Le cahier des desseins
le_gallicaire_fantaisiste
Ce qui te manque, cherche-le dans ce que tu as. Si la forêt te donne des châtaignes fait pousser un arbre et confectionne un énorme pain dont l'odeur dans le four te ravira toute la matinée et les jours qui suivront aussi. C'est la loi de transformation, rien ne pourra jamais te manquer car tout n'a de cesse de se transformer pour le plus grand bonheur des gens, qu'ils soient heureux ou malheureux. C'est un petit air charmant composé par Frédéric Chopin qui trotte dans ma tête et me murmure qu'un jour viendra où tout changera. Voilà alors ce qu'il apporte avec lui, l'espoir, mais l'espoir qui devient réalité avec certitude, une nouvelle réalité qui vient renverser les désirs méchants des êtres malveillants qui rêvent de mettre un point final à cette histoire. C'est comme un sortilège magique qui protège des coups que portent les lâches, les hypocrites et les êtres complètement stupides qui s'imaginent être des génies. Une chose bien faîte dans l'univers, comme est bien faîte la nature et la nature des choses. Comme je suis entrée en matière, je m'apprête donc à le refaire, aller chercher ce qui me manque là où je n'ignore pas que je le trouverai car je le possède déjà en moi. C'est avec cet état d'esprit que j'ai décidé à dix ans de me trouver une nouvelle famille. J'ai posé les conditions de mon ambition sur la couverture de mon lit qui était une plaid orange qui colorait les murs de joie dans ma chambre à l'orphelinat. J'ai posé mon grand cahier sans ligne sur le plaid et j'ai dessiné comment serait ma nouvelle maman et comment serait mon nouveau papa de manière à avoir leurs photos toujours avec moi. C'est de cette façon qu'on doit commencer pour avoir une vraie famille, je le sais. Clara, une fille blonde qui ressemblait à une grande asperge avec des yeux globuleux bleus de télescope qui n'arrêtaient pas de se coller juste sous ses sourcils tandis que sa bouche faisait tout le temps des ronds comme pour faire des bulles de savon, parce qu'elle commençait toutes ses phrases par « Oh ! », rentrait chez sa grand-mère tous les jeudis. Elle prétendait tout savoir celle-là, comme si on peut tout savoir alors qu'on a même pas réussi un début d'études. Pourtant elle avait la prétention, qui donne envie de revomir son verre de lait chaud sucré du matin, de toutes ces filles qui ont la chance d'avoir une grand-mère. Moi ma grand-mère était morte avant même ma naissance, pas de chance, je n'en avais même pas un lointain souvenir ! Oui, je n'avais vraiment pas de chance ! La grande Clara m'avait clairement dit que je pouvais tout de suite renoncer à mon projet de trouver un papa et une maman car selon elle, ça ne risquait pas d'arriver de si tôt parce que les parents n'adoptaient plus d'enfants depuis que les dossiers d'adoption étaient devenus payant et qu'il fallait attendre 38 années tout rond pour réussir à adopter un enfant. D'abord les parents riches cela courrait encore moins les rues que les parents pauvres et ensuite Clara m'expliquait que bien évidemment les enfants étaient tous vieux avant d'avoir pu recevoir l'autorisation d'aller chez les parents qui auraient bien voulu les adopter et comme moi j'avais déjà 10 ans, je n'avais qu'à faire le calcul, ce n'était pas du tout envisageable que quelqu'un puisse arriver à m'adopter à temps. Elle m'a dit aussi que j'avais d'autant plus tout faux, en incitant fortement sur le « Oh, ça c'est sûr ! », que je portais des robes plutôt que des pantalons et que les parents qui n'étaient pas des grand-mères préféraient depuis la nuit des temps repasser des pantalons de garçon plutôt que des robes de fille parce que c'était beaucoup moins compliqué pour faire le linge de la maison à cause des plis et des dentelles sur les cols. C'était sa grand-mère qui lui avait expliqué pour le linge de maison et le repassage. J'ai écrit la date de cette journée sur mon cahier de dessin et ensuite j'ai rédigé un petit serment, en appuyant bien fort sur mon crayon à papier, qu'à partir de maintenant je ne porterai que mes pantalons et que je ne mettrai plus jamais ma robe avec la tête de Mickey collée sur le devant de la poitrine. Pour être sûr de respecter mon serment et comme la tête de Mickey était en plastique, je suis allée subtiliser le fer dans la salle de repassage dès le lendemain qui était un jeudi et où Clara n'était pas là, et je l'ai fait fondre avec la semelle du fer qui était bouillante. Mon éducatrice m'a beaucoup grondé mais je n'ai rien regretté, c'était pour que ma mère soit contente de moi et qu'elle m'aime très très fort. Alors après je traînais le plus souvent avec mes pantalons et une casquette sur ma petite tête dans le hall d'entrée de la maison des enfants, pour voir tous les parents qui arrivaient. Je les écoutais parler entre eux et avec la directrice et puis je regardais la forme de leur visage. C'était pas la forme des visages sur mes photos dans mon cahier à dessin, à chaque fois il y avait quelque chose qui clochait, quelque chose qui ne collait pas, c'est pour cela qu'ils ne pouvaient pas devenir mes parents ces gens-là, ils ne ressemblaient pas à mes parents quand je les dessinais sur les pages d'après dans mon cahier. Je me souviens cette grosse dame, très chic qui marchait avec des chaussures avec deux pics en dessous pour s'arrimer dans la terre sur le chemin du parc. Ses pieds rentraient presque pas dans ses chaussures. Heureusement qu'il y avait les deux pics sous ses chaussures pour qu'elle ne bascule pas de côté jusqu'à s'échouer dans la marre d'eau qu'avait formé l'averse au pied de l'escalier en pierre. Ce qui n'allait pas chez elle à mon goût , c'était sa voix hautaine criarde et puis aussi sa langue quand elle parlait pour expliquer qu'elle voulait à tout prix un petit bébé pas un enfant de ma taille. J'avais sûrement l'air plus grande que je n'étais car j'étais monté sur un banc du hall pour mieux la voir. C'est sûr, sa langue à elle était beaucoup trop longue et en plus, elle se divisait en deux quand elle sortait de sa bouche. Les petits bébés sont avec leur vraie maman qui est sûrement tout le temps avec eux, il n'y en avait aucun à adopter ici, qu'est-ce qu'elle s'imaginait avec toutes ses bagues en or et pierres précieuses sous ses gants, celle-là, que les orphelinats font des miracles pour les enfants ! Quand la pluie s'est arrêté de tomber, j'ai pris mon cahier à dessin et j'ai couru à la statue de Sainte Marie dans le parc pour dessiner le petit Jésus dans mon cahier. Je voulais en garder un souvenir, après tout, c'était le seul bébé qu'on attendait ici et je m'étais dit qu'on allait peut-être le donner à Noël à cette grosse dame pour qu'elle l'emmène chez elle, puisqu'elle avait tellement l'air d'avoir envie de prendre le bébé de Marie et que la Directrice paraissait ne rien pouvoir lui refuser même de marcher sur la moquette avec ses chaussures toutes pleines de terre. En plus j'avais entendu dire près du bureau d'accueil que c'était une grosse dame recommandée par une personne très importante. Je me suis mise à imaginer comment serait la maison du bébé de Marie, sûrement une grande maison avec beaucoup d'escaliers. Il faudrait que la grosse dame ne tombe pas avec ses chaussures quand elle porterait le bébé. J'étais tout de même un peu inquiète à cette idée. Les deux ne tenaient pas vraiment debout, le bébé et la grosse dame. J'ai écrit un message pour elle sur mon cahier pour lui dire de faire attention parce que même un bébé en pierre c'était fragile et que cela pouvait tout à fait se casser. J'ai plié la feuille en accordéon pour que ce soit plus joli et je suis allée donner l'accordéon à la dame qui avait retiré ses longs gants en peau de serpent. Ce petit air de musique d'accordéon ne lui a pas beaucoup plus, c'est ce jour là que mon éducatrice m'a appris le mot « insolence » et ce qu'il voulait dire, mais pour moi ce mot ne convenait pas du tout pour ce que j'avais fait et je me suis dit que les adultes ne pouvaient pas comprendre les enfants parce que de toute façon ils n'ont pas gardé leur cahier de dessin et ne peuvent pas se rappeler : un jour viendra et tout changera... Moi j'ai pourtant continué de garder confiance. Avec le temps, je m'étais beaucoup attachée à mon papa et à ma maman dans mon cahier. Je leur parlais, je leur écrivais des poèmes et des histoires et je leur faisais des dessins en leur expliquant pourquoi je les avais fais et à quoi j'avais pensé et ce que j'avais vu pour les faire. Une plume de pigeon d'un beau gris avec des tâches blanches que j'avais trouvé sur la pelouse aux pieds de Marie, un rouge-gorge qui était venu se poser sur la grille du parc de la maison des enfants, un nid de mésange que j'avais découvert dans le tronc d'un platane, la croûte du pain chaud servi au réfectoire et les bonbons berlingots avec des lignes blanches qui ont l'air de faire des boucles pour arriver à arriver partout où ils ont envie d'arriver. Petit à petit sans que je m'en rende vraiment compte, sans doute parce que c'était écrit quelque part, ma vie a pris un nouveau tournant. J'avais mon cahier à dessins toujours rangé dans ma valise rouge dont toutes les pages étaient maintenant remplies et je me promenais avec une grande chemise à dessins avec des points vert, blanc et noir qui fermait avec des bandes de tissu noir qu'il fallait nouer ensemble comme on fait un nœud à son mouchoir pour ne rien oublier. Tous ces souvenirs de mon enfance voyageaient maintenant partout avec moi et à mesure que le temps passait, j'en mettais de nouveaux de côté dans la grande chemise à dessin. J'avais d'abord intégré l'école des beaux-arts et puis mon travail avait été reconnu, j'avais commencé à exposer mes œuvres dans des galeries et je voyageais partout dans le monde. Maintenant j'observais le monde de l'œil d'un artiste tout à fait comme Alfred Hitchcock regardait les choses et les êtres qui le traversait et peut-être que ma maman à moi c'était cette petite fille d'autrefois qui finalement m'a appris à tout regarder, à tout voir, à tout comprendre et à tout sentir des gens et des choses qui m'entouraient, cette petite fille de 10 ans qui maintenant en avait 38 ans. J'étais tout simplement née d'elle. Quand j'ai choisi mon père, c'était à l'époque où j'étais inscrite à l'école des beaux-arts. J'avais lu un article à la bibliothèque de l'université qui expliquait pourquoi Vincent Van Gogh s'était coupé une oreille. La grande Clara m'avait raconté un jour que les papas et les mamans avaient plus de chance d'adopter un enfant quand il était différent, que c'était plus facile pour eux de réussir dans leur démarche dans ce cas. Maintenant que je n'étais plus une enfant, je savais que je pouvais adopter qui je voulais pour être mon père. Je l'ai donc adopté lui, c'était évident que je pouvais le faire puisque la grosse dame ne l'aurait jamais choisi vu qu'il n'était pas un bébé et qu'il avait une oreille coupée. Elle aimait la perfection et moi la perfection, je la déteste, ce qui est vraiment beau n'est jamais parfait. Alors j'ai su que c'était lui le père que j'avais toujours cherché pour être capable de m'aimer et de me comprendre car dans mon esprit, lui aussi avait été un enfant orphelin, peut-être pas de père et de mère mais sûrement d'une fille qui ait ressemblé et qui lui ait tout le temps manqué, cette fille que je suis devenue à cause de lui. Un chemin inverse du mien mais les deux se rejoignent finalement quelque part. Un père est toujours un Maître. Vincent Van Gogh est naturellement devenu mon Maître. J'ai reconnu en lui quelque chose de ma folie habituelle, il la partageait avec moi. Je me suis aussi sentie inspirée par ses couleurs et ses lumières dansantes dans mon esprit qui changeaient tout en une merveilleuse fête, même l'obscurité, même la peur, même la solitude, même le sentiment d'abandon. Tout pareil, on était pareil et surtout tout était là réuni en lui et en moi pour reproduire à l'infini la préciosité du bonheur. On ne réalise pas toutes les ressources qui sont cachées en soi et je pense que la grande Clara ne sait toujours rien du tout. Elle n'a pas de pitié pour le malheur, elle ne comprend pas la souffrance des autres, elle est convaincue par ses certitudes, elle n'a ni conscience du monde ni empathie pour les autres. Chaque fois que j'appuie fort sur mon crayon noir ou sur mon tube de peinture c'est de l'espoir à barbouiller qui coule sur le papier, c'est tout l'espoir qu'il y avait en la petite fille que j'étais à l'orphelinat et qui coule dans ce monde-ci où j'ai la famille dont j'avais rêvé, où chaque jour maintenant est un jour de fête par la force que j'ai à l'intérieur, grâce à elle et grâce à mon père. Je peins des soleils, des arbres, des mésanges, des flaques d'eau sous la pluie, des nuages et de grands escaliers en pierre, qui me permettent de franchir tous les obstacles avec mes chiens pour être libre et fière. Voilà pourquoi je n'ai rien à envier aux petites filles qui ont eu la chance d'avoir une grand-mère. Moi aussi j'en avais une dans mes rêves qui me faisait des clafoutis aux cerises et je me régalais à chaque fois que je m'endormais pour aller la voir.