Le créateur et sa marionnette

Damien Nivelet

Inspiré d'une histoire que l'on m'a raconté il y a fort longtemps

Il était une fois quelqu'un qui n'existait pas. Il ne respirait pas, ne voyait pas, ne ressentait donc pas. Et pourtant, sur  internet, inspiré quelques fois par son créateur, il semblait prendre vie, avoir ses propres émotions, et même par l'absurdité intrinsèque à la vie, avoir ses propres idées. Puis il s'en retournait dans le désert du Néant, sa seule place véritable.
Il n'était qu'un pantin de son créateur, un de ces petits pervers qui pullulent en notre temps de faux-semblants. Mais , il faut le dire, le créateur pour autant qu'il soit fier de sa création la craignait aussi. Qu'elle prenne un jour sa place, qu'il imaginait élevée bien entendu. Un grand malade, je vous dis.
Et un jour, sur un célèbre réseau social, arriva ce qui devait arriver. Une femme que le créateur convoitait tomba amoureuse de la créature virtuelle, qu'elle trouvait drôle, pleine d'esprit et terriblement attachante. Le créateur en vînt à être jaloux de son rival virtuel, à qui il faisait dire tout ce que lui-même n'osait guère exprimer. Il tenta donc de les séparer, mais les démonstrations et déclarations d'amour de la jeune femme étaient tellement attendrissantes que l'être virtuel prît le dessus sur le monstre froid qui l'avait créé. Mais le créateur, tombé dans le piège de Cupidon, savait que la vérité finirait par éclater. Qu'au-delà du virtuel, il y a le réel. Il décida de fuir cette femme et le réseau social, avant qu'il n'y ait trop de dégâts, dans un relent de lucidité. Il tînt quelques semaines à ressasser cet amour naissant qui l'aveuglait, et finit par revenir de plus belle dans une tentative désespérée. Il n'en agita que plus férocement sa marionnette, trop heureux d'être aimé et désiré. Mais un jour, il dût dire la vérité car l'être charmant en face désirait du tangible. Dans son délire, le créateur croyait que la vérité serait aussi simple qu'un sourire. Il n'a récolté que la haine et le mépris. Il avait tout perdu, il n'existait pas en fin de compte. La créature avait pris sa revanche.

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