Le bonheur

tadamok

Un moment d'éternité...

C'est le début de l'hiver. Nous sommes au fin fond de la France profonde. Il est environ 15h00. Je suis confortablement installé dans un vieux fauteuil en cuir, large et moelleux. Je ne sens plus mon poids. Je ne sens plus le fauteuil. Je flotte.

Près de moi, j'entends le feu crépiter. Il m'apaise. Sans être vraiment régulières, les étincelles sonores soutiennent un certain rythme, plutôt lent par rapport à ma respiration, propice à la relaxation, idéal. La chaleur des flammes irradie sur mes jambes, sur mes pieds. Je la sens titiller mes orteils engourdis, à la limite de la brûlure, et se propager dans l'ensemble de mon corps.

Volets fermés. Lampes éteintes. Pas de lumière. Seulement des éclats de lueur, jaillissant des entrailles du bois. Pas de télé non plus, pas de chaîne hifi, pas de téléphone. Quelque part derrière la fenêtre entrouverte, un oiseau chante, seul, pendant des heures, répétant à l'infini la même mélodie, délicieuse, jamais lassante. Dans la cour, une fontaine laisse échapper un clapotis discret. Au loin, un voisin bricole. Il coupe du bois, donne des coups de marteau. Je perçois des sons, mais aucune parole, aucune sollicitation du monde des idées, pas la moindre intrusion de sens. Seulement un bruit de fond, un bruit  neutre, qui ne demande pas qu'on le comprenne, qu'on le déchiffre, un bruit qui me laisse profiter de cet instant d'éternité. De temps en temps, la cloche de l'église du village retentit. Elle insiste pour me donner l'heure. Je feins de ne pas la comprendre. Chaque nouveau coup est un cadeau du ciel. Je ne l'attends pas, je ne le prévois pas. Je le laisse me surprendre tandis que je profite du précédent.

Autour de moi, pas de papier peint, pas de peinture, mais des vieux murs en brique rouge et une charpente de bois sombre. Une vieille armoire, une commode avec quelques photos, et une porte ouverte sur l'obscurité de la cuisine, d'où provient cette odeur délicieuse. Mélange de bois vernis, de feu de bois et des saveurs du dernier repas, elle prend ses aises dans un air très pur, l'air sain et tiède des vieilles maisons de campagne.

Je ne sens plus mon poids, disais-je, mais je sens le poids d'une autre, celui de la femme de mes rêves. Lovée contre moi, elle dort paisiblement. Quelques-uns de ses cheveux lézardent mon visage, comme si le corps de ma chère et tendre, en cet instant de communion totale, déployait ses tentacules pour se mêler au mien. Je tiens dans la main droite un livre ouvert, mais j'ai abandonné ma lecture. Désormais, mon avant-bras est étendu sur son corps, faisant office de soutien-gorge, et mon bras gauche dessine un rempart autour de ses épaules délicates. Ma bien-aimée s'agrippe à cette cage naturelle, comme suspendue, la tête calée entre mon épaule et mon poignet, et la couverture, chaude, lourde, qui nous recouvre tous les deux jusqu'au menton, fait de petits va-et-vient au gré de sa respiration sereine.

Sur le tapis qui s'étend devant la cheminée, notre chien dort lui aussi, à un bon mètre du feu. Il dort du sommeil des braves, roulé en boule, le menton posé sur les pattes avant, elles-mêmes posées sur les pattes arrière. Il veille sur nous. Il est le gardien de notre sommeil. Quant à moi, je rêvasse, je me détends, je ne pèse plus le moindre gramme, je lévite, je profite, je ne pense plus à rien, je suis au Paradis.

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