Le cauchemar d'Antoine Chapitre 3

Alain Le Clerc

Un indice

 Le mercure indique -30 Celsius au centre-ville de Montréal. La ville est presque déserte par ce froid sibérien. Antoine déambule comme un mort vivant. Il replace sa tuque en laine pour cacher ses oreilles rougies et traverse la rue St-Laurent pour entrer au Montréal Pool Room, un célèbre restaurant de fast food qui attire les résidents et les touristes. Le caissier le dévisage. 

- Vous n'êtes pas le père de Julie ? La fille qui a été enlevée par le malade ?

- Geneviève. 

- Vous l'avez retrouvée ? 

Antoine hoche la tête et commande la spécialité graisseuse du menu : une assiette de ''poutine'' : une rangée de frites avec un amoncellement de fromage cheddar en ''crottes''. Le tout baigné dans une sauce brunâtre chaude et salée. Il paye en vitesse et n'entend pas le caissier qui lui souhaite une agréable soirée. 

Antoine croise un couple de jeunes amoureux qui rigolent en courant vers un taxi stationné. Il est contrarié par la violence de leur joie de vivre.. . Depuis la disparition de sa fille, le jeune homme fonctionne sur le pilote automatique. La neige a tissé un voile blanc sur les gratte-ciels et les trottoirs. Quelque chose le suit. Le jeune homme accélère le pas. Ses bottes font craquer la neige et la glace.. Du coin de l'œil il a vu une ombre se déplacer en vitesse et se perdre dans une ruelle. 

Un amas de neige bloque l'entrée de la maison de ville. Antoine lance un juron en poussant avec son épaule sur la porte. Un monticule de neige se déverse dans le portique. Antoine dépose sa poutine tiède sur le muret, enlève ses bottes et lance son manteau et sa tuque sur un fauteuil déjà encombré. Autour, le silence. Pas de fillette qui court lui montrer un dessin coloré ni de conjointe qui l'accueille avec un sourire coquin. Le vide. 

Il allume la télé machinalement. Du coin de l'œil, il aperçoit une ombre noire qui se déplace de la cuisine vers la chambre de sa fille. Son cœur s'affole. L'ombre disparaît. Antoine allume les lumières du passage. Il avance lentement. Il cherche l'interrupteur à tâtons. Quelque chose est la, tout près. Il ouvre la lumière et sursaute quand le petit chat grassouillet saute du lit de l'adolescente et miaule en se frottant sur la jambe d'Antoine. 

- Zoé ! 

Le chaton le regarde et sort de la chambre en se frottant sur le cadre de porte. Une photo de famille trône sur la table de chevet rosée. Un souvenir d'une autre époque. La photo a été prise il y a un siècle, juste avant le chaos. Il s'assoit sur le bord du lit.

- Papa ? 

Antoine est pris de panique. La voix claire et enjouée est celle de Geneviève. Elle semble provenir du salon. 

Il se lève et fait tomber le cadre photo qui se fracasse au sol. 

- Geneviève, souris ! 

Cette fois c'est la voix de sa conjointe. 

- Geneviève ? Suzie ? demande le jeune homme. 

Il avance lentement. Le salon est désert. L'écran plat projette l'image souriante de sa fille disparue. Un texte qui défile en bas d'image : Disparition, le mystère plane toujours. L'adolescente disparaît de l'écran pour être remplacée par un journaliste avec un air vaguement catastrophé. 

- Il y a deux ans aujourd'hui, disparaissait à Montréal Geneviève Coté, une adolescente du quartier sud. La police soupçonne toujours l'implication du ''Boucher de Montréal'' dans cette étrange disparition. En conférence de presse, le directeur de la police a déclaré aujourd'hui que ...

Le commentateur annonce le topo en fronçant les sourcils. Antoine est cloué devant l'écran. 

- Plusieurs enquêteurs ont travaillé d'arrache-pied sur l'enquête criminelle de la disparition de Geneviève Coté depuis deux ans. Notre investigation n'a malheureusement pas permis de retrouver Mlle Coté. L'enquête sera dorénavant prise en charge par la sûreté du Québec. Si vous possédez des renseignements concernant cet enlèvement, veuillez contacter la sûreté au ...

Une photo de Geneviève apparaît en gros plan avec un numéro de téléphone an bas de l'écran. Une pub de bière vient couper la morosité du topo journalistique. Antoine retourne dans la chambre de sa fille. Il se penche pour ramasser les morceaux de verre, le cadre et la photo. Une pochette est collée sous la table de chevet rosée. Il avance la main. Le téléphone sonne et Antoine se cogne le dessus de tête sous la table. 

- Tabarnak ! 

Il décroche le combiné. L'afficheur indique un numéro privé. Il se frotte la tête. 

- Oui ? 

- Antoine. Ça recommence. 

Il y a plus d'un an qu'il avait entendu cette voix. Ils s'étaient quittés et mutuellement évités, pour faire leur deuil chacun à leur façon. 

- Ça va ? 

Question stupide. 

- Ils recommencent. Le nouvel enquêteur-chef de la sûreté du Québec rouvre l'enquête et pose beaucoup de questions sur toi. 

L'affection était toujours évidente, juste sous la surface.

- Sois prudent, je crois qu'il te considère comme un suspect. Il m'a dit qu'il t'appellerait cette semaine. Un vrai bulldog.

Ils avaient vécu une situation semblable dès la disparition de leur fille . Les enquêteurs avaient interrogé Antoine sans vergogne, les parents et les proches étant -bien sûr- identifiés comme les premiers suspects lors d'une disparition. 

- Tu me manques Suzie. 

Silence. 

- C'est trop difficile. Laisse-moi encore du temps. 

Elle s'était expatriée à Vancouver, à l'autre bout du Canada. Loin de l'explosion médiatique qui avait suivi la disparition.

- OK. 

Exténué, Antoine décrocha la pochette sous la table de chevet, ramassa la poutine froide sur le muret et s'écrasa sur le fauteuil devant le téléviseur. Il engloutit son repas et s'assoupit avant d'ouvrir la mystérieuse pochette. 

L'escalier familier le conduit directement au palier du bas. L'inconnu est toujours assis sur la chaise, la tête vers le bas. Antoine s'approche malgré lui. La tête de l'inconnu se met vaciller puis à bouger de droite à gauche à une vitesse inhumaine. Le visage se fixe et l'inconnu regarde Antoine dans les yeux. 

- Ta fille est avec nous ! 

Sa bouche s'ouvre et des milliers d'araignées en sortent et se dispersent dans la pièce sombre. Antoine sent la présence de la chose qui l'observe. Elle est juste derrière lui et semble attirer les araignées. 

- J'ai trouvé la pochette. Dis Antoine. 

Les araignées s'enfuient et l'inconnu sur la chaise se lève et plante son visage haineux dans celui d'Antoine. Il affiche un sourire carnassier. 

- Quand on joue avec le feu, on se brûle ! 

Des flammes entourent les deux hommes. La chose reste derrière en ricanant. L'inconnu brûle en gardant son sourire dément. La chose tape sur l'épaule d'Antoine. Il se réveille en sursaut. 

Zoé lèche les restants de la poutine qui est tombée au sol. Il prend la pochette et en retire un manuscrit et une petite clef USB.

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