Le Dos Fin

Stéphane Rougeot

Philippe est un agent secret. Du genre au physique avantageux, à l'entraînement efficace, et aux moyens illimités. Mais également du genre maladroit, extrêmement chanceux et irrémédiablement naïf.

Larbi ne fait pas le moine


Philippe descend de son taxi et pénètre dans le hall de l'aéroport.

Tandis qu'il s'avance vers l'une des files de gens impatients de discuter avec une charmante hôtesse afin de procéder à leur enregistrement et au dépôt de leurs bagages, de nombreuses têtes se tournent sur son passage. Pour se pâmer devant sa silhouette droite ? Ou envier sa démarche assurée ? Dans le but d'admirer son visage carré, aux traits finement ciselés, agrémenté de deux yeux d'un gris aussi clair qu'un pendentif en zirconium cerclé d'aluminium ?

Certes, son physique de mannequin lingerie pour hommes qui n'attend qu'un signe du photographe pour retirer d'un geste ses vêtements, ou de chippendale engoncé dans un costume chic, mais qui le met mal à l'aise pourrait suffire à lui attirer l'attention de foules en liesse. Cependant, il n'en est rien. Son regard fuyant, ses mouvements fébriles et ses tempes suintantes le rapprochent plus d'un adolescent boutonneux et attardé, en particulier lorsqu'il se sait l'intérêt d'un représentant de la gent féminine.

Un pardessus beige à la mode d'un autre temps sur l'avant-bras gauche – clin d'oeil à un célèbre inspecteur ? – il serre fermement la poignée d'un attaché-case encore plus ringard dans sa deuxième main.


Ce serait un plan parfait pour un générique de film.

On ignore tout de cet homme, des raisons de son voyage – vraisemblablement très court par l'absence de valises – jusqu'à la cause de son état anxieux.

Les noms défileraient lentement, cassant l'attente interminable en distrayant l'attention du spectateur. L'ambiance effervescente du lieu instaurerait un climat dynamique, mais inquiétant, reposant sur le contraste entre ce costume italien transpirant la quiétude, et la menace qu'un endroit confiné et si vivant peut se révéler la cible d'un groupe extrémiste comme le monde en connait tant.

Après avoir tenté de bafouiller quelques mots à l'employée de la compagnie aérienne qui lui demande son passeport, Philippe convient de garder le silence, afin de conserver un semblant de dignité. En effet, sa voix aigüe n'est pas sans lui porter préjudice.

En lui rendant son document, accompagné de la carte d'embarquement, elle lui répond avec un large sourire de politesse, mêlé à une admiration profonde qui l'empêche de détacher son regard de l'homme :

— Je vous souhaite un excellent voyage, Monsieur Morris.

Sans doute regrette-t-elle de ne pouvoir monter à bord et s'occuper personnellement de lui durant le trajet de plusieurs heures qui va le conduire, comme l'indique l'écran qui surplombe sa tête au chignon trop parfait, à Riyad, capitale comme chacun le sait de l'Arabie Saoudite.

L'attente du contrôle des papiers est tout aussi longue. La faute à un horaire mal choisi, ainsi qu'à une opération Vigipirate renforcée depuis de récents attentats en France.


Un plan d'ensemble laisserait aisément la place aux noms des comédiens secondaires, suivis de ceux de toute l'équipe technique, financière et commerciale ayant participé de près ou de loin au bien-être du réalisateur, à un quelconque moment de sa vie, pour terminer sur le titre de l'œuvre.

Point ici d'auréole qui apparaîtrait au-dessus de la tête du héros à la seule évocation inopportune de son nom, ce n'est pas le genre. A moins de concentrer l'objectif sur les aisselles dégoulinantes de la chemise, heureusement masquées par la veste.

Point non plus de vue subjective à travers le canon d'une arme pointant sur un double zéro aussi célèbre qu'improbable. La simplicité serait de mise, reflétant la banalité – toute relative – du protagoniste principal.


Parvenu devant la guérite d'un homme en uniforme, il sort son passeport et le lui tend, avec sa carte d'embarquement.

Un rapide contrôle du nom sur l'ordinateur lui fait froncer les sourcils.

— Monsieur ? Vous êtes sûr d'avoir un avion aujourd'hui ? Je ne vous trouve pas dans la liste des passagers.

— Euh… Oui, tout à fait sûr.

— C'est bien votre document ?

Il brandit le passeport.

Philippe, intrigué, le prend pour l'observer plus attentivement. Quand il réalise que ce n'est pas le bon – tout est identique sauf le nom et la nationalité – il glisse subrepticement sa main jusqu'à sa poche, où il en trouve un autre, et parvient à faire l'échange sans éveiller les soupçons.

— Vous avez bien tapé mon nom ? Parfois les gens se trompent.

— Oui, oui. Mais bon, je vais essayer encore…

L'agent se rend compte qu'il y a quelque chose de bizarre. Soit il a mal lu, la première fois, soit… non, il n'y a pas d'autre solution pour lui, rien de logique et réaliste en tout cas. Les longues heures à consulter de nombreux passeports et à taper des noms tous plus compliqués les uns que les autres doivent être à l'origine de son erreur.

De toute façon, la confirmation apparaît maintenant. Il rend son bien à Philippe, en accompagnant son geste d'une phrase à peine audible tellement il est honteux :

— Tout est en règle. Bon voyage, Monsieur.

Vient ensuite une nouvelle queue, celle du contrôle des bagages à main.


Lorsqu'enfin arrive son tour, Philippe place méticuleusement sur le tapis roulant sa mallette bien à plat, prend un petit bac en plastique et y aligne divers objets, à savoir sa montre, sa ceinture, ses chaussures, son smartphone, et quelques pièces de monnaie qui traînent toujours au fond de sa poche. De par son expérience, il est confiant sur le fait que le reste de son attirail est bien à l'abri.

Sur l'écran de contrôle de la machine à rayons X, s'affiche l'espace d'un instant une image troublante, faisant étalage d'armes à feu, d'armes blanches, d'un détonateur, ainsi que plusieurs équipements électroniques. Lorsque l'agent des douanes chargé de l'observation se frotte les yeux pour savoir s'il ne rêve pas, un système perfectionné – bien qu'apparemment peu fiable – se déclenche, et ce ne sont que des babioles sans intérêt qui remplacent l'arsenal sur l'image. Il jette un œil suspicieux sur Philippe qui ne le remarque même pas, tellement il est perturbé que la grosse femme en uniforme ne vienne le palper un peu partout.


Enfin à l'abri dans la boutique duty free d'un parfumeur-chocolatier-spiritueux-friandises-et-autres-cochonneries, Philippe s'emmêle les bras en voulant remettre sa ceinture, le conduisant à lâcher son imperméable et ses chaussures sur un rayon, dans un vacarme de boîtes métalliques roulant au sol. Une vendeuse accourt, non pour lui porter secours, mais afin de surveiller qu'il ne repart pas avec un ou deux articles sans les payer.

— Veuillez… me demander de vous pardonner… Je vous présente… mes demandes d'excuses… Je… Désolé…

— Ça va, monsieur. Faites attention, s'il vous plait.

Le ton de réprimande initial s'est transformé au fil de sa phrase en excuse, limite imploration afin de capter son attention. Le charme masculin agit en permanence, aucune pause n'est tolérée.

Si elle avait l'intention de vérifier que toute sa marchandise est bien là, son regard est irrésistiblement attiré par cet individu énigmatique proche, selon ses critères, de l'homme parfait – si tant est que la perfection existe, mais un tel spectacle ne peut que tendre à le confirmer.

Philippe traîne jusqu'à la porte d'embarquement. Il trouve un siège libre, qu'il doit néanmoins nettoyer d'un coup de mouchoir, et s'y installe. Depuis le temps, il a appris qu'un avion est tout ce qu'il y a de contraire à la ponctualité.


Il entreprend alors une inspection panoramique.

Un type avec une longue barbe et un survêtement immaculé le fixe. L'aurait-il repéré ? Non, c'est impossible. Il a pris toutes les précautions habituelles. Il s'agit plutôt d'un jaloux qui voudrait un costume aussi classe, sauf que sur lui, ça n'aurait rien à voir. Un ringard ne peut être que ringard, quels que soient ses habits.

Plus loin, un blanc, très blond, jette constamment des coups d'œil par-dessus le journal qu'il fait semblant de lire. Ses lunettes sont trop foncées pour distinguer ce qu'il surveille. La femme impatiente d'embarquer ? Soit elle trompe son mari et s'apprête à rejoindre l'élu de son cœur – ou celui qui la fait grimper au rideau comme jamais auparavant – soit elle tente de fuir un grand danger.

De l'autre côté, un homme également en costume, mais bon marché, laisse apparaître des rebonds sur sa veste qui trahissent une ceinture bien chargée. Ses paupières sont closes, cependant il est aisé de remarquer qu'il fait semblant, et qu'en réalité rien de tout ce qui se passe à proximité ne lui échappe.

Un Saoudien en tenue traditionnelle est lui aussi de la fête. Prendre des photos d'une femme trop court vêtue ne trompe personne sur le sujet réel des clichés. Elle se tourne d'ailleurs dans tous les sens pour que l'homme puisse capturer chaque voyageur.

Les compagnies doivent faire preuve de précautions par les temps qui courent. Aussi n'est-il pas surprenant qu'un tel dispositif puisse être mis en place. Rien d'inquiétant. Il convient néanmoins de rester vigilant, car tout ce beau monde n'a pas l'air très professionnel.


Lorsqu'un appel indique que l'embarquement peut débuter, personne ne fait exception à la précipitation vers le guichet. Pour une fois qu'un appareil semble presque à l'heure, il serait dommage qu'un retard soit dû à l'un des passagers.

Philippe ne se presse pas, mais prend garde à avoir une bonne place dans la file. Il est impatient de décoller. Les sièges sont attribués depuis belle lurette aussi inutile de se bousculer.

Si une chose ne change pas, c'est bien l'exiguïté des emplacements à bord. À croire que chaque centimètre carré coûte une fortune. D'ailleurs, il envisage de faire la remarque à sa hiérarchie concernant les restrictions budgétaires imposant les classes économiques de façon systématique. Quelqu'un de son rang, surtout étant amené à se déplacer très régulièrement, devrait pouvoir bénéficier de la Première, nettement plus confortable.

Alors qu'il tente de faire entrer son attaché-case dans le petit espace situé sous le siège devant lui, une voix féminine se racle la gorge. Il tourne la tête vers l'allée centrale et tombe sur deux longues jambes fines à peine recouvertes d'un discret bas brillant.

— Excusez-moi, je bloque le couloir, vous pourriez me laisser atteindre ma place ?

Tandis qu'il bafouille des mots incompréhensibles, même pour lui, en remontant le long de la jupe fuselée, il se redresse, et vient heurter du sommet de son crâne l'un des seins de la dame. Une nouvelle série de gargouillis s'extirpe avec difficulté de sa bouche.

Ne voyant aucune autre solution, Philippe monte et s'accroupit sur son siège, pour que la belle puisse se glisser jusqu'au hublot. Il reprend ensuite sa place, et, faute de mieux, pose ses pieds sur son bagage.


Après de longues secondes de réflexion, à se convaincre et se motiver, durant lesquelles l'avion a largement le temps de décoller, il se décide à prononcer ses premiers mots intelligibles, de sa voix aigüe qui ne colle décidément pas avec son physique :

— Bonjour. Comme nous allons partager un… cet accoudoir durant plusieurs heures, peut-être me… me permettriez-vous de me présenter ?

Il tend une main volontaire, en amorçant une phrase d'introduction.

— Je…

Son élan est sèchement interrompu :

— Non, je ne vous permets pas.

À voix basse, elle poursuit :

— Vous êtes ridicule ! Et contrôlez votre bégaiement, c'est encore plus agaçant que d'habitude !

Une petite voix, tout au fond de la tête de Philippe, commence à lui faire des commentaires justifiés, mais déplaisants, sur l'attitude de sa voisine. Elle ajoute malgré tout quelques réflexions pour le moins flatteuses sur son apparence, ce qui le fait rougir.

Comme la femme remarque sa gêne, elle ajoute, toujours en sourdine :

— Ah, mais… Vous n'allez pas faire votre crise de timidité, en plus ?

En se calmant, et dans le but avoué de rattraper son exagération, elle adoucit son timbre, mais revient à un ton normal :

— Veuillez me pardonner. Moi, c'est Frédérica Bianca.

Comme son nom le laisse supposer, le physique est typique de l'Italienne. Une longue chevelure ondulante qui vient caresser des épaules menues. Un corsage bien fourni et une taille de guêpe. Des lèvres fines et un sourire large sur de belles dents éclatantes. Le parfait premier rôle féminin d'une production qui a des moyens conséquents.

Par contre, ce n'est pas pour mettre Philippe à l'aise. Il doit combattre ses démons intérieurs afin de garder un semblant de contenance. Il parvient à refréner son plus gros handicap en la considérant comme une collègue – ou plutôt « un » collègue – malgré sa tenue, sa beauté indéniable et la présence entre ses jambes aguicheuses et fermes d'un puits à plaisir qu'une forêt dense et à l'odeur excitante protège de visiteurs pourtant fortement désirés.

Avec de telles pensées, pas étonnant qu'il éprouve autant de difficultés à adresser la parole à la moindre femme.

— Philippe Morris.

— Tenez, on m'a chargée de vous remettre ça.

Elle lui tend une petite boîte, de la taille d'un gros paquet de cigarettes. Pourtant, il est interdit de fumer à bord depuis de nombreuses années.

Étonné, il proteste :

— Vous n'allez pas me faire le coup du message qui s'autodétruit, quand même ?

— Ne faites pas l'imbécile, et ouvrez.

À l'intérieur, un appareil photo numérique très compact. Il croit opportun de demander :

— C'est pour qu'on ramène des souvenirs au patron ? Bonne idée ! J'avais oublié le mien, de toute façon.

Lorsqu'un soupir lui parvient, il tourne la tête, pour voir Frédérica se pincer les lèvres et secouer la tête de dépit.

— Quoi ? Qu'est-ce que j'ai dit ?

— Regardez donc ce qu'il contient avant de débiter des âneries !

— Ah, vous avez déjà pris des photos avec ? Vous êtes allée où ?

Il appuie sur un bouton et des images apparaissent sur l'afficheur intégré. Ce qui semble être un dossier classé confidentiel, comportant des photos, et un peu de texte illisible, car trop petit.

À peine a-t-il atteint la fin du diaporama que l'appareil s'éteint tout seul, et qu'une épaisse fumée blanche en sort, causant une toux sèche à Philippe. Il chasse les volutes d'une main en faisant la grimace.

Frédérica le regarde, suspicieuse :

— C'est bon, vous avez tout mémorisé ?

— Bien sûr, vous me prenez pour un débutant ?

Sa réflexion le conduit à la conclusion qu'elle doit avoir eu connaissance des mêmes informations, et que si besoin, elle sera là. Parce qu'il est loin d'avoir eu le temps de tout lire. Il n'a même pas compris ce qu'on attend de lui exactement.

— Et donc c'est vous ma partenaire pour régler ce problème ?

La femme est plongée dans la contemplation de la chevelure masculine dru et parfaitement brossée.

— Hein ? Ah, oui. J'aurais préféré travailler seule, comme d'habitude, mais on ne m'a pas laissé le choix. Cela dit, ça ne devrait pas être très long.

— Je… Je peux me permettre une question indiscrète ?

Papillonnant des cils, elle esquisse un sourire charmé.

— Oui… Tout ce que vous…

— Avec quoi vous lavez vos cheveux ? Ils sont vraiment beaux. Ceux de ma fiancée sont toujours très gras. Vous pensez que ça se fait pour un homme d'offrir un shampoing... ? Quoi ? Qu'est-ce que j'ai dit ?

— Non, rien.

Un léger brouhaha s'amplifie en provenance des passagers autour d'eux. Prêtant l'oreille, ils en viennent à la conclusion que le bruit qui circule fait état d'un potentiel terroriste qui serait à bord.

Philippe se redresse, afin de dépasser des dossiers, à la recherche du coupable. La tête de l'homme à la longue barbe dépasse également, mais s'abaisse dès qu'il la repère.

Une hôtesse, à la fois courtoise et sévère, s'approche de Philippe :

— Excusez-moi, c'est vous qui avez utilisé un appareil ? Certains passagers se sont plaints de la fumée. Vous avez de la chance de ne pas avoir déclenché les détecteurs ! Je vous demanderai de cesser immédiatement, c'est compris ?

C'est reparti pour une petite séquence de bafouilles. Philippe conclut par :

— Oui, c'est pas de ma faute. Je… Ça ne se reproduira plus. Je suis désolé.

Quand ils sont à nouveau seuls, il se tourne vers sa collègue :

— Ben oui, quoi. C'est pas moi le responsable ! Qui impose ces références stupides ?

— Je commence à me demander si votre réputation est bien méritée.

En fait, elle doute à chaque fois qu'elle doit partager une mission avec lui de succomber à son charme sans avoir de répondant. Elle sait depuis longtemps qu'elle risque de ne pouvoir résister, et entreprend généralement d'user d'un air supérieur pour se protéger. À part son physique ravageur, il n'a rien pour lui, de toute évidence.

— Ah, mais vous savez que j'ai un surnom qui en jette ?

Philippe se remémore l'entrevue avec son chef, il y a à peine quelques heures. Ce dernier l'a traité de « dos fin ». Il s'est alors étonné, mais a ressenti un certain prestige de représenter aux yeux de la hiérarchie quelque chose qui mérite une telle appellation. Dommage que ça ne soit pas un animal noble, intelligent, à la fois solitaire et solidaire.

— Mouais, vous avez l'air fin, avec ça sur le dos, c'est certain !

— Décidément, vous êtes jalouse.

Il détache sa ceinture et se lève :

— Vous m'excusez ? Les voyages me donnent envie de… Enfin, faut que j'aille… aux…

Avec un geste de dépit, Frédérica l'envoie balader :

— Oui, oui, allez-y.


Cinq minutes plus tard, un homme drapé dans un dishdash et arborant un keffieh sur la tête vient s'installer dans le fauteuil de Philippe. Frédérica, avec des yeux ronds surmontés de sourcils froncés, l'interroge :

— C'est quoi, ça ?

— Ben c'est pour me fondre dans la masse, passer inaperçu !

— Vous êtes conscient que tout le monde vous a reconnu, entre les toilettes et ici ? Aucune femme n'est dupe, à cause de votre visage toujours aussi blanc et sexy ! Et les hommes sont encore plus jaloux et méfiants, sauf ceux qui désirent sympathiser avec vous !

— Mais non ! C'est pas possible ! J'ai mis la tenue traditionnelle. Je… Ah, mais je comprends votre jeu : vous me testez…

— Vous divaguez complètement !

— Rassurez-vous, j'ai tout bien mis comme il faut. Et puis j'ai l'habitude de mettre ce genre de vêtements amples, il m'arriv…

Philippe réalise trop tard qu'il en a trop dit.

— Vous quoi ? Non… Ne me dites pas qu'il vous arrive de vous habiller en femme, quand même ?

— Ah, non ! C'est pas ça…

— Alors de quoi s'agit-il ?

— Et bien…

Il s'approche de son oreille et murmure :

— Je mets une djellaba quand je vais à la mosquée. Voilà, vous savez tout !

— Je m'en doutais un peu, surtout depuis que vous êtes « fiancé » avec cette… femme.

Frédérica n'a pas pu trouver d'autre mot. Désirant à la foi rester respectueuse, mais montrer son désaccord, elle a finalement préféré un terme neutre. Elle ajoute :

— Mais essayez de rester discret à ce sujet, sinon…

— Sinon quoi ?

— Non, rien.

— On dirait que vous n'approuvez pas.

— Mon avis n'a aucun intérêt, et je m'en voudrais de m'immiscer dans votre vie privée.

Dans sa tête, elle ajoute « par contre si vous voulez vous introduire dans la mienne, je suis toute disposée à vous ouvrir en grand les portes et à vous laisser les clés, surtout si vous comptez m'emmener au septième étage. »


La même hôtesse revient et interrompt la conversation :

— Que signifie cet accoutrement ? J'ai plusieurs passagers qui se sentent insultés ou offensés par votre… déguisement.

Frédérica contemple avec amusement Philippe s'enliser un bon moment avant de venir à son aide :

— Veuillez lui pardonner, mais mon ami a l'habitude de vouloir faire couleur locale en fonction du pays que nous visitons. Parfois c'est un peu exagéré, voire ridicule, mais ce n'est jamais en pensant à mal.

— Hum, bon. Je vais tenter de calmer les passagers. Mais fini les excentricités, c'est entendu ? Je peux compter sur vous pour que le vol s'achève dans de bonnes conditions ?

Frédérica tient à rassurer l'hôtesse :

— J'y veillerai personnellement.

Une fois qu'ils sont à nouveau tranquilles, elle tourne la tête vers le hublot, en prononçant à voix haute :

— Ah, elle commence bien, la mission ! Ça va être une partie de plaisir, je le sens !


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