Le buffet
Djamel Rouai
Minuit passé selon ce qu'a lancé ma pendule de ce tintement doux des profondeurs de la nuit. Dodelinant de la tête, entre le rêve et le réel, je somnolais assurément. Affalé dans ma chaise, la tête à la renverse, je dus épuiser mes forces à recomposer le fil de quelque histoire lugubre d'un amant dans son chagrin instamment suppliant un corbeau du sort de sa défunte bien aimée.
Et juste en ce moment doucereux et rare du sommeil, se fit entendre un vague bruit tel les coups frappés à ma porte : « cela ne pourrait être, me dis-je, que quelque téméraire noctambule trompé d'adresse ou encore l'invité impoli venant déranger ma solitude. »
Avec peine si je m'arrachais de ma chaise, et vaine soit ma quête à trouver quelqu'un derrière la porte : « les ténèbres et rien de plus. »
Piqué de froid, je fis demi-tour bredouille dans mon siège.
Une fois encore, pourtant, distinctement, un crissement suivi d'un martèlement tel les coups dans ma porte : « cette fois-ci, me dis-je, le bruit provient de ma fenêtre, ça ne devrait être que cette bête nocturne venue chercher quiétude à mes persiennes. »
Sous l'empire de la fièvre, chancelant vers la fenêtre, les battements de mon cœur furent violents à mesure que je m'apprêtais à ouvrir voir qui était derrière la vitre : « la pluie et rien de plus. » Cette pluie se précipitait martelant ma vitre dans les ténèbres.
A l'instant et sans l'ombre de doute, résonnait clair dans la pièce baignée dans toute la lumière mon nom… ! Comme un automate, tournant ma tête, je n'osais croire ce qu'un être sensé ayant toutes ses facultés mentales n'y pût croire : « cette voix, source de l'horreur, est bel et bien de mon buffet, ça ne pourrait être que mon délire ou la lecture de ce maudit livre », me dis-je à voix haute.
« Ce n'est ni l'un ni l'autre, me répond doucement la voix, tu n'étais plus rien quand je venais d'un grand chêne choisi parmi les chênes de ces beaux jardins d'antan. J'avais servi mes maîtres en buffet utile, ne manquant à aucune de mes tâches. Hélas ! Chez toi et les tiens voici que je chois, vieux et réduit en débarras."
Glacé de peur, ma lampe quoiqu'elle éclairât toute ma chambrette, un voile opaque se tressa devant moi et un bourdonnement inattendu terrassa mes sens comme si je subissais une scène de l'au-delà.
L'horreur s'empara de mon cœur et emplissait toute la pièce, je ramenais, non sans peine, le clair dans mon esprit fébrile et j'écoutais les lamentations de mon buffet :
« Des années de bonheur, me dit-il, écoutant, près de moi, le piano pleurer et ces rares fleurs, des rivières jadis gonflées du torrent, que renouvelle la maitresse de la maison sur mon buste en marbre noir poli, et puis l'étoffe douce et parfumée qu'elle passe et repasse à m'entretenir, voilà que je chois maintenant, dans ce coin de mur sombre, sans intérêt, en débarras pour toute vaisselle dépareillée et le manque d'harmonie. Ne suffit-il pas pour que tu prévoies mon trépas, faisant de moi de ces tables basses et tabouret ? Ah ! L'insensé, l'aveugle que tu es, devant un tel chef-d'œuvre?" " Jamais plus! »
Et quand pointa le jour et chanta le coq, s'abstint mon buffet des propos abusifs. Je ne tins crue dans mes lèvres que cette fameuse parole : « Jamais plus ! »
Rouai Djamel:29/6/2015