Le Bruit de la Nuit

ron-bluesman

Ce vendredi soir est semblable à tous les autres, je vais regarder la télé et m'endormir sur mon canapé, soulagé d'être enfin en weekend. Pourtant cette nuit, je suis réveillé par un étranger bruit…

Ma fenêtre donne sur une rue tranquille, d'autant plus le vendredi soir où tout le monde rentre chez soi s'alléger du poids de la semaine passée. Il ne reste plus que deux minutes avant que je n'aille la retrouver. Une femme pénètre dans le hall d'immeuble, martèle les escaliers avec ses talons, s'enfonce au bout du couloir, rentre la clé dans la serrure et s'allonge chez elle. La porte claque en même temps que le micro-onde sonne la fin du spectacle. Mes pâtes sont chauffées et je peux enfin retourner, avachi sur le canapé, auprès de ma chère télé. La nuit s'écoule, indifférente à moi, et au fur et à mesure que l'horloge tourne, mes yeux perdent lentement le rythme du temps, qui se joue, se déroule, s'étale jusqu'à recouvrir tout mon regard, il fait tout noir, je ne peux plus rien voir. Mais j'entends. Dans le noir bruyant, une gêne des tympans, un bruit ronflant. Oui, c'est ça. Le bruit s'est lui-même endormi et ronfle, ronfle comme un pochtron, pire, un cochon, ce son est bien trop long, je l'écoute et reconnait un klaxon.

Je me réveille au milieu du salon à peine éclairé par la télé en veille, le klaxon est toujours là, qui pèse aux oreilles. Je m'approche en direction de la fenêtre et cherche le bruit en balayant du regard : il est à proximité, là, dans la rue, un fourgon de facteur s'est enfoncé dans les fourrées, voilà d'où vient ce foutoir. Le chauffeur est inconscient, la tête blonde et ensanglantée, appuyée contre le volant qui klaxonne en continu. Pourquoi personne ne sort de chez soi ? Suis-je le seul à l'entendre ? C'est pourtant si fort, si long, si… Que font les voisins, l'immeuble juste en face, le quartier, que fait le monde ?  Le fourgon hurle à la mort et agonise, un mélange d'huile de moteur et de sang s'échappe du côté conducteur, suis-je le seul à voir ce triste spectacle ? Mes jambes se dérobent à moi et je me retrouve à terre, recroquevillé dans un angle de la pièce, mon enclume stomacale m'écrase et me broie les tripes, je suis éventré d'effroi, quand je ferme les yeux j'entends mes tempes battre, alors pour les apaiser je tire mes cheveux nerveusement, mes mains tremblantes arrachent des mèches entières, la douleur physique me fait oublier le temps d'un spasme l'angoisse.

Les premiers éclats du matin se jettent sur ma fenêtre et me rappellent à quel point le carrelage est froid quand on y colle sa joue des heures durant. Il semblerait que je me sois évanoui ou bien effondré de fatigue hier soir. En me levant, j'ai à peine le temps de me faire un café que le ronronnement de la machine me remémore cet horrible cauchemar. On sonne à l'entrée ? Je prends ma tasse et me dirige vers le judas : ce sont des policiers. Je ne suis pas sûr de tout comprendre à ce moment-là, ma main est immobilisée sur la poignée et ne demande qu'à l'ouvrir, ce que je ne fais pas. L'un des deux policiers ressemble étrangement au chauffeur du fourgon, ce qui me perturbe assez pour rester figé devant la porte jusqu'à ce qu'ils rebroussent chemin. Somnolant encore, je bois mes premières gorgées salvatrices et suis enfin réveillé. Alors que je me dirige vers la cuisine et pose ma tasse sur le plan de travail, je sens un léger frottement sous mes pieds : ce sont des cheveux.

Le bruit de la nuit existe. Ces cheveux par terre sont ceux que j'ai perdu cette nuit. Après ce troublant constat, je les balaye du sol, et de mes pensées, puis me replonge dans mon travail. Si je réussis à finir mes lignes de code avant demain j'aurais peut-être du temps pour jouer, histoire d'oublier que lundi vient à grands pas. Plus les heures passent et plus je réalise que dimanche s'est confondu avec samedi, entrecoupés de siestes réparatrices, à jongler entre mon clavier, les nouilles et l'oreiller. Il est assez tard pour que toutes les lumières de l'immeuble d'en face soient éteintes, le monde se prépare à aller au front demain. Pas moi. Je dois finir mon programme, l'histoire de quelques minutes afin de le peaufiner.

La fatigue me tire du fauteuil, je décide donc de me faire un thé et de le boire accoudé au rebord de la fenêtre. Je perds mon regard dans les sentiers de goudron sur lesquels gambadent quelques véhicules nyctalopes et, dans les fourrées bétonnées, un individu en uniforme s'engage sur le passage piéton. Dur à dire si sa tenue relève plus du bleu foncé ou du bleu gitane dans la nuit : ses chaussures de fonction en cuir ciré reflètent le faible éclat des lampadaires, son pantalon à coupe droite garde les jambes rigides et la marche ferme, son polo, assorti à l'ensemble, est fermée jusqu'en haut, laissant dépasser un léger pli du cou qui s'échappe de la strangulation du col et s'évade jusqu'au haut de la gorge. La visière cache son front et ne laisse rien dépasser d'autre que ses mèches blondes, parmi lesquelles j'entraperçois non pas ses yeux mais son regard : il me fixe. Je suis tétanisé et n'ose à peine reconnaître ce visage que je connais.

  • Merci beaucoup ! Je ne pense pas en faire tout un roman car ça lèverait le voile sur ce mystère et sur la fiabilité du personnage-narrateur, c'est pourquoi je préfère en rester sur le format de la nouvelle pour conserver l'étrangeté.

    · Il y a plus de 3 ans ·
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    ron-bluesman

  • ça mérite une suite, c'est étrange et passionnant

    · Il y a plus de 3 ans ·
    Mm

    odess

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