Le Câble, histoire ingénue

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Imaginaires urbains et mondes des possibles, mécanismes de réflexions sur la fabrique des villes

Grâce au web 2.0, la culture Do It Yourself du partage et du bricolage a supplanté les intérêts des grandes entreprises et les monopoles lucratifs. Les hiérarchies décisionnelles sont remises en question et si l’individu n’est pas noyé dans la communauté et garde une place prépondérante dans la société, il ne reste pas moins l’acteur d’une identité et d’une intelligence collective. Internet, support originel de cette culture, démultiplia l’impact de cette pensée dans la vie courante au point de dépasser les règles capitalistes et le cadre institutionnel. Ce qui était auparavant la forme d’une contre-culture est devenu aujourd’hui une expression globale et populaire. Elle est une tendance lourde avec laquelle l’Etat doit composer. Aperçu d’une ville possible à travers les histoires de ses habitants.

Le Câble avait très rapidement conquis le cœur des citadins et représentait maintenant une part importante des transports urbains. Développé par des habitants soucieux de lier transport efficace et moments agréables, le concept du Câble reprenait grossièrement le principe de la tyrolienne. L’enjeu majeur avait été d’adapter cette technique à la vie urbaine. Après quelques débuts laborieux, c’est l’engouement général qui rendit possible la pratique du Câble à grande échelle. La ville était désormais support d’un maillage aussi complexe qu’intuitif et les façades des constructions parsemées de plateformes. Les nœuds de connexion correspondaient en effet aux besoins et aux envies des usagers du Câble. Les plateformes étant libres, n’importe qui pouvait en installer une sur la façade de son bâtiment ou sur son balcon, en suivant bien sûr  un certain nombre de critères de sécurité. La facilité de mise en œuvre avait rendu possible le développement rapide du réseau urbain, mais plus que ça, elle avait permis l’élaboration d’un tissu sensible. Le Câble avait comme but initial de désengorger la rue et le sous-sol, saturés, en déployant un nouveau réseau cette fois-ci aérien. Bien que la vitesse de déplacement et son efficacité prouvée aient été les moteurs de son développement rapide, c’est avant tout l’émergence de nouvelles pratiques de la ville qui avait pérennisé ce mode de transport comme véritable composant urbain. Utilisées pour s’accrocher ou se décrocher comme nœuds du parcours, elles offraient une nouvelle dimension à la ville. La flânerie avait aussi retrouvé une place. Si le réseau de base posait le problème d’une déconnexion avec l’espace public, c’est bien l’aménagement de ses plateformes qui avait généré une nouvelle forme d’espace public, qui se déployait alors sur les façades, les toitures terrasses et les balcons. La continuité avec le sol avait été obtenue avec la création de rampes et l’installation de câbles motorisés.

Cette nouvelle opportunité, Johanna l’avait bien saisie. Cette jeune femme, pour qui la pâtisserie était une véritable passion, avait décidé d’ouvrir une plateforme sur son balcon pour proposer ses services aux passants. Légèrement frileuse à l’idée de créer une petite entreprise, Johanna avait préféré rendre public une partie de chez elle pour développer son activité. Avec un appartement situé en centre-ville et un balcon à l’angle du boulevard André et de l’avenue Delhaie, sa plateforme générait un trafic important et rendait sa micro-pâtisserie rentable. Elle y voyait ainsi un moyen de partager ses pâtisseries en minimisant son investissement financier.

De son côté, Lauranne s’était faite aidée pour installer sa plateforme en façade de son immeuble. Perchée au 7ème étage et du haut de ses 74 ans, elle avait bien du mal à parcourir la ville pour occuper ses journées. C’est donc avec enthousiasme que s’était faite la découverte du Câble. Perturbée au départ, elle avait rapidement pris goût aux passages réguliers et accueillait volontiers les utilisateurs de sa plateforme avec un café ou un thé, ce qui engendrait souvent une discussion, parfois futile, toujours plaisante. Quelques minutes pendant lesquels les usagers pouvaient contempler la ville et son fourmillement. Quelques minutes pendant lesquels Lauranne appréciait de généreux sourires.

La ville était désormais parcourue et vécue dans son épaisseur. Des jeunes lycéens se pressaient pour aller en cours dans des courses multimodales (métro/vélo/bus/câble), des fêtes spontanées étaient organisées sur les toits de la ville, et on ne comptait plus les multiples identités qui se révélaient aux nœuds du réseau. Si le respect d’un minimum de règles était requis, il était en effet possible de personnaliser sa plateforme. Beaucoup en profitaient pour indiquer les potentialités de connexions et de parcours depuis ce point : “terrasse super agréable en fin de journée à 4 câbles”, “ligne E du métro à deux câbles”. Des indications utiles et souvent atypiques, même si l’état du réseau était consultable en temps réel sur téléphone.

Le Câble, une expérience toujours plus riche, plus agréable et plus sensible.

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