Le Dernier Brûleur d'Étoiles : ch. 3

Sophie Val Piguel

Livre 1 - La Voix du Mirage, Chapitre 3

En milieu d'après-midi, je décidai de sortir de l'orphelinat. Je passai devant le secrétariat et dis à Annie, la dame qui était de service et que j'aimais bien :

– Je vais voir Marina.

Elle hocha la tête en signe d'approbation et je quittai l'orphelinat, prenant la direction de l'hôpital. Il y avait plus d'un an que Marina était là-bas. Elle était atteinte d'une maladie des poumons que les médecins n'arrivaient pas à soigner. Lorsqu'ils l'avaient emmenée en disant qu'elle pourrait rentrer à l'orphelinat au bout de quelques semaines, j'avais eu un vague espoir qu'elle s'en sortirait et que tout redeviendrait comme avant.
Mais au bout de quatre mois, j'avais fini par comprendre qu'elle ne reviendrait jamais. Ces dernières semaines, son état n'avait fait qu'empirer, et même si je ne le lui montrais pas, j'avais très peur pour elle.

Marina était la seule personne qui m'ait vraiment aimé et avec qui j'avais créé un lien solide. Elle n'avait que treize ans mais je la considérais comme ma sœur, ma meilleure amie, ma confidente. Elle avait toujours été là quand j'avais besoin, nous nous étions toujours très bien entendus, et j'avais très mal vécu son départ. Je m'efforçais d'aller la voir au moins une fois par jour, mais c'était différent. Même à l'orphelinat, nous ne nous étions jamais imaginés être séparés. Quand nous étions plus jeunes, nous espérions même être adoptés tous les deux par la même famille. Mais la maladie avait balayé tous nos espoirs.

Quand j'entrai dans l'hôpital, la personne à l'accueil me lança un sourire triste. Malgré la chaleur du mois de juin, je frissonnai. Je montai au premier étage et me dirigeai vers la chambre cent quarante-huit. Je frappai et entrai.
Marina était allongée sur ses couvertures, un masque à oxygène sur le visage, branchée à toutes sortes de machines plus complexes les unes que les autres. Lorsqu'elle me vit approcher, elle retira son masque.

– Gwenvael ! s'exclama-t-elle faiblement. Bon anniversaire !

– Tu es la première à me le souhaiter, dis-je en m'asseyant sur son lit et en lui caressant les cheveux.

Elle sourit et plongea son regard dans le mien. Je savais qu'elle avait toujours été fascinée par mes yeux, alors que je ne leur trouvais rien de spécial. Ils étaient vert clair, et elle me disait souvent qu'ils lui faisaient penser à ceux des chats. Pour nous qui adorions cet animal, c'était un vrai compliment.

– Tu n'as pas l'air d'aller très bien, remarqua-t-elle. Tu es préoccupé ?

– Un peu, répondis-je. Mais ce n'est pas très important. Et toi, comment te sens-tu ?

– S'il te plaît, dis-moi tout... Je m'ennuie tellement ici !

– Oh, ce n'est vraiment rien. J'ai juste fait un cauchemar cette nuit.

– Un cauchemar ?

– Oui. J'ai rêvé que j'étais dans une sorte de prison. Mais je ne voyais pas vraiment les barreaux. C'était comme si un film défilait devant mes yeux ; j'étais prisonnier, et en même temps, je me trouvais dans une forêt, traqué par des créatures abominables. Tout à coup, j'ai vu des monstres attraper un chat blanc qui avait des ailes et le torturer. Je voulais le sauver mais je n'y arrivais pas, et je ressentais exactement sa souffrance et sa détresse, comme si j'étais à sa place. Les monstres ne voulaient pas le tuer mais lui faire avouer quelque chose, et je sais que ses souffrances étaient terribles.

Elle resta pensive et passa la main dans mes longs cheveux. Elle et moi, nous avions exactement les mêmes : des cheveux blonds virant sur le châtain clair, bouclés, qui nous arrivaient un peu en dessous des épaules. Hormis les yeux, nous nous ressemblions tellement qu'il n'était pas rare que les gens nous prennent pour des frère et sœur.

– Il y a autre chose, poursuivis-je, voyant qu'elle gardait le silence. Tout à l'heure, Jeremy a dessiné un chat et un homme qui étaient séparés et qui souffraient. Et son chat avait des ailes, comme le mien. Pourtant, je suis sûr de n'avoir pas mentionné ce détail ; j'ai juste adapté l'histoire pour les enfants.

– Je ne sais pas, avoua-t-elle après réflexion. Jeremy est étrange. Des fois, j'ai l'impression qu'il vient d'une autre planète, qu'il sait des choses que nous ignorons et qui sont importantes. Il...

Elle s'interrompit et plaqua son masque à oxygène sur son visage.

– Attends, je vais chercher quelqu'un, m'écriai-je, alarmé.

Mais avant que je n'aie pu me lever, elle me retint par le bras.

– Non, ça va aller, murmura-t-elle. Ça va aller. Ce n'est pas la peine. Ça m'arrive de plus en plus souvent.

Je lui pris la main. Jamais je ne l'avais vue aussi faible et aussi pâle. Et pourtant, elle me souriait toujours.

– Il ne faudra pas que tu sois triste, d'accord ? chuchota-t-elle.

Je la regardai sans comprendre.
Ou plutôt, sans vouloir comprendre.

– Il vont te soigner, dis-je d'une voix ferme, plus pour me rassurer moi-même. Ils vont y arriver...

Nous échangeâmes un long regard. Nous savions tous les deux que j'avais tort. Marina était condamnée, en phase terminale. Elle ne verrait pas la fin de l'été, et cela malgré tous les traitements, opérations et interventions qu'elle subissait.

Nous ne parlâmes plus ni de mon rêve, ni de son état de santé, nous contentant de discuter de tout et de rien, de refaire le monde. Lorsque je la quittai ce soir-là, j'avais le cœur lourd. Marina était la personne la plus courageuse que je connaissais. Elle souffrait terriblement, mais jamais je ne l'avais entendue se plaindre. Elle avait toujours le sourire, même dans cette situation désespérée. Elle me manquait terriblement à l'orphelinat. Mais elle était aussi ma raison de continuer à vivre pour deux.

À suivre...

Signaler ce texte