Le dernier whisky de "Stormy"

Caïn Bates

      Affalé sur ma chaise, mes yeux se ferment,  dans ma tête résonne cette chanson à propos d'une ville si calme du Far West. 

     J'étais encore un mioche quand mon père nous a emmené avec lui dans un trou paumé du Kentucky. Nouveau coin,  nouvelle vie,  il nous a promis qu'il avait laissé la misère derrière nous. Son projet était de faire dans la menuiserie, de nous apprendre à vivre simplement. Notre quotidien était désormais plus paisible. 

   En découvrant les plaines et les vallées du Kentucky, je comprenais la majesté qu'accordait les Iroquois à cette terre. L'air doux des journées d'été était apaisant et transportait en son sein le parfum de la liberté, de la nature,  de la beauté,... Le chant des airs sifflant contre les parois m'inspirait des ballades millénaires et des rhapsodies nocturnes berçant les coyotes. Ma douce mère semblait rajeunir toujours plus en rentrant de ses nombreuses promenades,  mon père avait retrouvé le sourire et sa sociabilité. 

        L'ami de mon père m'avait offert un poste dans son saloon,  je n'etait certes qu'un simple barman mais je voyais du monde. Des habitués aux gens de passages, de la fille de joie aimante au pasteur moralisateur, du gosse à moitié ivre au père déjà endormi dans sa salive. Ces braves gens me surnommaient Stormy car ils affirmaient que mes chants etaient plus ravageurs pour l'âme que toutes les tempêtes de la Nouvelle-Orléans. Ma renommée attirait des personnes de tous horizons et les classes se mêlaient sans même s'en rendre compte.

      

        Un jour,  un représentant a fait irruption dans l'établissement où je travaillais. Il voulait proposer un nouveau whisky au patron. Absent, je lui proposa tout de même d'y goûter pour lui soumettre mon avis sur son breuvage. Il était aussi doux sur le palais qu'il brûlait la gorge. J'essaya de cacher son effet pour ne pas lui faire miroiter une certaine faiblesse à ce yankee texan et lui proposa de me laisser une de ces caisses pour en proposer à notre clientèle. Il me remercia en me faisant savoir qu'il repasserait dans quelques semaines. 

         Le Burnin' Donkey plaisait beaucoup au client, le patron m'avait félicité et augmenté suite à l'affaire que j'avais conclu avec le représentant, il m'a aussi fait savoir qu'il voulait me céder le bâtiment quand il prendrait sa retraite d'ici quelsues années si j'étais d'accord. Je lui fit savoir que cette decision m'honorait sans vraiment accepter. Je souhaitait tant rentrer chez moi, ma demeure familiale me manquait horriblement et mes textes devenaient plaintifs. L'assistance était toujours émue mais je ressentais que ce n'était plus pour la même raison. J'entrepris de prendre quelques temps pour moi afin de me ressourcer ce qui m'a était accordé sans une condition aucune. Bientôt, mon Kentucky accueillera de nouveau mes pas sur son sol riche et fertile. 


       Des larmes commencent à perler du coin de l'oeil. 


       Après un voyage de quelques jours, j'étais enfin de retour sur notre propriété. Personne à l'extérieur, je décide de leur faire le coup de l'étranger perdu. Personne ne vient m'ouvrir, je decide d'entrer puisque, de toutes façons, cette demeure est aussi la mienne.  Mon entrée est accompagnée d'une odeur rance d'alcool mêlée au sang, certains meubles sont défoncés et d'autres ont été vidés à la hâte. À l'étage, je trouve le corps de mon père enlaçant celui de son épouse dans son ultime étreinte. L'horreur visuel et olfactive me fit basculer en arrière et je me redresse maladroitement pour ne pas me vomir dessus. Ils devaient être là depuis plusieurs mois déjà, la fraîcheur de l'hiver avait permis à leurs êtres une conservation légèrement allongée. En voulant sortir de cet antre profané, je découvre des papiers près de la table renversée dans le salon, tronant sur le flanc au pied du siège de mon père. C'était un contrat de vente de la propriété, un prospecteur semblait vouloir récupèrer le terrain pour y installer une distillerie. Je comprenais les raisons du refus de notre père, ces valeurs qu'il m'avait inculqué sur la richesse du bonheur et de la nature, cette terre méritait bien mieux que l'industrialisation qui lui ôterait sa splendeur. Près de la cheminée au foyer éteint à jamais, je trouvis une bouteille de whisky encore scellée sur laquelle reposée une note: "Pour le retour du fils prodigue". Je m'assois alors sur le siège et entame la descente du liquide dans ma gorge sèche, il a le goût du feu,  de la tristesse, du sang,  de la mort. Ce whisky qui m'avait valu la considération de mon patron, ce Burnin' Donkey, il ne representait maintenant qu'un amas de regrets et de dégoût.

   Je renonça depuis ce jour à une existence heureuse. Plus jamais de musique, plus jamais de sourire. J'évitais les villes,  rôdant désormais sur les plaines désolées du Kentucky. C'est bien des années plus tard que je decidais de m'arrêtais dans un saloon pour me reposer. Je ne me rendis pas compte tout de suite que c'est ici que j'avais travaillé pendant plusieurs années, que c'était l'endroit où javais vu pour la dernière fois un ami. Et cet ami, il n'était desormais plus de ce monde,  la malaria avait eu raison de lui et de sa femme. Un voyageur avait alors repris les renes de l'établissement, celui là même qui était en train de me hurler dessus, celui qui voulait me foutre dehors. Sur mes jambes faibles, je décide de me présenter à lui:

     "Hey l'ami, ne serait ce pas là un lieu de repos pour les nobles travailleurs et les âmes perdues. Il fut une époque où les gens venaient de par le pays pour écouter mes histoires et pour discuter de mon histoire. On m'appelle Stormy, celui là même qui a permis à ta mansarde crasseuse de prospérer, celui qui voyage d'ombres en cactus pour tirer dans le foie des vils coyotes comme toi. Et je te promets, je te le jure solennellement, que je t'abats sur le champs si tu ne me ressers pas illico ton meilleur whisky."

 

    Affalé sur ma chaise, mes yeux se ferment,  dans ma tête résonne cette chanson à propos   des ténèbres qui s'abattent dans le ciel d'une ville si calme du Far West. 

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