Le Chien

Camille Agard

Elle est l'inverse d'un chien. Alors, je l'appelle le Chien.

Elle est l'inverse d'un chien. Alors je l'appelle le chien.
Indomptable.
D'un coup elle s'en va, et vous laisse là avec la poésie qu'elle vous vendait l'instant d'avant.
Et d'un coup je me souviens d'elle. Elle a cette coccinelle sur la joue qui a fait son nid à la bonne place. Des grands morceaux de velours au dessus de ses yeux. Une bouche qui rigole et qui crie après une heure de silence. Des cheveux en laine bouillie profonde qui viennent asseoir chacun de ses caractères; La coccinelle, les sourcils, la bouche.

Elle doit longtemps réfléchir à ce qu'elle met sur ses épaules, parce qu'elle ne porte comme personne ce n'importe quoi magnifique : rouge, brillant et velouté.
Elle tisse un monde compliqué et simple qu'elle range dans une petite boîte en métal. Si on approche sa main pour l'ouvrir, elle claque vos doigts en rigolant. On rigole aussi d'un air gêné, déçu de ne pas connaître l'histoire.

Soudain, elle est triste et dépassée et je pleure. J'ai envie d'aller dans ma boîte à moi et qu'elle redevienne un chien excité. Je ne sais pas pourquoi certaines âmes des fois me remuent le cœur. Je n'ai rien demandé. Je ne connais même pas ce chien-là.
Je n'ai pas séché mes larmes, qu'elle se pose déjà sur mon épaule, en caniche léger. Elle glousse comme un enfant parce que la vie est drôle. La vie est hyper drôle. De toutes façons, son gloussement est communicatif, alors je glousse aussi.

Comme son histoire n'appartient qu'à elle, elle en invente pleins d'autres. Ça parle de civilisations amoureuses, régies par des codes aussi absurdes que les nôtres. Elle trace des carrés mous pour les ranger dedans. Elle doivent s'y sentir bien : je voudrais vivre dans un carré mou du chien, moi aussi.
Je voudrais qu'elle me mange crue, qu'elle trempe mes bras dans du miel pimenté si elle veut, et qu'ainsi j'aille dans sa boîte en métal. Je rirai dedans pour voir s'il y a de l'écho. Je rencontrerai ses peuples rêvés et je leur ferai savoir qu'ils ont de la chance d'avoir une reine comme le chien.

Le chien réfléchit trop et elle a du mal à aboutir des constructions, parce qu'elle les voudrait toujours idéales. Quand elle s'en rend compte, elle se montre du doigt et dit «je suis vraiment trop con». J'adore quand les gens ne comprennent pas leur propre comportement, alors ce passage me fait toujours rire. Après, par réaction, elle se rend efficace pour toutes les choses qui me paraissent si difficiles à faire. Organiser les troupeaux, leur donner des indications, les sauver.

Le chien une fois m'a tiré par les seins pour m'écarter d'une voiture qui reculait sur mes pieds. Ce qui m'a plu dans ce geste, c'est qu'il semblait commandé par quelque chose au dessus d'elle. Arrache-lui la poitrine s'il faut, mais sauve-la. Je me foutais éperdument de mes pieds, et je me suis vue ramenée vers une petite réalité qui m'a fait rire.
Elle a cette franchise qui ne me vexe jamais, qui me rend même gratifiante.

J'espère qu'elle continuera toujours à me dire Tagueuletudessinescommeunchien.

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