Le casse du siècle

tonymila

Je suis assis sur le coffre majestueux qui renferme ma future liberté. Fini ces interminables journées pour quelques euros de l'heure, à supporter le dictat quelques automates ennuyeux. Polo et Ernesto « l'espagnol », sortent de leurs sacs une perceuse et un tournevis, et après quelques minutes, le graal s'ouvre enfin, annonçant ma délivrance prochaine. Ils le vident de ses entrailles et moi… je guette tout en savourant un futur prometteur. Le rictus ne me quitte plus et s'accentue à mesure que l'éviscération progresse.

Subitement, l'alarme se déclenche, crachant un son strident qui transforme mon rictus en une grimace informe. Je hurle :

- « Mec, ils vont débarquer, il faut bouger rapidement ».

J'attrape ma bouteille de gin du coffre éventré et j'avale sèchement deux gorgées. En plaçant la bouteille dans ma poche, mon œil remarque l'itinéraire de quelques gouttes qui ont préféré laisser une trace plutôt que d'être consommées.

- « J'ai bientôt fini, laisse moi de l'espace. » balance Ernesto.

L'alarme se fait de plus en plus forte et me broie littéralement le crâne.

Je crie de nouveau :

- « Un type comme moi en prison… Ça s'appelle comment ? Putain je n'ai pas quitté une servitude pour en rejoindre une autre. N'importe quel détenu me torturera pour devenir célèbre ».

Je sors de mon portefeuille la photo d'Orli : « Ne t'inquiète pas, dans tous les cas, on se retrouvera toi et moi ! ».

Je lance à Polo et Ernesto leurs tenues de cavale : à chacun de son bleu de travail et

son sac à gravats rempli de nectar.

Polo nous mène vers la sortie de secours. A l'alarme de la banque, s'ajoutent à présent les sirènes nerveuses de la police qui deviennent de plus en plus précises.

Une fois sortis, nous nous dirigeons comme prévu vers un utilitaire garé à quelques minutes à pied. Ernesto « l'espagnol » prend le volant, alors que Polo s'installe sur le siège passager, me laissant la banquette arrière. Deux types comme eux, jamais je n'aurais pensé les rencontrer…

Après avoir roulé plus d'une demi-heure sur des routes chaotiques, je demande :

- « Où on va là? Lâche moi ici Ernesto faut que j'aille rejoindre Orli avant ce soir… »

Il se fout apparemment de mon intervention continuant à fredonner « que viva espana ». Je réitère et il appuie sur l'accélérateur frôlant dangereusement le précipice en criant « y la vida tiene otro sabor y espana es la mejor ».

C'est désagréable de se voir risquer sa vie après tout ça, à cause d'un autre... Ernesto accélère et au tour de Polo de paniquer :

- « T'es chiant « l'espingouin », c'est bon t'as eu ton content ? On va pas passer la nuit, le jour à cavaler ».

Soudainement, le vrombissement violent du moteur remplace le chantonnement d'Ernesto qui se tourne vers moi et me fixe en souriant.

Je débouchonne la bouteille de gin et j'inspire fortement, peut-être pour la dernière fois le parfum accablant de ma liberté. Comme ces quelques gouttes restées sur la bouteille, j'aurais voulu aussi ne pas être consommé comme les autres et laisser mon empreinte quelque part.

Mais, « l'espagnol », toujours tourné vers moi, se dirige manifestement vers le ravin et nous chuchote en souriant :

- « Arrêtez de pleurnicher, ne vous en faites pas, on se pose ici ».

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