LE DESTIN DE MR. ARNAUD

suemai

Mr. Arnaud, sexagénaire, homme soigné à la moustache lisse, et follement épris de sa collection de chapeaux melons, terminait sa toilette, lorsqu'un miaulement de chat lui chatouilla l'oreille.

Curieux, il entreprit des recherches dans son vaste appartement. Ressortant bredouille de cette ballade, il aperçut un chat tout près de son frigo. Un chaton mignon comme tout. Blanc tacheté de noir, ou à l'inverse, selon le point de vue. Qu'à l'entendre, se dit Mr. Arnaud, cette mignonne petite bête réclame son repas. Mr. Arnaud, homme de grand cœur, lui offrit un énorme bol de lait ainsi qu'une mousseline de foie gras appétissante. Le minet ne se fit pas prier. Il se rua sur le festin et avala tout, goulument. Tout en sortant, Mr. Arnaud déposa le minet au sol. Il s'enfuit aussitôt.

Monsieur Arnaud avait ses habitudes à ce petit café sympathique : « Le Grenadier. » Semblait-il que le Grand-père du propriétaire, Mr. Durand, participa à la seconde guerre mondiale. Sa table réservée donnait vue sur un gentil parc, où quelques arbres centenaires créaient de magnifiques jeux d'ombres sur quelques bancs confortables et une pelouse d'une fière verdure. Une petite fontaine déversait son eau et laissait entendre son clapotis rassurant. Un air pur de début d'automne embaumait les lieux.

Mr Arnaud, déposa son melon et sa canne. Puis, il retira ses gants faits d'un cuir italien souple et élégant. On lui servit aussitôt son café bien serré, où se dessinait, à peine, quelques striâtes d'un lait mousseaux, légèrement saupoudré d'une cannelle fine et odorante. Croissants, beurre fait maison, confiture à la groseille, un œuf cuit dur très exactement deux minutes et onze secondes et la Gazette du jour. Se lissant les moustaches, il entamait son petit-déjeuner tout en s'informant des potins de la vieille.

Comme toujours, Mr. Cournot prit table près de Mr. Arnaud. Les hommes se saluèrent avec grande courtoisie et discutèrent un moment. Les petits déjeuners consommés, débutait la traditionnelle partie de dominos. Tant Mr. Cournot, que Mr. Arnaud s'y adonnaient chaque matin. Il s'agissait d'un moment sacré où même le silence se taisait. De force égale, chacun l'emportait à tour de rôle. Les longues moustaches de Mr. Arnaud y jouaient, ici, un bien grand rôle. L'odeur d'un léger tabac émanait de la pipe de Mr. Cournot. Mais, ce matin là, un événement devait bousculer la routine habituelle. Le silence rompit sa promesse et un miaulement désespéré se fit entendre.

— Mais, ma parole, il s'agit du petit chat de ce matin, se surprit Mr. Arnaud.

— Le voilà bien mal en point, juché tout au haut de cet arbre, ajouta Mr. Cournot.

— Mr. Durand, s'enquerra Mr. Arnaud, pourrais-je utiliser votre échelle pour quelques moments ?

— Vous ne comptez pas grimper à cet arbre, ce serait pure folie, voyons, Mr. Arnaud, s'exclama Mr. Cournot.

Mr. Durand, partageant les inquiétudes de M. Cournot, n'eut d'autre choix que de déployer l'échelle, aidé par quelques employés. Mr Arnaud retira sa veste avec soin et débuta son escalade, sous les protestations de Mr. Cournot et de Mr. Durand. Mr. Arnaud se rendit tout au haut.

— Viens chaton, dit-il, viens, tu n'as plus rien à craindre.

Il tenta de s'en emparer tout en s'aidant de l'une des branches de l'arbre. Y étant presque, la dite branche céda. Mr. Arnaud réussit à reprendre son équilibre et à rattraper les barreaux de l'échelle. Par malheur, Mlle. Adélaïde passait au même moment se rendant au marché comme chaque jour. La branche l'assomma et elle s'écroula.

Heureusement, le Dr. Latreille, ayant cabinet dans le quartier et assistant au drame, se rendit rapidement auprès de Mlle. Adélaïde. Il l'occulta et déclara qu'il s'agissait d'un évanouissement et probablement d'une légère commotion cérébrale. Mr. Durand contacta aussitôt les ambulanciers, affirmant qu'il y avait grande urgence. Pendant ce temps, Mr. Arnaud revint s'asseoir, tenant le chaton dans ses bras. Il fut vivement félicité pour sa bravoure, malgré le drame. Mr. Cournot s'empressa d'offrir à Mr. Arnaud un verre d'eau bien fraiche. Tout en se désaltérant, le verre d'eau s'écrasa subitement au sol et Mr. Arnaud roula sur les dalles. Le Dr. Latreille ne put que constater le décès.

— Et tout ceci pour un chat, en pleurait Mr. Cournot.

— Nous aurions dû l'en empêcher, gémissait Mr. Durand.

 Le Dr. Latreille, devant tous ces gens affligés et, se trouvant le médecin de famille de Mr. Arnaud, annonça que son patient souffrait d'un grave trouble coronarien et que son décès pouvait survenir n'importe quand. Ce fut la consternation pour tous. Les ambulanciers transportèrent Mlle Adelaïde et Mr. Arnaud à l'hôpital. Le strident son des sirènes ne faisaient qu'accentuer la tragédie.

***

Tel le désirait Mr. Arnaud, par testament, son corps fut incinéré. Mr. Arnaud n'avait pour toute famille que sa nièce, Mlle Mathilde Arnaud, qui assista aux obsèques. Comme le désirait Mr. Arnaud, les cendres furent dispersées dans la petite rivière longeant le grand parc des Ormiers. Chaque jour, Mlle Arnaud et Mr. Cournot s'y rendaient afin de se recueillir. Mlle Mathilde Arnaud s'informait alors, auprès de Mr. Cournot, des habitudes de son oncle, désirant tout connaitre. Mr. Cournot ne tarissait pas d'éloges envers son défunt ami, l'encensent de mille qualités. Au fil des mois, Mr. Cournot et Mlle Arnaud développèrent une grande amitié, qui se transforma rapidement en véritable amour. Le quartier se réjouissait de cette grande nouvelle. On fixa la date du mariage et débutèrent les préparatifs.

***

Un matin, Mr. Cournot terminait sa toilette, afin de se rendre au « Le Grenadier », lorsqu'il entendit le miaulement d'un chat…   

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