Le Doc de mon village

Jean Claude Blanc

Scène de vie ordinaire en nos campagnes

  Le Doc de mon village

 

Médecin généraliste, c'est écrit sur sa plaque

Docteur des roturiers, tout le monde le traque

Pour un petit bobo, un rhume, une diarrhée

On va le consulter, la santé rassurer

 

Le Doc. de mon village, a choisi son chemin

Préfère vivre à l'écart, la campagne, c'est plus sain

N'a pas de concurrent, c'est pourquoi veille tard

Pour faire le diagnostic, d'un fiévreux au plumard                       

 

En fait des kilomètres, parcourant les hameaux

Chouchoute ses petits vieux, malades du cerveau

Un café, vite fait, rédige son ordonnance

Déjà sont apaisées, des clients leurs souffrances

 

Ça fait bien des années, qu'il honore ses patients

Il connait les familles, leurs gènes et leur sang

A l'aise avec lui, il est de notre race

Pas avare pour un sou, gratis, se déplace

 

Soigner avec les mots, pas donné à tout le monde

Attentif à nos maux, de douceur, il abonde

Ne compte pas son temps, au chevet des malheurs

Quand il rentre chez lui, de diner, c'est plus l'heure

 

On n'ose le déranger, pourrait bien se barrer

Pour un quartier friqué, faire son trop plein de blé

Sur nos montagnes pelées, personne veut s'installer

Sans lui, restent les pompiers, complexes hospitaliers

 

Haut Forez déserté, il demeure le dernier

Raccommoder les cœurs, les chairs déchirées

Bientôt, on va crever, dans notre trou moisir

Mais on espère toujours, qu'il va pas déguerpir

 

Depuis le temps qu'il bosse, acquis notoriété

Son serment le respecte, déconne mais discret

Pourrions en faire notre maire, l'élite du pays

Ça l'intéresse pas, tout à ses maladies

 

Bien sûr, s'est fait du fric, sans doute mérité

Ici on a conscience, du travail bien fait

Et puis, c'est notre Ami, chacun en est ravi

Quand ça va pas très fort, son mal, on lui confie

 

Le Doc. de mon village, a débarqué d'Afrique

Quand t'as besoin de lui, t'oublies d'être raciste

On charrie son langage, et son accent typique

N'est pas venu pour rien, pourvu qu'il nous guérisse

Quand on est déglingués, perclus de rhumatismes

Au fond notre souffrance, en lui, elle a confiance

Qu'il puisse être blanc ou noir, on fait plus différence

Comme quoi l'humanité, n'a qu'une seule racine

 

Le Doc. de mon village, on voudrait le fêter

Sous son air rentré, on sent qu'il aime rire

Son sacerdoce l'oblige, à jamais se mêler

Aux querelles de clocher, aux cancans politiques

 

La détresse de la mort, c'est son pain quotidien

On l'appelle, il arrive, avec son attirail

Quelques mots échangés, pour taire les chagrins

Histoire de nous confier, qu'il faut livrer bataille

 

On a bien de la chance, d'être ainsi entourés

Dans cabinets de villes, on est vite expédiés

Un quart d'heure d'examen, honoraires sous le nez

Pas le temps se rhabiller, la porte refermée

 

La médecine moderne, certes, fait du progrès

On est des mécaniques, qu'il faut rafistoler

Quand c'est plus compliqué, on t'indique spécialiste

En plus d'être mal fichu, faut consulter la liste

 

On en a plus que marre, de se voir transférer

Parfois on baisse les bras, pas friands d'inconnu

Il faut s'attendre à tout, le corps supplicié

Mais notre Doc. à nous, nous épargne l'inquiétude

 

Dans ma région austère, on est des durs à cuire

Le Doc. est en rage, trop tard pour réagir

On endure son mal, jusqu'aux extrêmes limites

Les remèdes de grand-mère, ce sont nos propres rites

 

Chronique journalière, d'un médecin de campagne

Se plait dans son patelin, mais pas pour ce qu'il gagne

Et ce n'est pas demain, qu'il va faire son bagage

Pour son Mali chéri, en rêve part en voyage

 

Fidèle sa clientèle, elle a son bienfaiteur

Il serre les louches, toujours d'égale humeur

C'est notre confesseur, pas sorcier des savanes

Visite à l'improviste, ceux qu'ont du vague à l'âme

 

Le Doc. se fait vieux, son âge est dépassé

On n'ose imaginer, qui va lui succéder

Peut-être autre émigré, on prend, sans hésiter

On est moins pointilleux, quand faiblit la santé

 

JC Blanc               septembre 2020 (hommage à Georges Duhamel, médecin et écrivain)

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