HUGUETTE

Huguette en un tour de main sort son mouchoir et le coince dans son col.

C’est bien pour vous faire plaisir.

Elle sort un paquet de toasts de son sac.

Germain sort une couverture qu’il va étendre devant le banc afin de s’y installer. Il place le sac à côté du banc.

Parce qu’avec mon cholestérol…

Elle s’installe sur la couverture en mettant son sac à côté d’elle.

GERMAIN

Au diable ces mots barbares ! Moi je dis que quand on arrive à un certain âge, y a pas de raison pour se priver d’un p’tit plaisir.

Il prépare un toast qu’il tend ensuite à Huguette et prépare ensuite le sien.

HUGUETTE

Vous avez bien raison.

Mangeant son toast.

Oh, mon dieu que c’est bon !

GERMAIN

Mangeant son toast

Léon ! Mon prince ! Tu me fais atteindre le nirvana !

Huguette secouant affirmativement de chef, la bouche pleine.

Il prépare deux autres toasts.

HUGUETTE

La bouche pleine.

Oh ! J’allais oublier.

Elle sort une bouteille de vin liquoreux de son sac.

GERMAIN

Guéguette vous êtes une grande dame et je pèse mes mots. Vous avez le don de la grande Elisabeth.

Il lui tend un toast.

Il sort deux bols. (Bol rouge et bol bleu) qu’il remplit.

HUGUETTE

Vous avez connu Sissi l’impératrice ?

Ils trinquent et vide les bols.

GERMAIN

Je vous parle d’une française pure souche, pas d’une autrichienne.

Il remplit les bols.

HUGUETTE

(Tout en mangeant)

Elle n’était pas autrichienne Romy Schneider…

Elle boit.

GERMAIN

Faudrait que de temps en temps vous vous aériez la centrale ma chère Guéguette, le tube cathodique est entrain de vous étouffer la turbine.

Il boit.

Je parlais d’Elisabeth de Courrange qui avait le don de recevoir ses invités.

HUGUETTE

Connais pas.

GERMAIN

Et bien moi je l’ai connu et j’ai même eu l’honneur d’être son hôte.

HUGUETTE

(Admirative)

Oh !

GERMAIN

Oui madame.

HUGUETTE

Chez les nobles ? C’est que c’est pas rien.

GERMAIN

Grosse fortune, elle possédait le plus beau haras de Normandie… De France même !

HUGUETTE

Et bé ! Vous alors vous m’esplantez  hé !

GERMAIN

Vous dites ?

HUGUETTE

Vous m’esplantez .

GERMAIN

C’est quoi ça ?... M’essplannnter ?

HUGUETTE

Vous savez beaucoup de chose mais côté français vous avez des vides. M’esplanter ! Vous ne savez pas ce que ça veut dire ?

GERMAIN

Je crois surtout que nous n’avons pas ouvert le même dictionnaire.

Il remplit les bols.

C’est toujours la même chose, on a beau parler français, personne se comprend.

GERMAIN

Je pense que c’est une question d’éducation.

HUGUETTE

On n’écoute pas les petites gens parce qu’on ne veut pas les comprendre. Pour les cravates la misère ne se comprend que pour faire du bénéfice sur son dos.

GERMAIN

Zola l’a très bien écrit.

HUGUETTE

Peut-être ! Mais ce n’est que de l’écriture. Vous savez monsieur Germain, la misère ça ne se lit pas, ça se respire.

GERMAIN

Tenez ! Buvez donc un coup !

()

Ce breuvage m’a tout l’air de vous aérer la centrale.

HUGUETTE

Doucement !... mais c’est bon !

GERMAIN

Bon alors ! Esplanter ! ça veut dire quoi ?

HUGUETTE

Et bé, que vous m’esplantez ! Enfin je veux dire que vous m’étonnez quoi ! C’est tout de même pas compliqué tout ça !

GERMAIN

Si ça n’avait pas été compliqué, on n’aurait pas passé deux plombes là-dessus. Buvez un coup !

HUGUETTE

Dites, vous n’auriez pas l’intention de me saouler pour…

GERMAIN

???

HUGUETTE
Non parce que moi, je suis une femme sérieuse.

GERMAIN

Sérieuse certainement, mais faut pas vous pousser pour consommer les vendanges.

En lui montrant la bouteille.

HUGUETTE

Haussant son épaule gauche avec un air gêné.

Que vous êtes bête !

Etirant ses bras et ses jambes.

(Avec soulagement)

Ah ! ça fait longtemps que j’avais pas été aussi bien.

GERMAIN

Lui montrant la bouteille.

Allez ! Faisons de cette dame une veuve honorable.

HUGUETTE

Il faut être raisonnable monsieur Germain, nous la finiront demain.

GERMAIN

Oh ! Demain ! Demain sera un autre jour. Aujourd’hui c’est pour notre pomme.

Il sert puis levant  son bol.

Santé princesse !

HUGUETTE

A la votre !... la fleur !

GERMAIN

Y a pas à dire, c’est du nectar de chez l’bon dieu !

HUGUETTE

Ouh ! J’ai la tête qui me tourne.

Elle se fait du vent avec le mouchoir.

GERMAIN

Quand la descente est raide, le cerveau a du mal à trouver le cap.

HUGUETTE

Bon !

Elle se lève péniblement.

Faut que j’aille faire pisser l’urne.

S’apercevant de la bêtise qu’elle vient de dire, elle met sa main devant sa bouche.

GERMAIN

Nom de dieu ! Vous… m’esplannntez ! Guéguette !

HUGUETTE

C’est le foie gras, je ne suis pas habitué à la grande cuisine.

GERMAIN

Pas besoin de vous excusez.

Il va chercher dans son sac un vieux casque de moto.

Tenez ! Mettez donc ça !

HUGUETTE

Non, c’est pas nécessaire.

GERMAIN

Si ! Et pis quand on déambule comme une bille de flipper c’est plus prudent.

HUGUETTE

Non mais là, je crois que ça ne va pas être possible.

GERMAIN

Comment ! Après votre cadeau vous refuseriez le mien ?

HUGUETTE

Non mais, ne le prenait pas mal…

GERMAIN

Si vous ne le mettez pas…

Il se saisit du bocal.

J’ouvre le bocal et le premier cabot qui passe y a droit.

HUGUETTE

Non ?

GERMAIN

Si !

HUGUETTE

Bon alors, juste un petit peu.

GERMAIN

Il lui met le casque.

Vous coiffez là, le bien le plus précieux que je possède… C’est que lui et moi, on en a des souvenirs… et des bons vous pouvez me croire. Vous êtes magnifiques !

Germain tape sur le casque afin de bien le lui enfoncer.

HUGUETTE

Oh ! Monsieur Germain, vous me gênez !

GERMAIN

Vous êtes une belle rencontre madame.

HUGUETTE

Vous l’êtes aussi.

Elle lui dépose un baiser sur la joue.

Soyez pas triste, demain guéguette sera là.

Elle arrange les plis de sa robe.

Allez grand galopin ! Faut que je m’en retourne, que y se fait tard…

GERMAIN

Heu… je…

HUGUETTE

Voilà, je vous ai fait plaisir.

Elle va pour se défaire le casque.

GERMAIN

Non ! Gardez-le !

HUGUETTE

C’est que vous avez l’air d’y tenir.

GERMAIN

C’est bien pour cette raison que je vous le laisse.

Il vient se placer de face au premier plan.

Et puis ça m’plait de savoir que je serais dans vos souvenirs.

HUGUETTE

Demain on en construira d’autres de souvenirs.

GERMAIN

Tournant la tête afin de la regarder.

A quoi bon penser à demain ?

HUGUETTE

C’est que…

(Elle l’observe, tandis que lui détourne son regard)

Vous allez partir n’est-ce pas ?

GERMAIN

HUGUETTE

Oui, bien sur…

Elle s’approche de lui, dans son dos.

Montmartre doit être joli au printemps.

GERMAIN

Très joli oui…

HUGUETTE

Alors c’est fini ?

GERMAIN

Il se retourne et la prend par les épaules afin de se placer tout deux de profil.

Au contraire, tout commence ! Pour vous, comme pour ma pomme !

HUGUETTE

Elle se dégage de son emprise et file au second plan. Côté jardin.

Vous savez que vous êtes un drôle de zigoto, alors vous me faites…

GERMAIN

Se tournant afin de la suivre du regard.

(Coupant court. Voulant l’amener à la raison)

Huguette !

HUGUETTE

Elle se tourne pour lui faire face.

Non parce que…

Germain

Huguette !

HUGUETTE

Ça ne sert à rien, c’est ça ?

GERMAIN

C’est ainsi.

HUGUETTE

Du menton elle désigne le banc.

Il va être bien vide maintenant.

GERMAIN

Vous n’aurez qu’à fermer les yeux et vous rappelez.

Elle ferme les yeux ;

HUGUETTE

Alors adieu.

GERMAIN

Au rev… Oh ! Et puis autant se quitter en beauté…

HUGUETTE

Elle tourne la tête, le visage plein d’espoir.

Quoi ?

GERMAIN

Vous connaissez Paris ?

HUGUETTE

Je l’ai vu à la télé.

GERMAIN

Donc vous n’avez jamais vu la capitale,… et bien bougez pas ma bonn’ dam’, j’avance le carrosse.

Germain place sur le banc un petit pliant qu’il a sorti de son sac.

Allez ! Grimpez sur ma bécane !

HUGUETTE

Comment ? Là, sur le banc ?

GERMAIN

Non madame, vous avez devant vous une Peugeot, une P109 S de 1933. Un bijou ! Avec un moteur qui tourne comme une tocante suisse.

HUGUETTE

C’est peut-être pour vous un bijou, mais je ne vois qu’un banc.

GERMAIN

Oh ! Mais vous n’avez point d’imagination ? Fermez les yeux !

(Lorsque les yeux d’Huguette se ferment, la bouche s’ouvre)

Fermez la bouche !

(Lorsque la bouche se ferme, les yeux s’ouvrent)

Fermez les yeux !... Fermez la bouche !... Nom de dieu !

HUGUETTE

J’ai fait ce que vous m’avez demandé.

GERMAIN

Fermez les yeux !

(Huguette s’exécute)

Ecoutez-moi…

(Elle ouvre les yeux pour l’écouter)

Fermez les yeux ! Essayez de fermer la bouche en tenant les yeux fermés.

(Le même phénomène se reproduit)

Jamais vu une chose pareille ! Je ne vois qu’une explication, vous avez les roulements montés à l’envers.

HUGUETTE

Tant pis, la visite sera pour une prochaine fois.

GERMAIN

Ah, non ! J’ai pris pour habitude de tenir mes promesses. Montez là-dessus.

Il tapote le pliant.

HUGUETTE

Non vraiment, là-haut c’est pas possible.

GERMAIN

Vous file un coup d’main.

Il l’aide à monter.

HUGUETTE

Sainte Vierge ! Qu’est-ce que vous me faites faire !

Pas très rassuré, elle se cramponne au pliant des deux mains.

Germain s’installe à califourchon devant elle.

GERMAIN

Tournant sa tête vers elle.

Bien ! Maintenant fermez les yeux !

HUGUETTE

Désignant sa bouche.

Oui, mais je vais avoir…

GERMAIN

C’est pas grave.

Elle ferme les yeux.

J’la démarre !... Vous l’entendez ?

HUGUETTE

Non, rien du tout mon pauvre !

GERMAIN

Bon ! Vous avez devant vous une nationale bordée de platanes. Vous y êtes ?

HUGUETTE

Visage grimaçant, forçant la concentration.

(Le visage s’illumine)

Je l’ai ! Ça y est ! Je l’ai !

GERMAIN

Il tourne la tête.

Bien ! Vous êtes sur mon bijou.

HUGUETTE

Lui donnant une petite tape sur l’épaule de Germain.

Oh ! Monsieur Germain, vous allez me faire rougir.

GERMAIN

La regardant.

Concentrez-vous !

Prenat la position de la conduite du motard.

Les arbres défilent à vive allure… L’air vous caresse le visage… Vous entendez ce bruit d’enfer ?

HUGUETTE

Oh, mon dieu ! Je l’entends !

Germain penché en avant, bouche fermée, yeux plissée, les mains tenant le guidon.

 Huguette la main gauche tenant le pliant et la main droite sur le casque.

GERMAIN

On y arrive !... Rue des Abesses !... Rue des trois frères !... et rue Saint Vincent !...

(Enthousiaste)

Oh, nom de dieu on y est !

HUGUETTE

Cherchant du regard.

Où c’est qu’on y est ?

GERMAIN

Mais chez moi pardi ! Montmartre ! La butte ! Saint Vincent, tout quoi !

HUGUETTE

En tout cas c’est bien, on n’a pas eu d’embouteillage.

GERMAIN

Oh ! C’est que j’connais l’coin !

HUGUETTE

C’est sur que… quand on connait, on fait un bon guide.

GERMAIN

Pensez ! Toute mon enfance… Vous sentez ?

Tout deux sentant l’air.

C’est l’épicerie de M’sieur Eugène…

Montrant de son index de la main droite.

Oh ! et là, la boutique du père Rozen. Avec mon copain Marcel on allait s’allonger sur les fourrures dans son arrière boutique… C’est d’ailleurs dans la douceur d’une zibeline que j’eus mon premier bécot.

HUGUETTE

Moi la fourrure ça me fait éternuer.

GERMAIN

Tenez au coin de la rue il y  a la boulangerie où on allait chiper des bonbons.

HUGUETTE

Je savais bien qu’il y avait quelque chose de délinquant en vous.

GERMAIN

Vous n’y êtes pas du tout. Je suis même certain que la boulangère le savait. Mais elle nous laissait faire, elle nous avait à la bonne.

HUGUETTE

Enfin tout ça, c’est pas bien joli.

GERMAIN

Oh ! Si qu’elle était belle dans son tablier blanc. Elle avait cette adorable manie de se mordiller la lèvre inférieure, par timidité je crois.

HUGUETTE

Petite tape de la main gauche sur l’épaule droite de Germain.

Mais c’est qu’il était amoureux monsieur Germain.

GERMAIN

Oui, si on peut l’être à douze ans… Bon on continue

HUGUETTE

Et où que c’est que vous habitiez ?

GERMAIN

A quoi bon puisqu’il n’y a plus personne.

HUGUETTE

Moi j’aimerais bien voir.

GERMAIN

Oui et bien moi, je n’en ai point envie.

HUGUETTE

Pour quelqu’un qui voulait me faire plaisir, je trouve que vous avez le retour d’ascenseur restreint… Vous vous rendez compte, du foie gras de monsieur Léon… Je pensais avoir droit à une excursion complète.

GERMAIN

Oh ! Ce n’est pas bien c’que vous fait’s là ! Ce n’est pas bien du tout !

HUGUETTE

Ce n’est pas aussi terrible que de recevoir une couscoussière.

GERMAIN

Ah, vous ! Quand vous avez une idée derrière la tête…

HUGUETTE

Généralement elle ne descend pas plus bas.

GERMAIN

Puisque vous y tenez… C’était ici… Au numéro 12.

HUGUETTE

Là où qu’il y a le réverbère avec le chien qui pisse.

GERMAIN

Mais non, Pas du tout ! Vous ne voyez donc pas la blanchisserie ?

HUGUETTE

Ah, si !

GERMAIN

Et bien c’était là.

HUGUETTE

C’est que ça a l’air propre hé !

GERMAIN

(Avec évidence)

C’est une blanchisserie… et puis maman était une femme propre ! Et toujours souriante.

HUGUETTE

Une commerçante quoi !

GERMAIN

Du tout ! C’était naturel. Elle me disait : << Germain, il faut être aimable avec les gens, la plus part non pas beaucoup d’argent, alors notre sourire pour eux, c’est un peu comme un bon du trésor. >>

HUGUETTE

Un sourire ça remplit pas le porte-monnaie mais ça embaume l’esprit… c’est toujours ça !

Les deux mains posées sur les épaules de Germain.

Elle m’a l’air d’être une brave femme.

GERMAIN

(Appuyé)

C’était !

(A mi-voix)

Une brave femme.

HUGUETTE

Oh !

GERMAIN

J’avais douze ans !

(Le regard lointain, absent)

C’était un mercredi… Je rentrais de l’école.

Les deux mains posées sur ses genoux.

Il y avait le docteur et la voisine qui m’attendait sur le pas de la porte.

HUGUETTE

Un docteur dans un comité d’accueil, ça pressent le curé et l’eau bénite. C’est pas bon signe !

GERMAIN

Tout va tellement vite ! Le quartier qui s’éloigne, les hauts murs de l’orphelinat…

HUGUETTE

Elle pose sa main gauche sur la main droite de Germain.

Je suis désolée… finalement on aurait du finir  le foie gras…

GERMAIN

Un sourire qui disparait, c’est une drôle de grimace que vous fait la vie.

HUGUETTE

Hé ! Chacun porte son urne !

Germain la regarde en silence. Elle réagit comme si elle avait fait une bêtise.

GERMAIN

Il passe sa main sur son visage afin d’effacer les souvenirs.

(Réagissant avec entrain)

Allez ! Maintenant, direction la tour Eiffel !

HUGUETTE

Pas la peine je l’ai sur le buffet de la salle à manger.

GERMAIN

Vous plaisantez ?

HUGUETTE

Ben non ! C’est mon petitou qui me l’a ramené. S’il sait que je suis allé voir la vraie, il va croire que la sienne ne me plaît pas.

GERMAIN

Yeux en coin la regardant.

Je suppose qu’elle fait baromètre ?

HUGUETTE

Voui !

GERMAIN

Yeux au ciel.

C’est pitoyable !

HUGUETTE

Quoi ?

GERMAIN

Torse et tête tournée vers elle.

(Irrité)

De vous offrir un baromètre c’est pitoyable ! De vous foutre sur le perron c’est pitoyable !

HUGUETTE

C’était le docteur… Et puis maintenant il a sa vie.

GERMAIN

Oui, mais c’est vous qui la lui avait donné… la vie !

HUGUETTE

Ce n’est pas parce qu’on donne que l’on a des droits sur le suivi.

Germain se retourne les mains sur les hanches.

GERMAIN

On a surtout le droit d’être moins con avec sa génitrice.

HUGUETTE

Vous avez de la chance que l’on roule sinon, je serais descendu de votre pétoire.

Il se remet en position de conduite.

GERMAIN

Excusez-moi de m’être emporté.

HUGUETTE

Non, ce n’est rien…

GERMAIN

Vous voulez que l’on rentre ?

HUGUETTE

Je veux bien oui, il commence à se faire tard.

Elle met ses bras autour de lui. Germain se raidit.

Qu’est-ce que je me sens bien.

Elle se serre contre lui.

C’est bon le vent sur la figure.

GERMAIN

Oh !

Il descend prestement.

HUGUETTE

Mais qu’est-ce qu’il y a ?

GERMAIN

Elle a calé !

HUGUETTE

Faites là vrombir encore !

GERMAIN

Elle a calé ! J’y peux rien, elle a calé, elle a calé !... c’est les bougies.

HUGUETTE

Oh ! Monsieur Germain, à votre âge me faire le coup de la panne.

GERMAIN

Colmatez, Huguette, colmatez ! Vous avez les hormones qui s’répandent.

HUGUETTE

(Haussant les épaules)

Bon ! Je fais quoi maintenant sur la moto ?

GERMAIN

Vous descendez ! Le voyage est terminé.

HUGUETTE

Alors c’est fini ?

Germain l’aide à descendre en la soutenant par les hanches.

GERMAIN

Le banc a retrouvé son état naturel, la moto son album, alors oui, c’est terminé.

HUGUETTE

C’est la première fois que je vais aussi loin. C’est un beau voyage que vous m’avez offert.

GERMAIN

Vous savez, je l’ai fait pour moi aussi…

HUGUETTE

Je sais. Mais c’est avec moi que vous l’avez fait…

(Elle ferme les yeux)

Vous entendez ?

GERMAIN

Quoi donc ?

HUGUETTE

La musique.

GERMAIN

C’est certainement l’manège près du square.

HUGUETTE

Mais non ! Vous ne voyez donc pas les lampions ?

Désignant de sa main un point imaginaire.

GERMAIN

Je n’aurais jamais du rouler avec vous la bouche ouverte. Vous avez le cigare qui c’est enrhumé.

HUGUETTE

Je vous en prie ! Faites un effort !... La guinguette au bord de l’eau…

GERMAIN

Vous voulez parler de Nogent ?

HUGUETTE

Yeux écarquillés. Le regardant.

(Enthousiaste)

C’est ça ! Je me disais bien que je connaissais cet endroit… je l’ai vu dans un vieux film…

GERMAIN

Oh ! C’est que Nogent c’était qué’qu’ chose… fallait voir le monde, plein tous les dimanches. Le royaume de la guinche, du fricotage…

HUGUETTE

Je suis gâté, moi qui rêvais de le connaître. Merci monsieur Germain.

GERMAIN

Hein ? Heu… Y a pas d’quoi, c’est tout naturel.

HUGUETTE

Vous l’entendez maintenant la musique ?

GERMAIN

(Il ferme les yeux)

Oui j’l’entends.

(Il fredonne l’air d’une chanson d’époque)

Huguette commence quelques pas de danses les yeux fermés.

HUGUETTE

Allez venez ! Faut pas être timide ma mie !

GERMAIN

Vous en avez d’bonnes, c’la fait que’qu’s piges que mes panards n’ont pas remué sur une partition.

HUGUETTE

Qu’elle importance ! Suffit de suivre la musique. C’est tout de même mieux de se quitter comme ça non ?

Il la rejoint et sous une musique de bal musette il l’entraine dans une danse.

Ils dansent en tournoyant. Germain se détachera d’Huguette, il prendra son sac et disparaitra (côté cour). Huguette seule tout en tournoyant reviendra au centre de la scène.

La lumière baissera au fur et à mesure jusqu’à laisser la place à la poursuite.

HUGUETTE

C’était une belle rencontre non ?

(Noir)

RIDEAU

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