Le crime ne paye pas

Antoine Berthe

                                                          Le crime ne paye pas

            Une fois devant la Maison du crime, il lâcha un grognement d’irritation.

            Il était encore là à le narguer, claquant au vent tel un drapeau symbolisant sa situation dans l’échelle sociale.

            Tout en bas vu qu’on mesurait en fric.

Ce n’était qu’un misérable petit morceau de cire rouge scellant la boîte aux lettres, mais comme hier et les jours précédents, le sceau apposé par la police l’empêchait de glisser son prospectus dans la fente.

« Z’ont vraiment rien d’autre à foutre que d’emmerder le rmiste moyen avec leurs conneries. Par contre, quand y s’agit de poursuivre ces pourris de politiques, là y’a plus personne », pensa-t-il, amèrement.

Imprimé en relief, la Marianne le regardait d’un air goguenard.

« Fumiers de juge », jura-t-il.

Cela ne pouvait pas durer.

            Il n’allait pas perdre 12 centimes par jours ad vitam aeternam.

            12 centimes.

            La somme que lui versait l’autre enfoiré pour chaque publicité sur papier glacé qu’il enfournait dans la gueule du consommateur déjà gavé.

            Des promotions sur le PQ et les sprays senteur fruits exotiques.

            Des rabais sur le foie gras reconstitué et le pinard en packs.

            Des ristournes sur les cassettes pornos et les posters d’idiots.

            Pas à chier, aujourd’hui, scellé ou pas scellé, il le rentrerait son prospectus dans la boîte. Pas question de paumer encore une fois le dixième du prix d’une clope. Tout ça parce qu’un abruti avait zigouillé l’un des ses contemporains dans une baraque de son secteur.

            Il posa sur le sol le sac contenant les précieuses brochures et sortit son couteau suisse de sa poche. Il déplia la plus petite lame de couteau et s’approcha de la porte.

            Bon, il ne s’agissait pas non plus de faire n’importe quoi. Sûr que ces crétins ne rigolaient pas avec l’intégrité physique de leur cachet. Il tenta de glisser la lamelle de métal à la périphérie du sceau et de faire levier proprement. Il commençait à peine à exercer une petite poussée que la cire se fendillait déjà, menaçant de se répandre à ses pieds.

Mais quand même, il parvenait déjà à le décoller un peu.

            A genoux sur le bitume, il travaillait avec minutie, creusant le bois de la porte pour attaquer le décalcomanie par derrière. De la sueur perlait à sa lèvre supérieure et il la léchait du bout de la langue. Putain, il n’allait quand même pas se laisser emmerder par un petit tampon de rien du tout !

            Encore un petit effort.

            Pas de précipitation.

            Voilàààà

            A y’est.

            Le scellé pendait maintenant au bout de son fil de cuivre et l’accès à la boîte aux lettres était libéré.

            Il se redressa et fit un pas pour attraper son sac.

Il sourit largement en entendant le divin "poc" que fit la pub en tombant sur le carrelage de l’autre côté.

            Et maintenant, il n’y avait plus qu’à faire une petite réparation de fortune.

            Il s’alluma une cigarette et l’approcha du dos du sceau. Lorsque la cire commença à grésiller, il l’appliqua prestement à son emplacement initial en appuyant pour que ça colle bien.

            Merde, il s’était brûlé. Sûr qu’il allait avoir une cloque sur le pouce !

            Dans les journaux, ils avaient raconté que l’autre avait cramé le macchabée dans le garage de la maison avec du white-spirit et qu’il s’était roussi les cheveux et les sourcils dans la bataille. Forcément, pour clamer son innocence après qu’on ait retrouvé les restes carbonisés, ça n’avait pas été très crédible.

            Mais lui on ne le choperait pas.

            Ils n’y verraient que du feu.

Pour sa prochaine tournée, il viendrait avec l’une des bougies du gâteau d’anniversaire du petit pour faire le travail plus proprement.

            Une belle bougie rouge avec des stries blanches qui sifflait "happy birthday" quand on l’allumait.

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