Le Coucoucouac (petit exercice de style)

Côme Jausserand


C’était en juin 2004. Je partais pour la première fois en week-end avec Aurore. J’avais entendu dire que sa relation amoureuse battait de l’aile. J’espérais donc être seul avec elle, malheureusement elle vint accompagnée de deux de ses amis. Le premier, un grand gars, se pointa habillé en costard. C’était le genre de mec à qui on a envie de tordre le cou avant qu’il ne vous gâche le week-end. D’entrée je sentis qu’il y avait un couac. L’autre pélot devait faire dans les 130 kilos et j’appris vite que sa corpulence était à l’égal de sa couardise. On avait décidé de camper près d’une dune ; Aurore avait une tente une place tandis que je partageais celle de Stéphane, le grand et Marc l’hippopotame. J’étais dans mon couchage dés le soleil couchant. Ma mère pourra en témoigner, déjà en couche-culotte je n’étais pas un couche-tard. Donc j’étais dans ma couchette, installé couci-couça; je m’endormais à peine quand le gros fit irruption en gueulant "coucou". Quelques instants plus tard, je me retrouvai pris en sandwich entre un grand con aux coudées larges et un obèse complètement débile. C’était la première fois que je coudoyais un type aussi gras. J’observais sa peau qui brillait dans le faisceau de sa torche, vraiment, on aurait dit de la couenne. Et il n’avait pas l’intention de dormir avant de m’avoir conté deux ou trois de ses blagues préférées. Et dire que j’allais devoir partager ma couette deux nuits durant avec ce couillon. Je m ‘aperçus de l’ampleur de la tâche quand ils se mirent à ronfler de concert. Le gros faisait trembler la tente tandis que l’autre couinait comme un porcelet. J’en aurais bien pris un pour taper sur l’autre mais j’avais toujours laissé croire à Aurore que j’étais le genre de mec coulant. Pas le moment de se griller !

C’est quand je me fus enfin endormi, vers les cinq heures du matin, que la coulée de boue survint. On s’extirpa tant bien que mal de ce qui restait de la tente. C’était l’aube ; j’observais ce spectacle étrange ; Marc peinait à rejoindre une zone plus sèche, la boue reluisait sur son corps nu. A cet instant il ressemblait vraiment à un pachyderme, il avait la couleur exacte du rhinocéros d ‘Afrique. Stéphane, lui, m’engueulait pour avoir planté la tente en cet endroit. J’avalai cette couleuvre sans protester, mon regard s’arrêta sur un objet brillant au milieu de ce coulis gluant. Merde ! Mon pied à coulisse ! Je parvins à le récupérer avant qu’on ne me questionne à son sujet. D’autant plus qu’Aurore sortait à son tour de sa tente, miraculeusement épargnée. Elle était en pyjama ; elle regarda la scène cinq secondes, puis s’en alla s’asseoir sur une souche d’arbre. La journée s’annonçait comme un long couloir sans fin. Stéphane à mes côtés gesticulait sans cesse que j’étais coupable d’avoir planté la tente trop près de la dune. Coupant court à plus de reproches, je lui envoyai mon poing en travers la gueule. A ma grande joie cela agit comme un coupe-circuit. Il resta planté là l’air hagard pendant trente secondes tandis que Marc fouillait frénétiquement la boue à la recherche de son traditionnel coupe-faim du matin. Stéphane s’en alla s’asseoir à côté d’Aurore. Avec son détachement habituel elle s’affairait sur ses pieds à l’aide d’un coupe-ongles ; elle ne me fit aucun reproche. Stéphane avait du mal à reprendre ses esprits, son visage semblait couperosé. Il faisait encore frais ; Aurore se leva, alla vers sa tente, en sortit un coupe-vent qu’elle mit sur les épaules de Stéphane. Ce geste de compassion m’énerva passablement. Passe encore qu’elle refuse de quitter son mec, mais si elle devait oublier son couple le temps d’un week-end, ce serait pour moi ; merde alors ! J’avais pris mon coupon d’attente depuis plus de 8 ans.

Je préférais encore le spectacle offert par Marc. Il avait fini par trouver une boite de cassoulet. Je le voyais venir, il s’entailla la main avec la boite, une bonne coupure du pouce à l’auriculaire. Je commençais à me demander si je n’étais pas dans une pièce de théâtre jouée par Aurore. Mazette ! Quelle représentation ! Côté jardin le bouffon du roi s’approchant d’un peu trop près de ma princesse, côté cour le roi des cons en personne hurlant "au secours" à la vue de son sang se répandant sur le sol. Comme de bien entendu, le courage n’était pas sa première qualité ; il partit en courant pour finir les quatre fers en l’air dans un fossé aussi profond que boueux. Là Aurore mis de côté sa nonchalance habituelle pour se porter au secours de son ami. Les lois de la pesanteur n’étaient pas en sa faveur ; elle m’appela vite à l’aide. J’étais courbaturé et pas trop chaud pour faire des efforts. J’y allais en traînant les pieds. Après ça j’aurais peut-être droit à quelques courbettes. Je fus immédiatement récompensé pour ma peine. Aurore était penchée au bord du trou. Elle portait généralement des vêtements amples qui masquaient la beauté de son corps. Là elle se retrouvait en pyjama et qui plus est, détrempée. J’observais la courbure de son corps, elle me rendait fou. En temps ordinaire je n’étais pas très coureur mais elle vraiment… A côté d’elle les filles que j’avais côtoyées ressemblaient à des courges. Aurore s’aperçut vite que je reluquais son cul au lieu de l’aider. Elle me lança un regard noir qui signifiait "tu peux toujours courir". On parvint finalement à sortir le gros sac de son trou. Pour couronner le tout, cela me valut un bon tour de rein. Il était 6 heures et j’étais plus crevé qu’un chien dans une chasse à courre. Je regardais Aurore qui soignait Marc. Je repensais à tout ce courrier auquel elle n’avait jamais répondu. Finalement je me demandais si elle n’avait pas un certain courroux à mon égard. J’étais entré sans crier gare dans le cours de sa vie, elle qui n’avait rien demandé. J’avais eu 31 ans le 22 mars et elle avait une fois de plus oublié mon anniversaire. Et je me retrouvais là à faire la course avec deux demeurés pour savoir lequel de nous trois lui volerait un baiser. Je savais bien qu’elle ne quitterait sûrement pas son Jules, mais au moins, des trois mecs présents à ses côtés, n’étais-je pas le plus séduisant. Je parvenais même à en douter, après tout je n’étais qu’un simple coursier après avoir traîné mes guêtres pendant six ans chez Mc D. Mes ambitions cinématographiques avaient tourné au vinaigre ; je n’avais même pas vendu un court-métrage. Et financièrement je ne pouvais pas rivaliser avec Stéphane, lui qui se disait expert en courtage ; il devait être plein aux as. J’essayais alors de me convaincre de ma supériorité physique, mais à bien y réfléchir j’étais courtaud et lui grand et élancé. Ah oui ! Décidément il avait ses chances avec Aurore, il me fallait absolument court-circuiter cette éventualité. Je décidai d’utiliser mon arme favorite : le dénigrement. Je grimpai sur la dune. Arrivé en haut je regardai au loin la mer. J’inspirai une bonne bouffée d’air pur et je hurlai à pleins poumons "COURTIER MON CUL !". En contrebas Aurore leva la tête vers moi. Elle ne dit rien mais n’en pensa pas moins. Elle se tourna vers Stéphane qui reprenait ses esprits. D’où j’étais je n’entendais pas ce qu’ils se disaient mais ils semblaient soudainement très complices. Ah oui c’était un beau parleur ! Un courtisan courtois ! Faux derch ! En plus je l’avais vu court-vêtu dans la tente, il était plutôt bien balancé. Ah c’était couru d’avance ! Elle finirait le week-end dans ses bras. Moi je pataugeais dans la semoule, pour ne pas dire dans le couscous. J’étais l’éternel cousin ou copain mais question sexe, TINTIN ! Ma sœur avait raison. Tant que je mettrais un coussin pour conduire j’aurais du mal à séduire les filles. Et puis mes plans drague étaient cousus de fil blanc.

J’enfonçai machinalement ma main dans ma poche pour me gratter discrètement les couilles. J’y sentis un objet long et dur que je sortis à la lumière du jour. J’avais acheté, soit disant à prix coûtant, un couteau à un coutelier peu scrupuleux. Sûr qu’il ne valait pas la moitié du prix auquel je l’avais payé. Me faire arnaquer ça aussi j’étais coutumier du fait. J’avais bien les boules. Je descendis la dune le couteau à la main en direction du grand con qui s’était pointé la veille habillé avec ses fringues de haute couture. Lui il nous cherchait vraiment, moi et mon survêtement Adidas année modèle 89. Si je lui faisais une bonne entaille il serait moins fier avec le visage couturé. J’arrivai en bas de la dune, Aurore leva la tête vers moi. Je m’arrêtai et rangeai mon couteau dans ma poche. Je m’approchai ensuite d’Aurore et de la baleine. Je m ‘enquis de son état physique avec un ton qui sonnait bien l’hypocrisie. J’en profitai pour mater d’un peu plus près les nibards d’Aurore. Je me sentai ragaillardi. J’avais aperçu la veille un joli couvent non loin de là ; si j’allais violer une none ou deux ? J’en étais à ces pensées salaces quand je reçus un grand choc sur la tête. Ce traître de Stéphane m’avait attaqué avec le couvercle de ma propre casserole à cassoulet. Je tombai face contre terre. Ensuite tout devint merveilleux, le ciel n’était plus couvert, j’étais étendu sur une couverture de pétales de fleurs ; le soleil réchauffait mon corps, j’étais bien, comme un nouveau-né dans une couveuse. Une main caressait ma tête, Aurore était là, penchée sur moi. Elle portait dans les cheveux un foulard en guise de couvre chef, elle était magnifique, plus belle que la plus belle des cover-girls. Elle me regardait dans les yeux, ses lèvres s’approchaient peu à peu des miennes.

C’est à cet instant que je revins à moi sous un déluge de flotte. Parvenant à m’asseoir je cherchai Aurore autour de moi. Je l’aperçus assise dans la voiture roulant une pelle à Stéphane. La pluie redoubla d’intensité. La vie c’est vraiment trop de bonheur. I’m a poor lonesome cow-boy.

Fin

PS: en vérité je suis cloué au lit à cause d’une coxalgie ; mon patron (un vrai coyote celui là) m’a forcé à poser tous mes CP. Alors ? C’est qui le roi des cons ? CQFD !

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