Le cerisier
Pierre De Gerville
Ce sont les premiers jours d'Avril : le vieux cerisier décharné s'est couvert de fleurs comme une jeune mariée. Ses branches torturées sont ornées de bouquets blancs et moussus. Ils se détachent, au dessus de moi, dans le ciel parfaitement bleu. Il parait que pour qu'un arbre donne beaucoup, il faut qu'il souffre. Mon cerisier a tout enduré : le froid, la chaleur, les hommes surtout. On l'a mutilé et tailladé encore et maintenant il se tient tout tordu face à moi et pointe ses ramifications calleuses comme autant de doigts accusateurs. Je n'y suis pour rien, moi – je l'ai trouvé comme ça, dans le jardin abandonné. Je suis étendu dans ma chaise longue. Il ne fait pas encore trop chaud. Le soleil est là, pourtant : je me demande si je dois déjà mettre de la crème solaire. Ca compte, le soleil d'Avril ? C'est toujours comme ça, les premiers jours d'Avril. On hésite entre le pull et le T-shirt. Ce n'est pas vraiment l'été et plus du tout l'hiver. Juste une trêve pour que la vie reprenne.
Le vieux cerisier a des fourmis dans les racines, à force de rester planté là. Elles gravissent le tronc en colonne et montent à l'assaut des bourgeons. Chaque hiver, je crois que le vieux cerisier a rendu l'âme. Il renait toujours, pourtant, et toujours un peu plus bossu et voûté sous le poids de la récolte. Les fleurs de printemps, ça ne dure pas. Ce sont des instantanés. Elles ont la beauté de l'éphémère. Avant la fin de la semaine, elles s'envoleront au mistral avec les premiers jours d'Avril, et le vieux cerisier se couvrira de feuilles.