Le dernier contrat de Jack

mno

Histoire noire et même pas drôle #7

          C'est toujours comme ça quand on se dit qu'on fait quelque chose pour la dernière fois, soit on n'y croit pas vraiment et on se dit qu'après tout on pourrait bosser encore une fois ou deux si l'occasion se représente, soit on le sent profondément dans ses tripes et on se dit qu'on aurait déjà du arrêter depuis longtemps, que le précédent boulot, c'est celui-là qui aurait du être le dernier. On a peur que ça se passe mal, que tout foire… On se dit que se serait vraiment trop con de se prendre une putain de bastos juste avant de raccrocher. Peur de ne pas avoir su s'arrêter à temps.

          Jack avait un bon paquet d'oseille de coté, il bossait pour le vieux Tony depuis presque trente ans. Au rythme d'un à deux contrats par mois, Jack estimait avoir dézingué au moins 500 gugusses. Il n'avait quasiment jamais eu de problèmes, quelques fois une balle dans le bras ou la jambe, quelques coupures de rasoir ou de couteau, mais que du superficiel. Jamais il n'avait été gravement touché. Cependant la cinquantaine approchant, même s'il était toujours parmi les meilleur, Jack sentait qu'il n'avait plus autant la forme. Il avait suffisamment de pognon pour s'acheter une petite baraque quelque part et y vivre peinard pour le reste de sa vie, alors à quoi bon continuer ?

          Jack avait été voir Tony et lui avait expliqué tout ça. Le vieux rital s'était montré compréhensif, bien sur qu'il pouvait arrêter quand il le souhaitait, bien sur que Tony lui donnerait son oseille. Pas tout d'un coup évidement, il n'était pas possible de tout sortir de la banque en une seule fois. En gage de bonne foi, Tony lui avait tout de même donné 100.000 Dollars cash ! Évidement ça n'était pas sans contrepartie, le vieux lui avait demandé d'exécuter un dernier contrat pour lui, comme un faveur, un genre de rite d'adieu, un truc d'honneur quoi. Jack n'en avait pas grand-chose à faire de cet ‘'honneur'' à la con que les rital fourrent partout, mais il avait bien compris que s'il ne faisait pas ce dernier boulot, Tony ne lui donnerait sans doute jamais ce qu'il lui devait encore, et ça faisait un paquet de fric à coté duquel les 100.000 Dollars n'étaient que de l'argent de poche.

          Il était donc au dernier étage de ce parking aérien à attendre son client. Il surveillait la Chrysler grise que le gogo devait venir chercher vers deux heure et demi du matin, à la fermeture du club. C'était un contrat simple, le gars serait sans doute seul, peut-être un garde du corps ou deux, pas plus. Pas de message à transmettre, pas d'information à soutirer, pas d'enlèvement, non, un contrat tout ce qu'il y a de plus simple : trois balles dans la tête. Le ciel était dégagé, on voyait bien les étoiles. Jack fumait une cigarette, accoudé à la rambarde, il scrutait tantôt le ciel, tantôt l'incessant flot de véhicules sur le boulevard en contrebas. Il songeait avec nostalgie à son tout premier contrat, un type tout seul, bien habillé, la cinquantaine, sur le toit d'un immeuble. Le sang de Jack se figea, il réalisa que ce fumier de Tony ne comptait pas lui donner les six millions de dollars qu'il lui gardait sur un compte aux îles Caïmans, ou un coin dans ce genre. C'était lui le dernier contrat. Un débutant était sans doute déjà posté dans un des nombreux immeubles surplombant le parking, l'observant patiemment, attendant le bon moment, un fusil à lunette à la main, tout comme Jack trente ans auparavant. Jack s'en voulait de ne pas avoir suivi son instinct qui lui avait dit de prendre l'oseille et de se tirer loin de cette ville et du vieux rital, mais ça avait été plus fort que lui, il n'avait pas pu laisser toute sa fortune à Tony. Ça ne servait plus à rien de s'énerver, il était foutu.

          Jack souhaita que le jeune vise bien à la tête ou au cœur, que la première balle le tue, sans souffrir. Il tira encore une bouffée et jeta son mégot vers le boulevard, puis il contempla les étoiles une dernière fois…

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