Le Crabe
Guillaume Creton
Je vous l'avais bien dit que j'avais mal au ventre. Ça faisait des semaines et des semaines que ce mal me rongeait de l’intérieur mais personne ne voulait m’écouter. Je me tordais de douleur tous les jours, je rampais pour me déplacer, je vomissais tous mes repas, j'étais fiévreux... J'ai demandé mille fois à mes parents de m'amener en urgences. Mais c’était comme demander à un sourd atteint de cécité de me passer le sel. « Ce ne doit pas être très grave » me dit mon père. « Une crise de foie un peu plus forte que les autres » répliqua ma mère. Après un énième malaise mes parents décidèrent de m'emmener à l'hôpital. Des dizaines d'examens ont précédés ces six longues heures d’attente et la sanction est tombée : le cancer. Ce crabe aux pinces d'acier lacérait mon abdomen de l'intérieur. Une tumeur maligne gangrenait mon foie et il me fallait une greffe d'urgence. Greffe qui me sauvera sûrement mais qui comportait de forts risques pour le donneur. Regards apeurés de ma famille. Qui se dévouerait ? Après quelques larmes et une heure de pourparler, c'est l'instinct maternel qui fut le plus fort et le lendemain j'étais dans le bloc opératoire, prêt à subir cette si redoutée transplantation hépatique. La perfusion dans le bras, je sentais l'agitation des anesthésistes, des chirurgiens et des infirmières autour de moi. La froideur du stéthoscope, la pression du tensiomètre, les montagnes sur l'oscilloscope, le mal devient mon maître. Stop. Une goutte de sueur perlait le long de ma tempe. La douleur et la peur me tordait le ventre. Inquiet, je demandais alors au praticien : « Comment s'est passé l'opération sur ma mère ? Pas de complications ? »
Sans un regard, le médecin remplit l'acte de décès et me ferme les yeux. Rideau.