Le don d'hubrisquité

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Kevin avait le don d'hubrisquité, une compétence rarissime consistant à se croire au sommet de toutes les montagnes de la terre tout en restant fermement ancré dans la vallée de la réalité. Peu importe que son studio ressemble à un refuge pour lutins exilés ou que sa Mercedes AMG soit aussi authentique que les sourires de politiciens en campagne électorale, Kevin savait comment se projeter dans un monde parallèle où il était le roi auto-proclamé de tout ce qui lui plaisait.

Pour quelqu'un qui prétendait être un "Expert en transformation personnelle", Kevin semblait avoir besoin d'une transformation personnelle urgente pour réaliser qu'aucune quantité de filtres Instagram ne pourrait masquer sa recherche désespérée de validation. Ses selfies devant la piscine à Dunkerque étaient si abondants qu'il aurait pu probablement créer un calendrier annuel intitulé "Les 365 Visages de la Hubris".

En parcourant son profil LinkedIn, on pouvait facilement se perdre dans le labyrinthe de son jargon auto-généré. "Architecte de l'excellence humaine", "Maître en épanouissement personnel" et "Champion de l'évolution révolutionnaire" – ses titres semblaient être la résultante d'un concours pour déterminer qui pouvait en dire le moins avec le plus de mots.

Ses messages sur les réseaux sociaux étaient une collection constante de citations inspirantes issues d'autres personnes, comme s'il était le messager des paroles profondes et transcendantes qui pouvaient uniquement être trouvées via des recherches intensives sur Google. Et pourtant, il se tenait là, élevant ces paroles comme s'il les avait lui-même gravées sur des tablettes sacrées au sommet d'une montagne inaccessible.

Parmi ses nombreux talents auto-proclamés figurait celui de "conseiller en communication émotionnelle". Peut-être était-ce son moyen subtil de nous faire comprendre que nous devrions être émus par sa tentative constante de paraître émotionnellement connecté à un niveau si profond qu'il semblait presque spirituel. Cependant, il était difficile de rester neutre face à la quantité astronomique de clichés qu'il déversait sur les réseaux.

Mais Kevin n'était qu'une pièce de ce puzzle de l'hubris moderne. Il faisait partie d'une brigade d'auto-proclamés, une ligue de légendes imaginaires qui rivalisaient pour savoir qui pouvait se peindre le portrait le plus flatteur. Ils se donnaient des airs de grands penseurs et de visionnaires en herbe, tout en évitant de révéler leurs véritables occupations, probablement parce que "gourou de la vacuité" n'était pas un titre recherché.

Au milieu de ce spectacle, Cynthia était l'une des cheerleaders les plus enthousiastes. "Bravo Kevin, tu es une source d'inspiration !" écrivait-elle frénétiquement sous chacun de ses articles. On pouvait presque imaginer Cynthia, assise devant son écran, le visage éclairé d'une admiration béate, se demandant si le prochain article de Kevin la propulserait enfin vers le nirvana de la conscience auto-améliorée.

Mais sous la surface du rire moqueur, il y avait une tristesse sous-jacente. Ces auto-proclamés ne semblaient pas seulement faire partie d'une farce, mais aussi d'un système plus large de valorisation de l'apparence au détriment de la substance. Dans un monde où une ligne d'objet percutante était plus précieuse qu'un contenu significatif, où une photo soigneusement orchestrée pouvait dissimuler des années de vide, ils étaient les héros involontaires d'une comédie existentielle.

Peut-être que Kevin et sa cohorte étaient vraiment convaincus de la profondeur de leur impact sur le monde. Peut-être qu'ils croyaient sincèrement que leurs ateliers de transformation personnelle, aux frais exorbitants, faisaient plus que remplir leur compte en banque. Après tout, l'autopromotion réussie est une forme d'art, et ils étaient les Picasso du domaine.

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