Le complexe de mai

bleuelectrique

C'était si simple le temps d'antan, le temps de ma jeunesse même si je ne suis qu'une enfant.

La beauté d'un matin de fête...

Les regarder endormis, veiller sur leur ivresse, marcher sur les mégots et les cadavres de bières, danser près des lumières de l'aube et me laisser tomber contre leurs poitrines, pour mieux rêver de demain.

J'écrivais des feuilles, entre les lignes j'inscrivais ton nom, et un autre et encore un autre, aimer jusqu'à plus soif.

Imaginer la robe blanche tachée d'interdits, soulevée par nos éclats de rire, nos jeux de gosses, nos bébés assis dans l'herbe, une vie tracée dans mes fantasmes d'adolescente, une vie qui me terrifiait quelques années plus tard.

Je tapais sur le sac accroché sous le hangar, faisais saigner mes phalanges, riait jaune, pleurait dans les jupons de ma mère, et courrait autour de mon jardin pour oublier mes méfaits.

J'étais saoule et peut-être aussi un peu stone, j'étais loin de mes cours, de mes années de fac, de mes papiers d'EDF, de cette colocataire qui un jour brisa mon cœur, de ce jeune homme au nez de chat qui m'apprit à lâcher prise, et qui me chuchota en me tournant le dos « tu n'es pas une princesse, tu ne contrôles pas tout. »

Déjà je ne contrôle plus rien, juste la mesure de mes paquets de cigarette industrielles, leur marque, leur effet sur mes poumons, leur emprise sur mon quotidien.

Déjà je n'aspire plus la douce fumée d'un pétard roulé par les soins de mes frères, je ne lèche plus le miel le long de la table de la cuisine, je n'envoie plus de mots d'amour à ma meilleure amie, je ne jure que par ma mère, et je jure trop car souvent elle me reprend.

Je suis adulte mais personne ne m'a prévenue.

Les temps des nuits jaunes sont loin, ces nuits couleur pastis, ces étés à la surface de la piscine hors sol, à regarder les étoiles en écoutant les musiques à la mode, pour ne pas perdre la face lors des soirées, quand tout le monde chantait à tue tête.

Je dansais quand j'oubliais les paroles. Je me laissais aller sur le sol, le lit, le canapé, la chaise de bureau, l'évier de la salle de bains, mes potes. J'évitais le regard de cette jolie blonde dont je draguais le copain sans aucune gêne. Il faisait semblant de ne pas profiter de mes fesses qui se dandinaient trois mètres plus loin.

C'était si bon, ces années où je me torturais en mettant sur mes épaules le poids de ma famille, la dépression de ma mère, les bouteilles d'eau éclatées par mon père contre le sol du salon, la pudeur de chacun, et mon besoin de déclaration, mon besoin d'affection, mon besoin de mots.

Maintenant, je les serre contre mon cœur, oui je serre ces photos d'eux avec amour et empathie. J'apprends à pardonner tous ceux qui ne font que m'aider à grandir. 
Je dis merde à Peter Pan, je jette mes vieux carnets, je mets le feu à ceux que je ne vois plus, dans mes souvenirs. 

Mémoire sélective. A la poubelle, tout ce qui ne doit pas me rendre « heureuse », ce mot prétentieux.

Je ne dis plus que j'adore ni que j'aime, mais que j'apprécie. J'appelle EDF, j'appelle ma mère, j'appelle mes vieilles copines et j'essaie de leur donner quelque chose à se mettre sous la dent. 120 euros, un diplôme, un plan cul.

Faîtes votre choix, messieurs dames, j'ai mûri.

Je suis un fruit pourri.

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