Le champ de luzerne

Vincent Vigneron

pasteur sur la route 66

je regarde les touristes franchir des états

s'émerveillant devant les fleurs à tisane

une femme passe par là

elle se penche pour cueillir

les petites hanches calcifiées encore pleines d'odeurs

qui poussent sur le bord de la route

je ne sais pas très bien si elle préfère les fleurs

à l'acte gratuit de cueillir

mais je dirais qu'aux fleurs en elles-mêmes

l'acte gratuit de cueillir a sa préférence

je le vois à ses gestes

elle n'en fera pas sachets pour les lingères

elle ne gardera rien de cet éphémère

ma voiture avance vers les béliers

quelque chose sous les roues est écrasé

inévitablement retourne au chaos

comme les paires de cornes en désordre

dans le paysage

monsieur votre klaxon m'indispose

elle me dit

je conduis mes bêtes ainsi loin des clôtures

je lui dis

un ange passe entre nous

ou peut-être la quatrième incarnation d'un dieu fatigué

sans langue ni matière

je n'embrasse personne et personne ne m'embrasse

je me dis à moi-même

au passage des mariés de retour du Nevada

toutes sirènes hurlantes

soufflent sa fanfare sur le silence des fleurs

qu'elle se penche pour cueillir inévitablement

elle porte une chemise supplémentaire

malgré la chaleur

ses fleurs ont un bassin dans les pans repliés

je ne sais pas s'il est heure décente

pour faire bouillir le thé

je lui dis

mais j'habite à côté

et nous pourrions le partager ensemble

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