Le Cercle des pierres

Jean Talabot

Chapitre I

Ier jour.
Logiquement le 29 septembre 2015.
1er cercle des pierres.

Je me suis réveillé tout seul.
Dans un désert, un immense désert violet, je me suis réveillé tout nu, et tout seul.
La nuit était pleine, et les étoiles brillaient très fort dans le ciel. Bien que nu, je n'avais pas froid. Même le sol rocailleux était tiède.

Je n'avais aucune idée de l'endroit où j'étais.

Qui j'étais ?
Al Gardener, un étudiant américain venu passer six mois à Paris chez un correspondant.
J'étudiais la musique dans une prestigieuse école pas très loin de Chicago, dans le Michigan. Guitariste de formation, j'aspirais à devenir un grand. Pas une star, un agitateur de foule, non ; je me voyais plutôt comme un conteur de l'ombre, une sorte de « prophète ». Pourquoi pas dirigeant d'une secte, tiens ? Non, il faut bien avouer que je jouais beaucoup avec cette image de poète maudit, glorifiant les Morrison, Slick, Barrett and co. Mais si j'avais un seul rêve, c'était bien celui-là : être un créateur -pas une icône- un voyant, un homme de feu.

Le second était d'aller un jour à Paris. Comme beaucoup de jeunes de mon âge, j'adorais l'image que l'on avait de Paris, mais avec quelque chose de plus que cela. Tous les grands artistes américains étaient passés dans la ville lumière, c'était pour moi comme un voyage initiatique obligatoire. Et puis je comptais bien parfaire mon français, jouer dans les panio-bars de Montmartre et tomber amoureux d'une européenne. C'est un peu cliché, mais j'aime les clichés.

Ce soir-là, c'était ma dernière soirée en France, et on avait fêté ça avec Jean, le type qui m'hébergeait. Mon séjour ne s'était pas déroulé comme je l'avais imaginé, mais je connaissais maintenant un paquet d'insultes en français... Déçu de quitter cette ville plus grise que sur les photos, mais heureux de rentrer prochainement chez moi, je me sentais un peu mal à l'aise.
Pour me faire plaisir, mon colocataire m'avait emmené dans plusieurs petits pubs anglophones, dans le quartier de Pigalle. On y avait rapidement rencontré un groupe d'étudiantes irlandaises avec qui nous avons passé la soirée.

Puis la perspective de mon départ prit le dessus et je devins morose. Je me retrouvais tout seul au bar, devant un fond de bière tiède. Le zing était collant, le sol était collant. Holly était collante. « Viens fumer une cigarette dehors, Al, tu me parleras de ce que tu as visité à Paris ! » Ah oui, elle était moche aussi.
« Vas-y, je te rejoints... » Je finis mon verre qui n'avait guère plus le goût de bière et observais mes amis français se trémousser sur de la mauvaise musique pop. Je me rendis aux toilettes, dont les murs étaient parsemés de vignettes des groupes de rock qui avaient du se produire ici. L'une d'elle présentait les Purple Strangers, avec comme logo un quartier de lune violet dans un ciel orange. Une fois ma braguette remontée, je partis commander un autre verre, en essayant soigneusement d'éviter Holly.


Jean est rentré vers 2h du matin, sous le bras de Rosaly, tout en lui baragouinant de son mauvais anglais qu'il lui ferait visiter Paris une fois la nuit passée.
Un peu fatigué, et appréhendant les préparatifs de départ du lendemain, je décidais de faire de même et de prendre un taxi.

Je grimpe dans une Peugeot qui remonte tranquillement l'avenue de St Ouen. 4,10€ - 5,30€ - 6€ affiche le cadran... Parfait, je n'en aurait pas pour trop cher, me dis-je en voyant se dessiner plus loin la rue de mon correspondant. Le chauffeur ne pipait pas un mot, et c'était mieux ainsi.
Mon regard se perd un instant par la fenêtre pour admirer « Paris la nuit ». Les réverbères et enseignes lumineuses éclairaient ce quartier que je n'aimais pas tant que ça. Un clochard endormi dans un abris-bus, des stores métalliques taggés, un ciel en lambeaux, sans avenir...


Paris la nuit c'est quand même beaucoup moins enchanteur dans le 18ème, mais...

Voilà, c'est mon dernier souvenir. Quoique ce soit, ça a du être très doux, parce que la seule chose dont je me souvienne, c'est de cette pensée. La coupure dans mes souvenirs a été très nette, mais pas brutale. Du moins je ne le crois pas. Je n'étais pas trop ivre, je ne crois pas avoir eu de perte de conscience, ou de malaise. Cela aurait été bien trop simple...

Je me retrouvais juste autre part. Mon premier réflexe a été d'inspecter mon corps. Aucune contusion ou hématome, aucun mal de dos ou courbatures. Je n'avais même pas une légère gueule de bois, qui aurait été la logique rançon des quatre pintes ingurgitées au Corcoran's.
Mon second réflexe a été de prendre conscience de ma situation. J'étais au beau milieu d'un désert de sable et de roche, qui n'offrait aucun signe de vie ou de construction humaine à la ronde, à poil, en pleine nuit. Sans souvenir de m'être endormi, ni de m'être réveillé.

Mon cœur a commencé à battre très, très vite, je n'arrivais plus à respirer, je me forçais à tousser, mon cœur s'est accéléré de façon croissante, jusqu'au point où j'ai cru qu'il allait exploser.
Au moment où j'ai eu l'absolu certitude que j'allais mourir dans la seconde, le muscle s'est calmé brutalement et j'ai pu inspiré violemment. Soulagé, mais dégoulinant de peur, je me suis dit un peu honteux que je venais de faire une simple crise de panique.
Pour me rassurer, et calmer mon cœur que je sentais de nouveau trépidant, je me mis à marmonner les paroles d'une chanson. Je ne sais même plus laquelle.

You shout in your sleep
Perhaps the price is just too steep
Is your conscience at rest
If once put to the test

You awake with a start
To just the beating of your heart
Just one man beneath the sky

Just two ears just two eyes.

J'ai cherché toutes les raisons à ma situation. Est-ce que ça pouvait être une plaisanterie ? Jean qui me drogue et me balance dans un no'man's land en plein sud de la France ? Pas très drôle. Et puis, quand on fait ce genre de blague, on est sûr de pouvoir retrouver la personne. Mais là, rien à perte de vue. Etais-ce un rêve ? Oh oui ! Lueur d'espoir ! Mais pour plein de petites sensations impossibles à exprimer, j'ai du me résoudre à croire que je vivais bel et bien -si je puis dire- dans le monde réel.

Puis j'ai commencé à penser, et c'est vraiment incroyable d'en arriver à un tel raisonnement, que j'étais mort.

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