Le cimetière des âmes perdues

Florence Garel

GAREL Florence

       LE CIMETIERE DES AMES PERDUES


                   

               Marc se tenait accroupi devant la tombe. Son regard fixait le vague. Les derniers mots qu’il venait de prononcer résonnaient encore. Un silence étrange régnait aux alentours. Un vent léger soufflait. Une pierre tombale se dressait devant lui. C’était celle de Julie, son épouse, morte en 1996 dans un accident de voiture. Une larme roula sur la joue de Marc. Il serrait entre ses doigts le bouquet de tulipes qu’il avait acheté.  D’un air absent il caressa la pierre tombale. Sa main s’attarda sur le nom inscrit.  « Tu me manque tant », cria Marc à l’intérieur de lui.

           Il avait toujours détesté les cimetières. Même s’il venait tous les ans comme pour commémorer un anniversaire, il se sentait toujours aussi mal-à-l’aise. Une angoisse sourde lui tordit l’estomac. Il oublia pendant quelques minutes la souffrance qui le rongeait depuis la mort de Julie. Marc ferma les yeux. Il n’avait rien à craindre. Toutes ses peurs n’étaient dues qu’au fruit de son imagination. Il regarda une dernière fois la pierre tombale. Il déposa le bouquet dans l’herbe et se leva pour partir.

           Regardant autours de lui, Marc s’aperçut que le cimetière était presque désert. Il aperçut une femme recueillie devant une tombe et qui semblait murmurer une prière. Sentant son regard sur elle, la femme tourna la tête vers lui. Marc sentit son sang se glacer.  Pendant une fraction de seconde, il vit le visage de Julie. Elle détourna ses yeux de lui. Se passant la main sur le front, il essaya d’oublier la sensation qui l’avait presque foudroyé.

Marc tourna les talons et s’en alla. Soudain, la douleur fut si forte qu’elle manqua le faire chanceler. Les souvenirs revinrent plus vivants que jamais. Il vit clairement l’accident et le corps de Julie projeté en avant comme un pantin désarticulé. Marc se maudissait pour être vivant. Il tenait le volant et se trouvait à coté d’elle. Il avait commencé à somnoler. Tout allait bien.

C’était les hurlements de Julie qui l’en avaient tiré. Trop tard. Tout s’était accéléré. Le trou noir ensuite et le réveil à l’hôpital. Marc baissa les yeux et pleura. Il se dépêcha ensuite de sortir du cimetière. Il poussa le vieux portail noir tout rouillé et s’en alla presque en courant. Il s’arrêta deux rues plus loin. La crise était passée. Il alla jusqu’à l’arrête de bus. Il avait arrêté de conduire quelques semaines après la mort de Julie. Il n’arrivait pas à savoir ce qui avait été le pire à ce moment-là.

   Marc avait eu plusieurs nuits blanches. Il se retournait dans son lit, se demandant pourquoi il était vivant et pas Julie. Marc secoua la tête. Il y pensait trop. Un homme tourna la tête vers lui et le regarda de manière étrange. Marc l’ignora. Deux autres personnes attendaient avec lui. Marc n’avait pas envie de rentrer chez lui. Le bus arriva quelques minutes plus tard. Le bus se remit n marche et Marc le sui vit des yeux. Il alla s’asseoir sur un banc.

Autrefois, il prenait rarement le bus. Il préférait sa voiture. Marc se leva et préféra marcher. Il avait envie de rester seul. Soudain, ses yeux s’agrandirent de stupeur. « Julie », murmura-t-il. Une silhouette pouvant être le sosie de Julie sur le trottoir d’en face. Marc aurait reconnu ce visage-là n’importe où. « Julie, c’est toi ? » Elle ne bougea pas se contentant de le regarder. Un sourire éclairait son visage.

Marc fut incapable dé détourner les yeux. Soudain, une femme tenant un enfant par la main passa devant Julie et l’enleva des yeux de Marc. Une colère folle le prit. Il eut envie  de courir vers cette femme et de lui hurler de se pousser puis de l’étrangler de ses mains. Lorsque la femme fut passée, Julie avait disparu. Marc rentra chez lui dans un état très agité.  Il fit tout son possible pour se replonger dans son quotidien. Jusqu’au soir qui lui réserva une étrange surprise. Marc était en train de se préparer à aller dormir. Il ferma toutes les fenêtres. Voulant fermer celle de sa chambre, il jeta un œil dehors. Julie était en bas et le regardait, les yeux levés vers la fenêtre.

Essayant de l’oublier, Marc ferma la fenêtre et alla éteindre la lumière pour se coucher. Il rêva. Il était dans un labyrinthe. Il vit autours de lui plusieurs issues possibles. Marc en prit une et la suivit. Il ne savait pas où il allait ni pourquoi il était là. « Marc », entendit-il. « Marc ». C’était Julie. Marc l’appela à son tour. Il avança droit devant lui. Il faisait sombre. Il heurta quelque chose devant lui. Un mur sans doute. « Julie ! Julie ! Où es-tu ? » La voix continua de l’appeler. Marc prit le premier chemin à gauche. « Julie ! Julie ! » Mais seul le silence lui répondit. Il se cogna l’épaule contre un mur. Il tourna à droite. « Mais qu’est-ce que je fais-là ? » se demanda-t-il.

Marc n’entendit pas sa voix. Il était devenu muet. Une étrange lumière brilla soudain, éclairant tout le labyrinthe. Marc s’en approcha. « Julie ? », s’exclama-t-il. Une silhouette de femme se dessina devant lui. Marc avança vers elle. La femme lui tournait le dos. Marc fit encore quelques pas vers elle.  Il y a quelque chose qui cloche.  Marc en eut le pressentiment. Il tendit la main vers la femme pour la toucher.  Elle se retourna et Marc hurla.

Une vision d‘horreur et de cauchemar apparut sous ses yeux. La femme avait le visage couvert de blessures et de sang qui coulait  le long de sa gorge et sur sa poitrine. Elle n’avait plus rien d’humain. Son crâne était brisée et des rigoles de sang coulaient, se mélangeant à celles de ses arcades sourcilières éclatées. Le nez  ensanglanté et les lèvres pendantes rendaient ce visage ravagé  effrayant. Le reste de son corps n’était plus qu’un magma de sang et de chairs à vif, de muscles en charpie et d’os brisés.

Marc ouvrit la bouche. « Mon dieu. Mon dieu. » Ce furent les seuls mots qui vinrent à ses lèvres. Il se détourna pour s’enfuir. Mais seule une partie de lui y parvint. Son corps était paralysé. Soudain deux mains couvertes de sang se dressèrent. Elles passèrent autours du cou de Marc et serrèrent pour l’étrangler. Marc sentit la douleur. « Ce n’est pas réel, ce n’est pas réel ». Ces mots coururent et résonnèrent sur les murs du labyrinthe. Marc  s’aperçut soudain qu’il était seul. Quelque chose était différent. Les murs bougeaient et s’avancèrent tous vers lui. Marc porta soudain la main à sa gorge et vit qu’il saignait. Il se sentit faible et s’effondra.

En hurlant, Marc se redressa sur son lit couvert de sueur. « Ce n’est pas réel ! » Son corps entier tremblait et son cœur battait la chamade. Marc regarda autours  de lui. Il était dans sa chambre. Il venait de faire le pire cauchemar de sa vie. Il se leva et alla prendre un verre d’eau. Il descendit les escaliers. Les marches craquèrent sous ses pas. Marc alla dans la cuisine. Il prit un verre propre et ouvrit le robinet. Il laissa y l’eau couler. Il prit le verre à moitié plein et le posa sur la table. Puis, il se tourna vers l’évier.

Marc faillit pousser un cri. L’eau était rouge. Marc voulut éteindre le robinet. L’eau ensanglantée coula à flot et se répandit dans l’évier en un liquide visqueux et épais. Marc s’arrêta de tourner le robinet et regarda fasciné le liquide rouge continuer de couler. Soudain, il cligna des yeux. L’eau redevint transparente. Marc se frotta les yeux. Il but son verre d’eau d’une traite et retourna se coucher en quatrième vitesse. Il dormit paisiblement jusqu’au matin et ne fit pas d’autres cauchemars.

Une certitude le prit lorsqu’il se réveilla. Il était dix heures du matin. Marc savait qu’il retournerait au cimetière le matin même. Cette perspective ne l’enchanta pas. Il aurait préféré rester toute la matinée assis dans son canapé à regarder la télévision. Il prit son petit-déjeuner. A travers la fenêtre, le soleil entrait, éclairant le carrelage. Marc laissa son esprit errer. Il se souvint de cet endroit à une autre époque.

Julie était assise en face de lui. Elle le regardait en souriant. Marc tenait sa main dans la sienne. Ils mangeaient des tartines de pain grillé à la confiture de tomates vertes. C’était celle qu préférait Julie. Ils parlaient et riaient. Ils prenaient leur temps et savourait ce moment de joie. Ils avaient toute la journée devant eux. Marc se leva et vint vers lui pour l’embrasser. Ils débarrassèrent la table puis montèrent ensemble en se tenant par la main.

Marc fut bouche bée. Il venait de voir cette scène comme s’il avait vraiment été là avec Julie. Mécaniquement, il refit les mêmes gestes. Soudain, il sentit la présence de Julie comme si elle se tenait dans la même pièce que lui. Marc sentit son cœur se serrer. Il repensa au dernier matin qu’ils avaient partagé ensemble. Il se revit en train de l’enlacer et de l’embrasser pour lui souhaiter une bonne journée. « Je viendrais te chercher ce midi pour qu’on aille au restaurant. » Il revit son sourire qui l’avait toujours rendu fou amoureux d’elle.

Ils s’étaient embrassés sur le pas de la porte. Mars était parti au travail le premier. Il s’était retourné vers elle pour la regarder. Soudain, il avait senti une angoisse sourde lui bloquer la gorge. Mais il n’avait rien montré et avait souri. Puis après un dernier signe de la main, il était parti.

Marc ferma les yeux et sentit les larmes monter. Il n’allait pas pleurer tout seul dans sa cuisine. Il se calma. Puis il fit la vaisselle, rangea et tout. Il prit une douce et s’habilla. Un demi-heure après, il était devant le grand portail noir du  cimetière. Il prit son courage à deux mains et entra. Le même malaise qu’auparavant le prit. Il avança jusqu’à la tombe de Julie. Il connaissait le chemin par cœur. Il aurait pu y aller les yeux fermés. « Me voici. Qu’est-ce que tu veux de moi ? », Demanda-t-il à Julie lorsqu’il fut devant la pierre tombale.

Il pensa que c’était Julie qui l’avait fait venir jusque là. Il s’attendit à ce que qu’elle se matérialise devant lui. Mais rien de tel n’arriva. « Vous devez trouver cela vous –même » ; lui dit une voix qui lui hérissa les cheveux. Se retournant, Marc vit une vieille femme qui le fixait. « Regardez dans votre cœur, Marc ». Il l’observa avec méfiance. « Qui êtes-vous ? Comment connaissez-vous mon nom ? ». Un sourire hideux s’étira sur le visage ridé de la vieille femme. « Mon nom ne te dirait rien. Je sais qui tu es car j’ai veillé sur Julie et je connais les secrets de son âme».

  Marc ne comprit rien à ce qu’elle venait de lui dire. « D’accord. Mais ça ne me dit pas ce que je fais là. » Elle eut un sourire indulgent. Marc prit alors conscience d’une chose. « C’est vous qui avez mis ce cauchemar qui me poursuit dans mon esprit. » Le visage de la vieille se transforma sous l’effet d’un rire effroyable. « Bravo, Marc. Tu es bien moins bête que je ne le pensais ». Marc sentit qu’il était en danger.

          Un éclair de défi brilla dans ses yeux. « Qu’est-ce que vous me voulez ? ». La haine enflamma le regard de la vieille. « Ta mort, Marc ». Il n’hésita pas et prit la première chose qui lui tomba sous la main : une pelle. Il la brandit devant lui pour se protéger. « Vieille harpie ! Eloigne-toi ! » Un rire monstrueux sortit de la bouche édentée de la vieille. « C’est moi qui ait tué ta Julie, Marc. Mais tu peux me remercier car tu vas bientôt la rejoindre ».

Marc leva sa pelle, prêt à l’abattre. Mais la vieille hurla de rire. « Tu crois que tu auras la force de me tuer, Marc ? » Il hésita. Erreur fatale. Une vision horrible envahit sa vue. Il comprit que c’était la vieille qui essayait de le tuer. « Je connais tous tes points faibles, Marc. » Des images cauchemardesques envahissaient son esprit. Marc tomba à genoux. « Non, ce n’est pas réel ». Le rire de la vieille résonna comme venant de très loin.  « Qu’est-ce que tu en sais, Marc ? Ca l’est plus que le sont tes rêves ». Marc serra la pelle entre ses mains.

Ses pensées revinrent vers Julie. « Qu’est-ce que vous lui avez fait ? », marmonna-t-il d’une vois pâteuse. Il se sentait très faible et avait l’impression de parler au ralenti. Marc comprit un peu tard qu’il avait été joué. La femme dans le cimetière qu’il avait vu la veille,  c’était cette maudite sorcière. La vieille riait toujours. Soudain, Marc fut prit d’une fureur incontrôlable.  Presque en transe, il se jeta sur la vieille, la pelle entre les mains. Le rire mourut dans la gorge de la vieille.

              Ses yeux s’agrandirent de surprise. Fou de rage, Marc la frappa violement avec sa pelle. Du sang gicla mais il n’y prit pas garde. Il la massacra à coups de pelle. Un gargouillement parvint à ses oreilles mais il s’en moqua. La colère le contrôla entièrement. Sa pelle était couverte de sang. Marc continua de frapper. Il ne se rendit pas  compte de se qu’il faisait. Ce fut l’odeur écoeurante qui le ramena à a réalité.

La pelle encore levée, Marc reprit doucement conscience. Le corps de la vieille gisait à ses pieds, réduit en lambeaux. Marc avait du sang sur ses mains et ses vêtements. Hagard, il recula et baissa les yeux sur le cadavre. La vieille sorcière était morte. Sa colère l’avait sauvé et Julie aussi. Marc se sentit soudain épuisé. La pelle tomba à ses pieds et il s’effondra dans l’herbe. Ses yeux se fermèrent.  Soudain, il entendit une voix. Il la reconnut et crut qu’il rêvait.

Puis, il se redressa. Julie était là à quelques mètres de lui. Marc se releva. Le corps de la vieille avait disparu. Il n’y avait plus de sang sur ses mains, ni sur ses habits. Marc regarda Julie venir vers lui. Il sut avant qu’elle n’arrive à sa hauteur que c’était réel. Pour la première fois depuis de longs mois, il sourit. Julie mit sa main dans la sienne et leva les eux vers lui. Elle l’embrassa. Marc ferma les yeux.

Il passa ses bras autours d’elle. Leurs lèvres s’écartèrent. Marc se plongea dans ses yeux.  Elle caressa sa joue. Il prit ses mains dans les siennes. « Julie » ; murmura-t-il. « Je t’aime ».  Elle sourit puis enleva ses mains des siennes et s’éloigna. Marc la regarda partir. Puis ses yeux furent attirés par une écriture sur le sol. C’était celle de Julie. « Je t’aime aussi, Marc. Sois heureux ». Il sourit et quitta le cimetière, l’âme et le cœur en paix.

   

           

 

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