Le dire des villes

Christian Lemoine

Que direz-vous des villes ? Que vous en gardez souvenir, entre émotion et crainte, entre nostalgie et soulagement. Que dites-vous ? Que vous y surpreniez au détour d'un matin les embrassades joyeuses de vos amis maintenant permanents et inaccessibles. Aussi, que les carrefours détruisaient à chaque révélation des façades les échappées sur des landes chimériques. Tout ce que vous pourriez en dire, reclus dans vos fauteuils, anesthésiés de climatiseurs ! Que savez-vous des villes ? Celles, anciennes, qui compulsaient en bûchers d'hérétiques les fragments des vagabondages impies. Ce temps des villes closes, ceinturées de murailles, enveloppes des cellules corrompues ou remparts en garantie des incursions. A la fois fermées et forcloses. Ce temps long, filon des historiens, où la ville n'était qu'une poche d'inquiétude au milieu des natures. Que direz-vous des villes ? alors qu'elles ne tissent plus, dans la profondeur des distances exacerbées, le filet précaire pour seul sauf-conduit à l'errant. Temps oublié, rendu à la fiction de l'évaporé. Les murailles écroulées ont libéré les portes, encouragé les fenêtres, multiplié les toits. Le fin maillage a engendré la tache répandue, où ne cherchent encore à happer le soleil que de maigres survivances végétales. Que direz-vous des villes ? étouffé sans ciel, les poumons déchirés ?
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