Le clown et le picaro
arnaud-luphenz
Je sentais des bulles de profondeurs embrumer ma vue, quand un attroupement se forma à quelques mètres devant moi. Je ralentis mon allure puis m’arrêtai afin de contempler Ezzo, le clown. Son visage maquillé de craie n’en logeait pas moins un énorme nez rouge qui tintait comme une clochette lorsque les enfants appuyaient dessus. Ce qui ne manquait pas de se produire, à répétition. Un chapeau multicolore et des ballons-polichinelle couronnaient l’énergumène. Il avait le succès démesuré du souverain éphémère et des rondes folles. Bientôt, en plus de rire et de taper frénétiquement dans leurs mains, les spectateurs se mirent à scander son nom. Les pièces s’accumulaient dans son couvre-chef, désormais posé à ses pieds. Cliquetis incantatoire d’une espérance bénie. Il lâcha la ficelle retenant les ballons et cet envol détourna les attentions. Vers le haut. Un autre artiste ambulant était installé à proximité. Ses longs cheveux attachés et son costume sombre campaient un personnage lugubre. Un picaro. Il jonglait avec des torches enflammées à la manière d’une valse d’enfer, sans cependant rencontrer un succès comparable à l’auguste. Ses lunettes de soleil cerclées ciselaient la trempe d’un soudeur astral marquant les esprits. Enchanteur. Le regard étranger qu’il transportait sur ses épaules n’occultait en rien l’ouroboros tatoué à la base de son cou. Le dragon se mordait la queue et protégeait un pentacle de suie. Le teint souffreteux de son propriétaire se mariait avec un sourire mauvais qu’il gardait pour reprendre son souffle. La fin des temps ne paraissait pourtant pas avoir sa place dans ce monde à deux versants. A juste titre. A moins que le cataclysme prédit par les dogmes obscurs ne soit la véritable raison de la joie subite des passants et du manège insensé du serpent. D’un renouveau entre terre et mer surgi de la gueule d’un paradoxe incessant.