Le cheminot humaniste
Pascal Coquet
Les causeries de Marcel Dugambier, le cheminot humaniste.
(Ou la platitude du néant car comme le philosophe, il revendique pour l'humain une parcelle d'éternité qui transcende le néant, notion toute relative s’il en est. Isn’t It?)
I-Rencontre d'un autre type
Il était une fois un jour de marché dans la rue du Poteau. Comme toujours en cette occasion c’est la ruée des ménagères : Animation, cohue, la foule se précipite sur les étals débordants de victuailles, bousculades, les commerçants criards, les camelots, la confusion, les démonstrateurs à qui on achète un truc inutile qui ne fonctionnera jamais, les joueurs de Bonto … Bref c’est jour de marché.
Mais notre propos n’est pas là. Notre objet, c’est la rencontre inaccoutumée entre un jeune étudiant et un vieil homme.
Ce dernier ne manque certes pas d’allure avec sa grande blouse de maquignon, son écharpe rouge, son large béret, portant à son bras un cabas hors d’âge d’où dépassent des feuilles de poireaux, laitues et quelques essentielles bouteilles de rouge. Pour compléter le tableau on notera la baguette de pain.
L’étudiant s’approche de lui devant l’étal d’un charcutier. Regardant le vieil homme avec une insistance que l’on pourrait juger déplacée, il est frappé par la rugosité, la dureté de ses traits qui trahissent certainement un passé mouvementé ainsi qu’une fermeté, une énergie à toute épreuve. Toutefois et simultanément, un examen plus approfondi de son visage trahit une bonhomie accorte et il se dégage indéniablement une douceur ineffable ainsi qu’une sereine impassibilité, comme si le temps n’avait plus aucun pouvoir sur le vieil homme, comme si plus rien ne pouvait l’atteindre.
Sans aucun doute avait-il atteint une plénitude, la sagesse que d’ailleurs l’on pouvait lire dans le fond de ses yeux.
Marcel, puisque tel est son nom, n’est pas homme à se lier avec le premier quidam venu, toutefois l’universitaire a le verbe facile et la verve haute, il connait son affaire, fait montre de pédagogie… Prétextant une thèse à caractère social il insiste auprès de Marcel et promet même de lui faire sa biographie.
Le vieil homme, enjoué par cette perspective innovante pour lui, avec la promesse de joutes verbales enflammées attisées par un souffle de curiosité, prend l’étudiant en amitié et accepte qu’il vienne régulièrement dans son modeste logis de la rue du Mont Cenis afin d’y tenir quelques conversations.
Dès la première entrevue, après avoir gravi les six étages, l’universitaire s’intéresse beaucoup aux propos pour le moins déjantés, désuets et vains de Marcel. En effet Dugambier se prend au jeu, le voici enthousiaste et, sous le regard perplexe de l’étudiant, il se laisse aller à une certaine éloquence face à un vieux magnétophone antédiluvien.
Et ce furent les prémices d’une grande complicité.
Pascal Coquet, le huit juillet de l’an de grâce 2012