Le départ
Alexandra Bitouzet
Ils sont partis le 31, sans penser à arracher la dernière page du calendrier. Ils sont partis le 31 et ils avaient encore tant à faire, les mois prochains, entre les rendez-vous de juin et les anniversaires, jusqu'à septembre, cumulés. Ils sont partis, tout content, vraiment, de pouvoir enfin et sans rien dire à personne, partir puis revenir demain, le mois prochain. Ils n'ont mis dans le coffre que de quoi se changer au petit matin plus un maillot propre, pour chacun. Maman a glissé dans son sac un litre de lait pour le petit-déjeuner et quelques bières pour leur soirée. Les enfants vont rater l'école, ils étaient sacrément contents. Sacrement contents, ça oui ! Pour une fois que maman dit oui ! Ils ont bu leur café, vite fait, ils étaient tous tellement tellement pressés d'enfin se casser ! Ils n'ont pensé à rien. Ni à donner des croquettes au chat. Ni à laver les tasses du petit-déjeuner. La petite, a-t'elle tiré la chasse d'eau ? Ont-ils posté le chèque pour le règlement de la cantine ? Enclenchés le bouton du répondeur ? As-tu fermé le gaz ? Ma Chérie, ça fait dix fois que je te le répète, on n'a pas le gaz ! Ils roulent depuis vingt-six minutes, ils ne sont pas si loin de la maison. Elle cogite. Elle est certaine d'avoir oublié quelque chose. C'est toujours comme ça quand on part un peu trop vite. On voudrait sans cesse revenir sur ses pas et retarder ses départs. Ils sont partis le 31, ils pensaient revenir demain. Ils n'avaient pensé à rien. Pas même à arracher la page du calendrier. C'est à cause de maman, elle disait que ça portait malheur de vouloir avancer le temps et qu'à chaque jour suffit sa peine. Ils sont partis le 31 sans penser que demain peut-être n'existera pas.