Le cours de la vie

Ciré Ndjim

La vie est périlleusement suspendue à un sourire, amer, sucré, salé, désordonné, invisible, supportable, insupportable, malicieux, narcissique, moqueur, insultant . Elle dégage toutes les odeurs, toutes les couleurs de l'expérience humaine. Elle est sincère dans le vrai sens du terme. Elle est aussi très sensible. Rien qu'une infime égratignure, elle pourrait s'écrouler. Tout est possibilité pour qu'elle se foute en l'air. Je vis un humour sacré. Quand je pense que dans ma vie je ne fais que m'ennuyer maladroitement, je me rend enfin compte de la conséquence de toutes ces occasions à saisir pour me sentir en pleine forme. Je remerciais la main invisible, le ciel, sans ne rien attendre en retour. Vivre en une forme mécanique, sans s'ennuyer, sans peines, sans sentiment, sans pulsions, sans se croire le nombril de toutes les aspirations mondaines, sans goût ni dégout, ce mécanisme me dépasse. Ce n'est pas qu'une catastrophe. C'est une espèce d'hallucination sans aucun air amusant. C'est vrai. C'est pire que de la disgrâce. Comment mesurer la grandeur de l'aisance si on a jamais fait face à la décadence? L'apocalypse dont parle tout le monde est un indice qui prouve qu'il faut profiter de la vie. Qu'il faut s'éclater étant jeune sinon ce sera la catastrophe inévitable à la vieillesse. Je n'y crois pas moi. L'expérience mise en situation peut en déceler la vérité. Demander à un ex-mourant ce que ça fait d'avoir été sous le fouet d'un voyage inévitable. Parlant sans ambages, il aura un ton exagéré, sur ses sensations, bonheur effréné pour lui. Il dira que la santé est chose cruciale pour sortir de la torpeur du temps qui agonise à pas de loup.

Ma piaule sent mon humeur sacrée, divine, mystérieuse, compliquée, adéquate, ennuyeuse, erronée, simple, simplifiée, fastidieuse, exquise, significative, sobre, mélodieuse, infernale, acrobatique, merdique, soumise, désinvolte; comme la nature à nos représentations prend diverse formes de vie, de manifestations, sentiments, sensations, visions, imaginations, hallucinations.

Je me sens vachement bien ici. Un peu de tout qui traine. Toutes ces choses qui m'épient sont à moi. Elles ont un goût spécial, exclusivement déposé à ma porte par le bon Dieu. Je ne me sens pas seul, pas du tout. J'ai tout ce qu'il faut pour ne pas me faire de la bile. Ce n'est pas vrai. Je trempe dans la solitude quand je perds le contrôle. N'exagérons quand même pas. Ma bonne humeur, les photos de ma mère, celles de ma chère grand-mère, des cadeaux de mes frères , les traits cassés des soirées de folie avec mes amis, les cris chevauchés de charmantes jeunes filles qui y grimpèrent en souriant. Tout ceci convient à mon humeur d'aujourd'hui, à preuve qu'à l'instant même je me fais plaisir, toujours les effleurant du regard, passant la paume de mes mains par dessus, à les admirer avec folie, avec démesure à sombrer dans des souvenirs merveilleux. Je les reverrai toutes nues tous les jours, comme aux premières fois. Il faut vivre les jours et les nuits avec créativité.

Aujourd'hui, toutes ces couleurs maussades, un matin sans soleil, un ciel qui déborde de larmes inévitables, me rendent ivres. Je suis empli d'une paresse délicate. Il n'y a rien à faire. Je poétise un peu comme de routine. Des évasions en des endroits dont on est l'unique artiste à connaître ce qui se trame. Ça a un prix. J'aime beaucoup faire de la poésie. De plus, je pense que vivre rime avec poésie. Mon appât du gain c'est quand je sens le besoin de me pourrir la vie. Mes entrailles, je les creuse et enfonce dedans des vers aux musicalités invraisemblables, au risque de dénigrer l'horreur de ma nature. A la fin, ça n'était point du délire. ça me faisait du bien. Du délire adoucissant. J'étais rassuré. Je faisais des progrès aussi moindres qu'ils puissent être. Je lisais beaucoup et habituellement, quand je sonnais le glas de la lecture d'une œuvre, je jouais un autre personnage en plus du mien, un personnage qui cherche midi à quatorze heures. Oui. J'ai toujours cherché midi à quatorze heures. J'ai l'assurance que la contradiction en soi-même est notre première source de vérité. Ce n'est pas du doute; c'est de la pure contradiction. Contredis-toi toi-même avant de contredire les autres! Néanmoins, pour cela, il faut être une molécule de personnages, en plus d'être une particule fine, ce qu'on appelle communément atome.

S'il y a une chose dont j'ai la profonde certitude, c'est ceci que tout est expression pour confiner le bonheur, ce souffle qui n'est pourtant qu'une simple idée, un sentiment du bien. Ce n'est pas dans la logique de faire feu de tout bois pour arriver à ses fins: la fin ne se justifie pas toujours par les mêmes moyens. Le malheur est une chose illusoire, une invention, une fausse excuse, il n'y en a pas, il n'y en a pas, un point c'est tout. Tout comme la douleur, ce n'est qu'une impression. Nous ne souffrons pas, nous n'avons jamais souffert, ce sont des balivernes. ça n'existe pas la douleur. Nous en avons juste un sentiment. Je ne crois pas toujours forcément au sentiment. C'est mon avis en tout cas.

Des heures et des heures passèrent avant que je ne me rende compte que je rêvais. Je ne dormais plus pendant que j'avais les yeux cousus. Puis Je me suis réveillé en sursaut. Je n'ai jamais autant paniqué. C'était ma vie en péril. Pendant que je dormais, j'entendais les cris de colère de mes voisins. C'est de routine et je m'y suis habitué pour cette raison. Je me sentais concerné auparavant. Je n'ai pas cherché à savoir qui ni à comprendre pourquoi, puisque cela ne me regarde pas. Plus maintenant. Une raison s'y cachait. Mais raisonnable, je ne sais point du tout. C'est leur problème. Je devais aller à l'école pour veiller sur les enfants lors de leur recréation. Ce sont mes nouveaux protégés. Mes amis.

Ma journée commença par une chaleur abominable, mal fichue, parce que j'arriverai en retard à l'établissement. Je suis descendu à toute allure au rez de chaussée. J'ai ensuite enfourché mon vélo, puis j'ai disparu dans le brouillard de mes chemins familiers. Quand je franchis le seuil de l'école, j'eus l'amabilité de m'excuser de mon léger retard à l'accueil. On eut en retour l'amabilité de me comprendre. Je ferai attention, cela ne se reproduira plus. Je me dirigeai vers la cantine pour l'entracte, l'heure où on mange en famille, mes collègues et moi. Mon ventre bouillonnait d'envie de mordre les plats de ces dames. Je me lavais d'abord les mains avant de me diriger vers Antoinette la serveuse. Tout d'un coup j'ai pensé aux enfants. C'est comme ça, c'est tout à fait normal. Ce qui est naturel mais pour l'instant ils sont en classe avec leurs maitresses. Ils viendront plus tard avant le gémissement harmonieux de la cloche qui appelait tout l'établissement à la pause pour le repas et les discussions interminables entre copains et copines. Mes collègues sont là, deux jeunes de mon âge, et trois autres plus âgés, tous très compatibles avec moi. Nous avons discuté, ri. Certains se taquinaient entre eux. Les discussions nouées tournaient autour des dernières manifestations qui ont eu lieu au centre-ville. Moi, je ne m'y intéressais pas trop. Je faisais la figure d'un mauvais citoyen, un égoïste en quelque sorte.

Il est 12heures. Les classes sont désertes et les maitresses viennent de déverser des masses de petits enfants devant le hall de la cantine. Certains sont dans la cour, d'autre dans le préau. Les copains se sont rejoints dans leur milieu naturel où ils ont le droit de crier, de rire à gorge déployée. Ils ont tous faim. Il n' y a pas de doute. En dépit de cela, ils ont des oreilles. Ils crient sans relâche comme les chiens de chasse. Ils seront libres pendant deux heures. Ils sont tous là à présent. Je les regarde, les admire. Ils sont adorables les enfants.

J'ai terminé ma journée. En somme, j'ai fait pareil qu'hier. Seulement aujourd'hui ils n'ont pas été généreux à mon égard. Je me demande pourquoi. C'est sans raison aucune. C'est sans importance. Ils sont foncièrement criards. Me vexer, c'est ce qu'il y a de plus abominable qu'on puisse penser chez un enfant, venant de moi. Certains ont été pénibles. Il est certain que c'est dans leur sang de se comporter ainsi comme le font les gens majeurs au concert. Ils sont comme la musique. J'ai crié plusieurs fois pour qu'ils cessent de faire du chahut, et je ne voulais pas leur faire peur. A quoi bon d'intimider quelqu'un puisse qu'on est là parce qu'ils comptent pour nous, parce que c'est grâce à eux qu'ont perçoit un gagne-pain à la fin de chaque moi? Rien ne m'étonne dans leurs gestes. Ils ont la bouche tactile et les jambes très curieuses. C'est grâce à ces petits que je me nourris comme je le souhaite. C'est grâce à eux que je connais mes collègues. C'est grâce à eux que je suis fier de moi.

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