Le cœur navré

Luchon, Pyrénées centrales, "la Reine des Pyrénées"

Ville thermale nichée au fond d'une vallée, entre les montagnes

tourisme. Boutiques, hôtels-restaurants le long des Allées d'Étigny.

thermalisme depuis l'époque romaine (asthme, maladies respiratoires)

Le dimanche, agréable promenade. Je remonte les Allées d'Étigny, bade devant les vitrines -mode, vêtements, souvenirs, linge basque, cadis, tableaux, ...

La fin de la saison d'été est marquée par la Fête des Fleurs, défilé de chars, bataille de fleurs.

L'hiver, la ville vit grâce à la pratique du ski -lorsque la neige est au rendez-vous : téléphérique vers Superbagnères. Bel hôtel, jadis fréquenté par les touristes étrangers. Puis, des bas

Auparavant train à crémaillère qui grimpait droit vers le sommet à travers la forêt. Immense domaine skiable -Céciré,...

Aujourd'hui, point de départ pour la pratique du Deltaplane, Parapente. Ils tournoient, à la recherche des ascendants, s'élèvent dans le ciel. Ils se posent sur l'aérodrome de la ville, point vert loin en bas.

Les sportifs accrochent leurs vélos à l'extérieur des cabines du téléphérique et dévalent les sentiers à une vitesse folle.    

En basse saison, la ville entre en léthargie.

A l'extrémité des Allées d'Étigny s'étendent les bâtiments thermaux

belle colonnade ancienne, pour la promenade par temps de pluie

bâtiments modernes -vitre et métal

le jardin public, lac -pain pour les canards, les carpes gobent l'air en surface, .... Des sentiers permettent de se promener en forêt, à flanc de montagne.

La statue de l'ours en bronze, formes rondes

par Georges Lucien Guyot 1885- 1973.

Les enfants grimpent sur le dos patiné, à califourchon sur les épaules. Photos, manèges, confiseries

Sous les platanes, à proximité de la rue, le groupe sculpté en marbre de Carrare "Caïn et Abel".  1896 - par Jean-Marie Mengue (Luchon, 1855 - Biarritz, 1939). Caïn a tué Abel, recroquevillé sur le sol. Caïn, la jambe en avant, le bras plié devant les yeux. Le bras droit tendu, main aux doigts écartés.

Groupe dérangeant, dans ce lieu de villégiature.

Caïn. Deux consonnes piliers, deux voyelles otages, i tréma / drone.

Abel. Lisse.  

*

Collège -ancien séminaire en U, cour centrale, platanes. Longs couloirs sombres, parquet de bois mat, piétinement des élèves.

Estrade dans chaque salle, bureau du professeur.

La vingtaine de garçons restent ensemble, d'année en année. Blouses grises des pensionnaires. Classe sage, studieuse.

Je suis bon élève avec un côté imprévisible, foutraque. Pas de la race des aigles qui planent, souverains. Les "Prix d'Excellence" qui jadis en fin d'année, descendaient de l'estrade où siégeait le jury, les bras chargés d'une pile de livres : futurs médecins, spécialistes, chirurgiens, classes préparatoires.

des ovnis : S, pensionnaire. Poil noir, blouse grise. Crack en maths, jeu d'enfant. Ingénieur à Supélec ?

Des récitations à apprendre par cœur. Pour connaître les classiques, pour entraîner la mémoire.

... un agneau se désaltérait dans le courant d'une onde pure... un loup vint à passer, qui cherchait aventure... Si ce n'est toi, c'est donc ton frère... - "Le Loup et l'Agneau", 1668 - Jean de la Fontaine

... comme un vol de gerfauts hors du charnier natal... voient monter du fond de l'océan, des étoiles nouvelles... - "Les Conquérants", 1893 - José-Maria de Heredia

... et par un prompt renfort, nous nous vîmes trois mille en arrivant au port... - "Le Cid", 1637 - Pierre Corneille

... Rodrigue, as-tu du cœur ?... - "Le Cid"

... Frères humains qui après nous vivez, / N'ayez les cœurs contre nous endurcis, / Car, si pitié de nous pauvres avez, ... "La Ballade des pendus", 1489 - François Villon

Les uns après les autres, les élèves montent sur l'estrade et récitent la leçon. Note. Classement.

dont J-M, mère radiologue, père avoué. S'il ramène une mauvaise note à la maison, le père sort son ceinturon.

Il bégaie. Syllabe - pause - syllabe - pause. Tirade hachée menu. Il est suivi par un orthophoniste, il s'applique. En raison de sa détermination, de son courage, il est toujours classé premier en récitation.

Devenu médecin spécialiste, il est décédé jeune d'un cancer du poumon. Il ne fumait pas.

"La Légende des Siècles", 1859 - Victor Hugo

... vêtus de peaux de bêtes...

Au musée d'Orsay, un impressionnant tableau "pompier" XIXe siècle, de Ernest Meissonier (?) 1815-1891 : une horde d'hommes frustres, éperdus, désert rocailleux. Ils portent une litière.

Vérification : "Caïn", 1880 - par Piestre, dit Fernand-Anne Cormon 1845-1924. Caïn fuit avec sa famille

Caïn a tué Abel, il fuit. Il ordonne à ses hommes de creuser un puits, une sépulture au fond. Il descend, les hommes obstruent le puits. Caïn est soulagé mais

"L'œil était dans la tombe et regardait Caïn."

1873 - Paul Verlaine a écrit un poème sur Gaspard Hauser :

Je suis venu, calme orphelin,

Riche de mes seuls yeux tranquilles,

Vers les hommes des grandes villes :

Ils ne m'ont pas trouvé malin.

...

Un seul instant, Caïn, as-tu été    riche de tes seuls yeux tranquilles ?

*

Bible -"livre". La Genèse -naissance", "origine".

Caïn et Abel sont les deux fils -frères jumeaux- d'Adam -"la terre"- et Eve -"porteuse de vie".

Le début de l'humanité. Première fratrie, premier acte de violence de la Bible.

Caïn -"artisan", "ouvrier"- est agriculteur,

Abel -"souffle", "vapeur", "vanité de la vie"- est éleveur.

Ils offrent chacun leur offrande à Dieu -YHWH, "Celui qui Est". Il ne se conduit pas en bon père, soucieux d'harmonie : Il dédaigne l'offrande de Caïn (des produits du sol), accepte l'offrande d'Abel (le premier-né de son troupeau). Il provoque la confrontation.

Le visage déformé par la colère, Caïn s'emporte. Dieu réplique

"l'envie est tapie à ta porte, comme une bête qui te convoite. Domine-la."

A-t-il lu dans l'âme de Caïn, qui a décidé, prémédité la mort d'Abel ?

Bible - "Caïn parla à son frère Abel. Lorsqu'ils furent aux champs, il le tua."  

Les deux frères se sont-ils vraiment parlé ? Abel est-il allé vers Caïn, a-t-il cherché à le comprendre ? Ils sont frères, le même sang coule dans leurs veines : Abel a-t-il tendu les mains, dit à Caïn qu'il l'aimait ?

Abel -le cadet, le préféré. Caïn -le premier-né, le mal-aimé.

Lorsque deux hommes ne sont plus capables de mettre leurs différends sur la table, de s'exprimer, la violence est potentielle.

Caïn a enfreint une loi que Dieu n'a pas encore édictée, "tu ne tueras pas."

Caïn a fait preuve d'une extrême violence qui va, il le pressent, se retourner contre lui.

Dieu ne tue pas Caïn -tuer le criminel ne ramène pas la victime à la vie.

Pas la loi du Talion -réciprocité entre la peine et le crime-, œil pour œil, dent pour dent. Pas de vendetta. Il pose sur la tête de Caïn un signe de protection, précédé d'une parole de malédiction.

*

Offrir les premiers résultats de son travail :  le premier-né de son troupeau, la première partie de sa récolte.

L'offrande d'Abel est plus sincère, dictée par la foi, que celle de Caïn, qui n'offre qu'une partie quelconque de sa récolte.

L'envie, la jalousie, dévorent Caïn. Proverbes, "la jalousie est comme la carie des os".

Vivre en société signifie accepter la différence, dialoguer, ne pas recourir à la violence. Ne pas mépriser, discriminer l'autre, susciter la haine.

Relations entre les hommes, mais aussi entre les communautés, les peuples.

Des forces centrifuges travaillent à la division : la guerre est source de profit pour les marchands de canons.

Caïn a une descendance, il est le père d'une longue lignée.

Avec le temps, la violence se multiple ; la civilisation créée par Caïn, construite dans la violence, périt dans la violence.

*